Eh non, vous n'êtes pas dans un club branché ! Remplir le réservoir du système de propulsion des satellites est une étape exigeante avant leur intégration sur le lanceur. C’est le rôle des ergoliers : à l’abri des inhalations toxiques dans leur scaphandre, ils sont les seuls à disposer des compétences nécessaires.
Panoplie de manomètres et tuyaux
Une soirée déguisée dans un club branché ? Un nouveau concept d’escape game ? Ne vous fiez pas aux apparences, les femmes et les hommes qui se cachent sous ces scaphandres ont un rôle fondamental : remplir les satellites en ergols (leur carburant). Leur profession ? Ergoliers.
Au Centre spatial guyanais (CSG), les satellites leurs sont confiés après avoir été soigneusement contrôlés et testés.
« Les ergoliers réalisent l’ultime test du satellite : ils vérifient la bonne étanchéité de son réservoir en le mettant sous pression, explique Warren Bouchehida, responsable moyens charges utiles. Le satellite est alors transféré en zone de remplissage par un couloir propre. »
En parallèle, les ergoliers récupèrent le fût d’ergols et le transfèrent dans la salle de remplissage, une salle blanche de 300 à 400 m2 au sein de l’Ensemble de préparation des charges utiles (EPCU). C’est à ce moment que se déroule la phase la plus critique : le remplissage des réservoirs du satellite.
Les ergoliers utilisent un kart, un système embarquant un réseau fluide avec une panoplie de manomètres – appareils de mesure de la pression – et des tuyaux de connexion.
- Responsable moyens charges utiles

3 ensembles sont connectés au kart : les fûts d’ergols, le réservoir du satellite et le réseau fluide du bâtiment. Ce dernier permet d’alimenter le kart en gaz ultra-propre (N2 et He) et de collecter les fluides pollués pour assurer un remplissage en toute sécurité. Durant tout le processus de remplissage – qui dure de 2 à 4 jours, les ergoliers gardent un œil attentif aux manomètres pour éviter tout risque d’explosion !
La manipulation des ergols est réalisée par ces spécialistes en raison de la dangerosité des opérations. Pour assurer leur propulsion, les satellites et autres véhicules spatiaux embarquent en effet un carburant (généralement de l’hydrazine) et un comburant (généralement du mélange d’oxydes d’azote).

« La manipulation des ergols présente un risque d’explosion mais aussi d’inhalation, car ces produits sont hautement toxiques », informe Warren Bouchehida. Alors tout est prévu pour ne prendre aucun risque. Les salles de remplissage répondent à la réglementation ATEX (Atmosphères Explosives) : l’ensemble des équipements sont conçus pour éviter les étincelles. Ces salles sont équipées d'un système détectant la moindre fuite d’ergols, qui activerait alors des alarmes et l’évacuation de la zone à risque par la Sauvegarde Sol.
Autre équipement de protection fondamental des ergoliers : leur tenue. Si elle ressemble à s’y méprendre à celle d’un astronaute, les ergoliers gardent bien les pieds sur terre. Leur scaphandre les protège d’éventuelles fuites liquides et gazeuses d’ergols.
« La tenue est pressurisée, complète Warren Bouchehida. Dans la salle de remplissage, ils sont en permanence connectés à un réseau d’air respirable. » Ces lourdes tenues, d’un poids moyen de 20 kg, exigent une bonne forme physique pour être portées jusqu’à 4 heures d’affilé !

Quelques équipes à travers le monde
En pratique, la journée de travail d’un ergolier commence par la phase d’habillage au vestiaire. 30 mn sont nécessaires pour enfiler la tenue ! Puis les ergoliers – qui travaillent toujours en binôme – sont transférés vers la salle de remplissage dans un camion dédié.
Avant d’y accéder, ils s’arrêtent dans un sas d’entrée ergolier. Sur la photo mystère, l’ergolier s’apprête à pénétrer dans la salle blanche où se trouve le télescope spatial James Webb. Sa tenue est scrupuleusement inspectée à la lumière bleue à la recherche de la moindre trace de poussière. Aucune particule ne doit être déposée sur le satellite pour assurer un fonctionnement optimal. Une fois dans la salle de remplissage, le travail peut enfin commencer …
Les ergoliers assurant les pressurisations et les remplissages des satellites proviennent des équipes propulsions des constructeurs de satellites.
« Très peu d’équipes propulsion existent dans le monde. » Renseigne Warren Bouchehida. La seule équipe française est chez Thales France, les autres que nous recevons régulièrement sont chez Airbus UK, Airbus Lampoldshausen (Allemagne), Maxar Technologies (USA), Lockheed Martin (USA) et l’ISRO (Inde). »

Le CNES-CSG possède aussi ses propres ergoliers, au nombre de 5. Leur rôle ? Prélever des échantillons d’ergols pour vérifier la qualité des fûts envoyés par le constructeur avant l’arrivée du satellite au CSG.
La profession d’ergolier est exigeante. « Elle nécessite d’avoir des réflexes très spécifiques au risque d’explosion et d’inhalation », appuie Warren Bouchehida. Par exemple, une fois le remplissage terminé, les ergoliers clients se chargent de décontaminer les équipements de leurs karts (vannes, tuyauteries) pour les renvoyer chez eux.
Ce travail s’effectue sous un carbet au CSG, sans scaphandre mais muni d’une tenue de protection plus fluide et légère. Il est fondamental de prêter attention à la direction du vent pour éviter toute inhalation de gaz toxique !

Le saviez-vous ?
Le parcours d'ergolier – sous forme de compagnonnage – commence en général par une formation de technicien fluide avant de passer les qualifications nécessaires aux opérations sous scaphandre.
C’est l’un des métiers les plus important pour le lancement d’un satellite en orbite : si le système de propulsion échoue, c’est toute la mission qui échoue.
- Responsable moyens charges utiles au CNES