En effet, grâce à l’analyse des données fournies par le sismomètre SEIS développé par le CNES, les chercheurs ont identifié l’existence d’une couche de silicates fondus entre le noyau liquide et le manteau. Ce nouveau modèle est pour la première fois en adéquation avec l’ensemble des données géochimiques martiennes. Cette étude permettra de mieux comprendre la formation et l’évolution des planètes telluriques en général.
Mars, une planète tellurique différenciée
Mars, tout comme les autres planètes telluriques différenciées (c’est-à-dire séparées en couches de compositions différentes), est composée d’un noyau métallique central entouré d’un manteau silicaté puis d’une croute à sa surface. Cette structuration en couches provient probablement de la solidification d’un océan magmatique primitif dans lequel les éléments fondus plus lourds (fer) ont été attirés vers le centre de la planète pour former le noyau sous l’effet de la gravité. Les éléments plus légers (silicates) sont quant à eux restés en périphérie pour former le manteau et la croute.
Cependant, la composition précise de l’intérieur de la planète Mars restait méconnue. Grâce à la mission InSight arrivée sur Mars le 26 novembre 2018, un sismomètre (SEIS) a pu être déployé pour la première fois à la surface de la planète.
Son objectif : caractériser les différentes enveloppes internes grâce à l’étude de la propagation des ondes sismiques. En effet, lorsque qu’un séisme se produit, la vitesse des ondes sismiques dépend de la composition et de la température des milieux traversés.
Durant les quatre années de la mission, les analyses des signaux sismiques enregistrés par SEIS sur plus de 1300 séismes (marsquakes) ont ainsi permis de déterminer et d’approfondir les connaissances sur la composition de la croute martienne, la structure de son manteau et la taille du noyau. Ainsi, les premiers modèles issus de ces données sismiques ont fourni une estimation de la taille du noyau autour de 1830 km (+-40 km) de rayon avec une densité relativement faible, entouré d’un manteau de nature homogène.
Nouveau modèle de l’intérieur de Mars
Cependant, ces résultats ont été récemment remis en cause dans une étude publiée le 26 octobre 2023 dans la revue Nature. Une équipe de chercheurs menée par Henri Samuel de l’IPGP (Institut de Physique du Globe) a alors proposé un nouveau modèle de l’intérieur de Mars dans lequel, une couche silicatée fondue est présente autour du noyau métallique. Cette découverte repose principalement sur l’analyse des signaux sismiques enregistrés suite à un impact de météorite survenu en septembre 2021. Plusieurs ondes ont ainsi été générées à la surface de Mars et se sont propagées dans le manteau et le noyau. Cependant, les chercheurs ont observé que le temps de propagation de l’onde diffractée à la surface du noyau était trop lent pour être expliqué par les modèles de l’intérieur de Mars publiés précédemment.
Selon Mélanie Drilleau, co-auteure de l’étude et Ingénieure de recherche à l’ISAE SUPAERO, l’impact de 2021 a été fondamental pour analyser les couches martiennes profondes car d’une part, sa localisation précise grâce aux images prises par les orbiteurs a permis une analyse de meilleure qualité, et d’autre part, sa distance au sismomètre était suffisante pour pouvoir étudier la propagation d’ondes dans le noyau. Il s’agit par ailleurs du plus gros impact de météorite enregistré par le sismomètre SEIS.
Ce nouveau modèle, incluant une couche de silicates fondus à la base du noyau, permet d’expliquer le temps anormalement long de propagation de l’onde diffractée observée suite à l’impact météoritique. En effet, afin que cette onde soit ralentie, elle doit traverser un milieu chaud et fondu, c’est-à-dire une couche ayant des vitesses sismiques suffisamment faibles pour ralentir leur progression. De plus ce modèle est, pour la première fois, compatible avec toutes les données géophysiques : géodésiques, cosmochimiques et expérimentales martiennes.
Un noyau plus petit et plus dense que prévu
L’existence d’une couche silicatée fondue à la base du noyau implique également que Mars a un noyau plus petit et plus dense que celui prédit initialement. Plus précisément, le noyau métallique est maintenant estimé à 1650 km de rayon (+-20km) soit entre 150 et 170 km de moins que précédemment. Sa densité a quant à elle augmenté de 5 à 8%.
L’origine du champ magnétique martien réévalué
Cette découverte implique aussi une réinterprétation de l’origine du champ magnétique martien. Le magnétisme sur Mars s’est éteint il y a environ 4 milliards d’années. Cependant, un champ fossile a été enregistré dans la croute martienne sur les 500-800 premiers millions d’années d’évolution de la planète. Un champ magnétique est produit lorsqu’un mouvement convectif a lieu dans le noyau métallique liquide s’accompagnant d’une perte de chaleur centrale. C’est l’effet dynamo thermique. Cependant, en raison des couches de silicates fondus isolant le noyau, celui-ci n’a pas pu se refroidir pour générer cette dynamo. Ce sont donc des sources externes qui ont été responsables de l’origine du champ magnétique primitif. Parmi ces sources potentielles, les auteurs citent des perturbations gravitationnelles causées par des satellites en orbite, aujourd’hui disparus, ayant entrainé des mouvements du noyau, des impacts très puissants de météorites ou une surchauffe précoce du noyau suite à la différenciation noyau/manteau. Ils précisent que : « Ces mécanismes, seuls ou combinés ont pu permettre la création d’une dynamo martienne durable sur plusieurs centaines de millions d’années ».
Nouveaux horizons de recherche
Nul doute que l’analyse des données fournies par la mission InSight et l’instrument SEIS vont continuer à produire de nouvelles découvertes remarquables et permettre d’affiner les modèles actuels de la composition interne de Mars. Par exemple, l’hétérogénéité de l’épaisseur de la croûte n’est pas prise en compte actuellement dans les modèles. Or l’épaisseur de la croûte diffère entre l’hémisphère Nord et Sud. Mélanie Drilleau précise que, très récemment, grâce à la mission InSight, des données absolues sur l’épaisseur de la croûte de Mars ont pu être calculées et une valeur de 40 km a été déterminée sous le sismomètre SEIS. Ce nouveau paramètre intégré aux modèles existants, combiné aux mesures de topographie et du champ de gravité, va permettre d’enrichir davantage notre connaissance sur la structure et la composition des différentes couches martiennes.
Rôle du CNES
Le CNES a supervisé le développement de SEIS, en partenariat avec l'Institut de Physique du Globe de Paris (Université Paris Cité/IPGP/CNRS), SODERN (groupe EADS), l’École polytechnique fédérale de Zurich, le Max Planck Institute for Solar System Research, l'Imperial College de Londres et le Jet Propulsion Laboratory. Le CNES a été le maître d’œuvre de SEIS et l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité/IPGP/CNRS) en a assuré la responsabilité scientifique. Le CNES a été responsable de l’intégration, des tests et de la fourniture de l’instrument complet à la NASA. Le CNES a également été responsable, au sein du SISMOC, des opérations du sismomètre SEIS grâce auquel de nombreuses études scientifiques ont pu être produites. Le CNES soutient financièrement ces recherches. InSight est la 12e mission du programme Discovery de la NASA.