Dans la mythologie grecque, Gaia est la déesse-mère, dont le nom signifie « Terre ». Un nom porteur de grandes ambitions pour ce satellite de l’ESA, destiné à cartographier l’Univers. Il y a une décennie exactement, Gaia quittait justement notre planète, afin de rejoindre le point de Lagrange L2, d’où il remplit sa mission avec brio.
Quelques dates clés qui ont marqué l’histoire de Gaia
Pour cet anniversaire spatial, nous avons choisi de revenir sur les faits qui ont marqué l’esprit des scientifiques et ingénieurs qui ont travaillé sur la mission depuis 10 ans. Nous sommes donc partis à leur rencontre afin de recueillir leurs précieux témoignages.
Frédéric Arenou - Observatoire de Paris
« Je travaille sur le projet depuis le tout début, en 1997. Cela représente pour moi un long épisode de vie, 25 ans tout de même ! 15 ans de développement et de conception et déjà 10 ans dans les étoiles. Pour moi, Gaia c’est vraiment l’illustration parfaite du travail en équipe sur un temps (très) long. On devient comme une grande famille ! Je n’étais pas à Kourou pour le lancement, mais à Paris, où un événement était organisé. C’est toujours un peu particulier de voir le fruit de tant d’efforts nous quitter. On regardait les images sur l’écran et c’est comme si le temps était suspendu. Après le succès lanceur, il y a toujours ce petit laps de temps assez angoissant, où on attend le premier signal. Une fois reçu, c’est la délivrance ! raconte Frédéric Arenou.
D’ailleurs pour la petite anecdote, juste avant le lancement, nous avions une activité "peinture de maquettes de satellite" : quoi de mieux pour se détendre ? »
Frédéric Arenou
Paola Sartoretti - Observatoire de Paris
« Le souvenir qui m’a le plus marquée ? Sans hésiter, l’apparition du premier "beau" spectre, qui s’est déployé sous nos yeux telle une couronne royale. A partir de là, j’ai abordé l’avenir du projet avec beaucoup plus de sérénité. C'était à l'hiver 2014, durant la période de "commissioning" et la mauvaise surprise de la lumière parasite diffuse qui compromettait les performances du RVS (Radial Velocity Spectrometer) était déjà arrivée. Nous étions tous occupés à étudier les modifications à apporter au logiciel embarqué pour atténuer un peu ces effets. L'humeur des troupes n'était pas au beau fixe... Quand ce premier spectre d'une étoile brillante est arrivé, avec ses lignes d'absorption profondes, les ailes du filtre visibles, cela m'a fait penser au dessin d'une couronne de prince. Le RVS nous rassurait, ce serait un spectromètre princier malgré la lumière diffuse ! Et 10 ans après, on peut dire qu'il avait raison ! »
Paola Sartoretti
Paolo Tanga - OCA (Observatoire de la Côte d’Azur)
« Le souvenir le plus vif correspond au lancement, car j'ai eu la chance d'être invité à Kourou pour l'occasion. Le voyage a été une aventure : le lancement a été anticipé de 24h (chose qui n'arrive presque jamais). Arrivé sur place, juste après l'atterrissage de notre vol, j'ai eu la (fausse) bonne idée d'essayer de voir la fusée sur son pas de tir, désormais dans le noir de la nuit qui avançait. Comme vous vous en doutez, je n’ai pas vu grand-chose et cela a juste raccourci un peu plus ma nuit !
Bref, entre la fatigue et l'excitation j'ai vécu le lancement comme dans un rêve, mais quel bonheur de voir la fusée se soulever doucement, une étoile brillante dans la lumière de l'aube. Et quel privilège de vivre cela avec les collègues du consortium DPAC et du CNES !
Dix ans plus tard, si je regarde le parcours, c’était une aventure formidable, un challenge complexe mais tellement extraordinaire. Dans mon rôle de responsable du traitement pour le Système solaire, j'ai donné ma petite contribution à la formidable réussite de cette mission. Et j'ai pu continuer à le faire avec les mêmes personnes depuis le début, une équipe internationale qui a travaillé dans une entente parfaite, avec l'indispensable soutien du CNES. »
Paolo Tanga
[Replay] Il y a 10 ans, le lancement de la mission Gaia
Revoir le décollage du Soyouz VS06 le jeudi 19 décembre 2013 depuis le Centre spatial guyanais.
A 10h12 (heure de Paris), le satellite Gaia à bord s'élançait en direction du point de Lagrange L2 pour démarrer sa grande aventure !
→ La mission Gaia sur la bibliothèque des projets du CNES
François Mignard, Principal Investigator (PI) - OCA (Observatoire de la Côte d’Azur)
« J’ai eu l’immense chance de voir le lancement de Gaia de mes propres yeux, depuis le Centre Spatial Guyanais. C’est un moment si particulier, de vivre le lancement d’un projet sur lequel on travaille depuis tant d’années. Gaia, c’est un peu un membre de la famille !
La phase de lancement ne s’arrête pas au succès du lanceur, à la séparation. C’est seulement lorsqu’on reçoit le premier signal qu’on peut exprimer toute notre joie et notre soulagement. C’est alors un moment très festif, que l’on vit tous ensemble. Le lancement, c’est aussi une page qui se tourne, le moment où l’on a passé la main au DPAC. On peut alors préparer la science avec plus de sérénité.
Ce qui m’a le plus marqué sur ce projet, c’est la solidarité, l’aspect très familial qui a toujours été présent, dans les bons comme dans les mauvais moments. Car oui, tout n’a pas toujours été facile : il a parfois fallu se serrer les coudes, mais heureusement tout s’est bien terminé et on peut être fier du succès inconditionnel de cette mission. »
François Mignard
Orlagh Creevey - OCA (Observatoire de la Côte d’Azur)
« J’ai rejoint le projet en 2013… Juste avant le lancement ! J’ai alors été prise dans un véritable tourbillon, j’ai vécu beaucoup de choses très fortes, comme la rencontre du project scientist de l’ESA, mais aussi la visite du CNES. J’étais très impressionnée de rencontrer autant de personnes d’un coup ! J’étais alors en post-doc, donc en quelque sorte le « bébé » de l’équipe. On peut dire que j’ai grandi avec Gaia, c’est un projet au cours duquel j’ai énormément appris, et qui m’apporte encore beaucoup aujourd’hui. Quand je regarde le chemin parcouru, je suis très fière de tout ce qu’on a accompli, tous ensemble ! »
Orlagh Creevey
Angélique Barbier, responsable mission et opérations - CNES
« Gaia pour moi, c’est la force du collectif. L’illustration parfaite est la sortie du troisième catalogue d’étoiles en juin 2022 et plus particulièrement la soirée DR3, où nous avons réussi à faire chanter "Un peu plus près des étoiles" à toute une salle, avec des ingénieurs, des directeurs… C’était un défi et depuis, c’est devenu une tradition. Je trouve que ça illustre à merveille la mentalité de ce projet, de cette collaboration exceptionnelle. S’il y en a un qui lance quelque chose, tout le monde le suit ! »
[Vidéo] Gaia, les coulisses du livre des étoiles
Vous connaissez Gaia ? C'est le livre des étoiles !
En 2022, c'était la sortie du volume 3 ! Dans cette vidéo, nous vous proposons de tourner les pages pour découvrir les coulisses de cette mission spatiale européenne : ses membres, son mode de fonctionnement et la façon dont on parvient à composer ce véritable trésor scientifique.
Christine Ducourant - Université de Bordeaux
« Depuis le lancement il y a 10 ans, il s’est passé quantité de choses incroyables et de découvertes formidables. Mais ce qu’on ne voit pas, c’est le travail de toutes les équipes derrière tout cela. Je me souviens d’un déplacement à Caltech à l'occasion de la sortie de la DR2 où on avait dû écrire un article en 24 heures, de réunions sur le coin d’une table dans un Starbucks à la recherche d’un peu de Wifi ou encore d’une réunion DPAC où on s’est tous réunis dans ma chambre d’hôtel, faute de salle de réunion. Ce sont des anecdotes qui nous font sourire aujourd’hui, mais qui permettent de bien se rendre compte de l’incroyable solidarité qui existe sur ce projet, malgré la distance. »
Christine Ducourant
Wilhem Roux, responsable de traitement scientifique de la cellule objets complexes - CNES
« Cela fait 4 ans et demi que je travaille sur le projet. Je n’ai donc pas vécu le lancement avec toute l’équipe, mais quasiment une moitié de vie de Gaia ! Ce qui m’a le plus marqué : le nombre de personnes qui travaillent sur ce projet. Je suis arrivé au moment du Covid, donc je n’ai malheureusement pas pu rencontrer tout le monde immédiatement. Je m’étais dit que je ne parviendrais jamais à mettre un nom sur chaque visage et finalement, aujourd’hui j’arrive à peu près à reconnaître qui travaille sur quoi. Lors des DPAC meetings, on se retrouve parfois jusqu’à 200 ! Cela représente bien la pluralité des acteurs qui travaillent pour Gaia, avec une parfaite coordination. Malgré la distance – certains se trouvent en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis, ou encore au Brésil – toute l’équipe parvient à collaborer ensemble en bonne intelligence et avec une grande bienveillance. S’il y a bien une chose que m’a appris ce projet, c’est que la distance n’est pas un frein au travail en équipe. »
Sur ces mots, souhaitons à nouveau un joyeux anniversaire à Gaia et à toutes celles et ceux qui rendent la mission si riche !
Sans oublier quelques images spectaculaires offertes par Gaia au cours de ces 10 années de vie dans l'espace...