Publié le 07 novembre 2023

Euclid, les zones d’ombre et de lumière : plongez au cœur de la saga

La matière et l’énergie noires ne livreront pas leurs secrets aussi facilement. Euclid ne doit pas son surnom de "détective cosmique" au hasard : comme tout bon roman policier, sa saga a débuté avec de nombreux rebondissements !

Comment Euclid scanne le ciel

Tout semblait se dérouler parfaitement bien pour le satellite de l'ESA Euclid et ses 2 instruments français, VIS et NISP : alors que les 1ères images dévoilées fin juillet ont ému aussi bien la communauté scientifique que le grand public, la phase de commissionning se terminait quant à elle fin août. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu…

 

Comment Euclid scanne le ciel

 

Une disparition inquiétante…

Le 25/08/2023, l'ESA communiquait sur un problème détecté sur le système de pointage d'Euclid (plus d'informations dans cet article). Or, c'est grâce à celui-ci que le satellite pourra fournir des images en très haute résolution, en pointant vers des endroits très précis du ciel. 

Pour rappel, la mission d'Euclid est de fournir une carte extrêmement précise d'un tiers du ciel, afin de remonter le temps de 10 milliards d'années et d'observer des centaines de millions de galaxies. Ce fameux FGS (Fine Guidance Sensor) est donc l'un des personnages principaux de notre saga et sa disparition – ou plutôt son dysfonctionnement – inquiétait au plus haut point nos enquêteurs.

Les débuts de l'enquête : l'objet du délit

 

Les ingénieurs et scientifiques ont alors enfilé leur casquette de détective pour découvrir l'arme du crime : pour ce faire, le retour en phase de commissionning était indispensable. 

L'objet du délit : le capteur de guidage fin rencontrait des difficultés à se verrouiller sur des étoiles de faible luminosité. Ce souci s'est avéré compliqué à anticiper pour 2 raisons : les conditions spatiales réelles, auxquelles Euclid est désormais confronté, étaient difficilement reproductibles depuis la Terre. De plus, les rayons cosmiques provenant du Soleil et de la galaxie polluent les observations, ce qui rajoute une difficulté supplémentaire au travail du FGS.

 

Image résultant de l'anomalie sur le système de guidage d'Euclid

 

 

Les enquêteurs sur une nouvelle piste

Nos ingénieurs et scientifiques enquêteurs ont alors travaillé sur une nouvelle piste : le développement d'un nouveau logiciel.

Le Directeur des opérations d'Euclid à l'ESOC (Darmstadt), Andreas Rudolph, affirme que les 1ers résultats sont très prometteurs :

 Nous trouvons beaucoup plus d'étoiles dans tous nos tests et bien qu'il soit trop tôt pour se réjouir et que d'autres observations soient nécessaires, les signes sont très encourageants. 

Malheureusement, alors que les enquêteurs se pensaient sortis d'affaire, un autre problème est survenu : une petite quantité de lumière solaire se reflète en direction de l'instrument VISible (VIS), qui est protégé par de nombreuses couches d'isolation. 

Euclid est situé au point de Lagrange 2 sur une orbite unique « derrière » la Terre : il tourne donc le dos au Soleil et toutes les parties sensibles de son télescope sont protégées de sa lumière par un écran solaire spécial. Cependant, en raison de l'extrême sensibilité de l'instrument VIS, la théorie actuelle est qu'une quantité suffisante traverse encore cette isolation : de la lumière parasite a en effet été détectée lors des observations de test lorsque l'instrument VIS est tourné vers des angles spécifiques, représentant environ 10% des observations (cf image ci-dessous). 

La solution était donc toute trouvée pour nos enquêteurs : re-paramétrer l'instrument afin de faire en sorte d'avoir le moins de lumière parasite possible. Les impacts potentiels de cet imprévu sont encore en cours d'analyse.

 

Lumière parasite détectée dans l'instrument VIS d'Euclid

 

Les rayons X : le dernier mystère résolu !

La lumière du Soleil n'est pas le seul problème auquel Euclid est confronté. Même si les détecteurs d'Euclid sont protégés des protons de faible énergie, il semble que sous certains angles, les rayons X émis par le Soleil lors des éruptions solaires puissent occasionnellement atteindre les détecteurs, gâchant ainsi une partie des images prises à ce moment-là. Si ce problème n'est pas résolu, Euclid pourrait perdre environ 3% de ses données.

Là encore, l'esprit perspicace de nos enquêteurs a frappé : les équipes sont désormais en mesure d'identifier les pixels affectés et de les exclure des analyses ultérieures. 

Un avenir prometteur pour Euclid

Un bon polar ne se termine jamais sans un dénouement heureux : Euclid prendra bel et bien des images remarquables de notre Univers qui nous aideront à comprendre l'influence de l'énergie noire et de la matière noire. Le problème de guidage fin d'Euclid semble sur le point d'être résolu sans que cela n'ait d'incidence sur la mission et la lumière parasite du Soleil peut être atténuée par une reprogrammation intelligente d'Euclid.

 

Le rôle du CNES et de la France

L'ESA, après avoir exécuté les tests définis par l'industrie, a déroulé une semaine de nouveaux essais, définis cette fois-ci par le consortium Euclid. L'objectif : s'assurer de la capacité à tenir les exigences scientifiques. La définition et le suivi du plan de tests ont été effectués par Hervé Aussel, CNRS/AIM et la production des données a quant à elle été prise en charge par Guillaume Libet au CNES.

Les équipes de l'IAP travaillent de leur coté, sous la responsabilité du CNES, à la mise à jour du pipeline pour traiter les rayons X, la straylight résiduelle et détecter les problèmes de guidage éventuels.

 

Finalement, comme le disait avec humour Pierre Casenove, chef de projet Segment Sol Euclid au CNES :

 Un patch, et ça repart ! 

La suite dans le prochain épisode !