Afrique du Sud - Le Cap : une métropole post-apartheid en profondes mutations sociales et urbaines

A la pointe méridionale du continent africain, la métropole du Cap est l’une des trois capitales de l’Afrique du Sud avec Johannesburg et Prétoria. Ville de 434.000 habitants, essentiellement littorale, elle est aussi le cœur d’une métropole de 3,7 millions d’habitants, le grand Cape Town, qui occupe la majeure partie de la plaine - les Cape Flats - qui lui sert aussi d’arrière-pays. Ville fondatrice, souvent politiquement frondeuse, elle constitue à la fois l’archétype et l’exception de la ville sud-africaine et concentre de multiples enjeux dans la plupart des domaines étudiés par la géographie. Métropole industrialo-portuaire mais aussi vitrine touristique urbaine de l’Etat le plus dynamique de l’Afrique australe, elle doit faire face aux défis liés à son expansion, aux contraintes environnementales induites par sa situation géographique mais aussi au poids d’une histoire qui a fracturé durablement le tissu urbain.
Mais par bien des aspects, La Mother City, la cité mère, comme l’appellent ses habitants, est surtout marquée par ses recompositions multiples et ses mutations, par ses emprunts divers à l’Europe et au monde nord-américain. Tournée vers la mer et les échanges, terre d’exil et de migrations volontaires, ville à la mode aussi, elle ne peut pas être qu’une vitrine du passé et ne cesse de construire son présent par une résilience mémorielle malgré les marques profondes et encore irrésolues de l’apartheid. Difficilement modélisable, souvent contradictoire, son évolution constitue une exception dans le territoire sud-africain, lui-même très fragmenté. En ce sens, Cape Town ressemble bien à une nation « arc-en-ciel » en construction.

 

Légende de l’image

 

L'image du Cap, ville la plus australe du continent africain,  et grande ville d'Afrique du Sud  a été prise par le satellite Sentinel 2B le 24 août 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2B, présente quelques repères géographiques de l'agglomération du Cap.

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Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2019, tous droits réservés.

 

 

 

 

Présentation de l’image globale

La métropole du Cap, archétype et exception de la ville sud-africaine en position maritime géostratégique à la pointe méridionale du continent africain

Un site spectaculaire mais contraignant : gestion de l’espace et alimentation en eau

Dans sa globalité, l’image nous montre, au centre, une immense plaine centrale sablonneuse, témoin d’un remblaiement ancien, (les Cape Flats) dont seules les parties Sud et Nord-Ouest sont urbanisées. Polyculture, vignoble et zones naturelles protégées se partagent les zones non bâties au nord et à l’est.

Cette plaine est encadrée, au sud-ouest, par la péninsule du Cap, vaste ensemble rocheux qui dessine une côte tourmentée et abrupte, balayée par les vents. Elle l’est aussi au nord-est par les contreforts occidentaux du massif du Swartberg. L’un et l’autre ensemble rocheux forment une partie de la ceinture plissée du Cap dont les mouvements sont bien visibles sur l’image sous la forme de stries de direction Nord-Ouest Sud-Est.

Au sud, entre les deux massifs qui semblent se jeter dans l’océan atlantique se dessine une large baie - la False Bay - en forme de fer à cheval. Son trait de côte est rocheux et sauvage au sud, sableux et presque totalement urbanisé dans sa partie septentrionale. C’est une zone à la faune aquatique très riche, célèbre pour ses grands requins blancs, aujourd’hui remplacés par une colonie d’orques. C’est aussi, malgré ce voisinage, un spot de surf réputé.

Au nord, on voit nettement se découper un littoral linéaire composé de vastes plages de sable blanc à l’urbanisation discontinue. A 10 km au large se trouve Robben island, une île au relief calcaire érodé. Dorénavant île musée classée au patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O., elle fut autrefois base militaire et prison pénitentiaire, dans laquelle Nelson Mendela fut emprisonné dans le quartier de haute sécurité pendant dix huit ans de sa vie de 1964 à 1982.

A cette échelle, la photographie ne montre pas un réseau hydrographique bien affirmé. Tout au plus aperçoit-on, se jetant dans False Bay, à la limite de la zone urbanisée, le sillon creusé par l’Eerste River qui prend sa source dans le Swartberg. En réalité, en l’absence d’un grand fleuve, la métropole est dépendante des eaux pluviales qui se concentrent dans ce massif ou dans celui de Table Mountain.

Par voie de conséquence, son approvisionnement en eau est tributaire des pluies essentiellement hivernales dans un milieu méditerranéen relativement sec. Elle concentre depuis quelques années des enjeux environnementaux majeurs liés au rapport à l’eau des urbains confrontés à des sécheresses à répétition, au changement climatique mais aussi à la hausse du niveau de vie et à l’urbanisation massive de ces soixante dernières années.

D’un ancien comptoir colonial sur la route des Indes à la ville
    
Malgré cette contrainte qui s’ajoute à l’exposition continue au vent, c’est sur ce site spectaculaire, dominé par la Montagne de la Table à l’ouest, qu’a été fondée en 1652 la ville du Cap par les marins hollandais de la Compagnie des Indes orientales (la VOC) pour le ravitaillement des navires en routes vers l’océan Indien qui avaient auparavant longé le long littoral désertique namibien.

Organisé originellement en camp retranché, dans la partie la plus occidentale du site, le premier établissement du Cap tournait le dos à la terre, blotti au fond d’une anse en eau profonde, et protégé du côté de la terre par un amphithéâtre montagneux naturel facile à défendre et dessiné par Signal Hill à l’ouest et Table Mountain à l’est.

C’est ainsi, à partir de ce comptoir colonial, que la ville du Cap commença sa croissance en prenant peu à peu possession par la force de son arrière-pays tout en peuplant les territoires conquis de mains d’œuvre importées, les unes libres venues d’Europe (Hollandais, Allemands, huguenots français, plus tard britanniques) et les autres esclaves en provenance d’Indonésie et de Madagascar. Chacune dans la diversité de ses cultures, librement ou sous la contrainte, marque de manière profonde la nature du peuplement du site, ses activités, son habitat.

C’est ce qui explique à la fois la très grande complexité à plus grande échelle de la trame urbaine, la force des fracturations socio-spatiales et les nombreuses recompositions qui font l’originalité de la métropole.

Une ville entre contraintes, croissance urbaine et recomposition des héritages post-apartheid

A l’échelle de l’image globale, l’impression est celle d’une amplification qui semble continue du tissu urbain assez typique de l’urbanisation des pays émergents dont l’Afrique du Sud fait partie. Adossée à la péninsule, la métropole a progressivement gagné vers le sud et le nord-est, colonisant au passage, de manière plus perlée, une grande partie du littoral au nord.

Mais elle témoigne aussi de recompositions urbaines successives qui tiennent à différents contextes. Le premier est économique. La ville du Cap a été par son origine même liée aux échanges et s’est adaptée aux processus successifs de mondialisation, ce qui explique la refonte de son centre-ville (le Downtown) et de de sa façade portuaire (cf. zoom 1).

Le deuxième est démographique car la métropole propose une double interface. La première est maritime et a constitué jusqu’à nos jours la porte d’entrée d’un peuplement exogène très divers. La seconde est terrestre par le biais d’un exode rural continu qui a provoqué une part importante de l’urbanisation récente, surtout dans la partie sud de la métropole où l’on trouve les plus grandes zones d’habitat informel (township de Khayelitsha (zoom 2).

Le troisième est politique, c’est celui de l’apartheid, qui a laissé des marques profondes dans la structuration de l’habitat malgré de très fortes résistances. Sans nul doute, Le Cap présente-t-il l’exemple le plus abouti de cette politique alors même que les populations et les édiles urbains y étaient les plus opposés.

Ces recompositions urbaines tiennent sans nul doute aussi au fait que, contrairement à d’autres villes coloniales, celle du Cap n’a pas été pensée au départ comme une véritable ville mais comme un comptoir et qu’en conséquence, elle n’a jamais bénéficié d’un plan de développement urbain. Lorsque le groupe d’architecte Transvaal réfléchit à la fin des années 1930 à la réaffectation des espaces urbains inadaptés à l’activité économique, il opte, sous l’influence de Le Corbusier, pour des greffes radicales sur le corps urbain existant et pour la destruction d’une partie du centre historique pour remédier au « cafouillis » né d’une croissance trop rapide et trop peu pensée.

Entre développement anarchique et recomposition radicale, cloisonnement des populations par ailleurs diverses quelle que soit leur couleur de peau, le Cap apparait comme un « mille-feuilles » fracturé à la fois spatialement et socialement de manière très complexe.

Sans nul doute, ce particularisme est-il à l’origine d’un mode de vie spécifique et de sociabilités particulières qui ont rendu plus difficile, malgré les séparations, la mise en œuvre d’un apartheid absolu. De fait, la métropole fut la première à supprimer la ségrégation dans les sports (1976), dans les transports et sur les plages (1978) De la même manière, ce particularisme explique aussi les nouvelles mutations de l’habitat et le début d’un brassage interethnique que nous observons aujourd’hui.

Elle constitue de ce fait un laboratoire de la recomposition d’une société polyfracturée dont on peut se demander si elle engendrera un modèle urbain reproductible.

Une vitrine touristique d’une société et d’une ville en lente recomposition

De ce fait, Cape Town est bien une vitrine sud-africaine d’une société en recomposition, à bien des égards, différente de celle des autres métropoles du pays, en premier lieu celles du Gauteng et beaucoup plus proche de l’idée que l’on se fait en Occident de l’Afrique du Sud de Nelson Mandela, devenu par ailleurs l’icône de la ville.

Cette vitrine est aussi touristique. Ville à la mode du tourisme mondialisé, festive, étudiante, le Cap combine les atouts de son site (l’imaginaire lié au Cap de Bonne-Espérance, le panorama spectaculaire de Table Mountain, ses vignobles en climat méditerranéen…), de la vie intense d’une ville dont la moyenne d’âge des habitants n’excède pas vingt-huit ans. Mais elle est aussi le fruit d’une histoire longue et fondatrice de l’identité multiple du pays « arc-en-ciel », résolument cosmopolite et mondialisée.

Seconde porte d’entrée pour les touristes internationaux après Johannesburg, elle réussit, contrairement à sa concurrente, à les maintenir dans l’ensemble métropolitain. L’enjeu est de taille d’un point de vue politique et fait du Cap une ressource du Soft Power du pays. La métropole est par ailleurs l’un des moyens les plus simples pour l’étranger de se confronter à la complexité de la société sud-africaine dont il finit par subodorer les fractures derrière la façade lissée du « vivre ensemble » métropolitain. Les symboles mémoriels présents partout dans la ville, juxtaposés, parfois contradictoires, peuvent, par ailleurs, l’y aider.

Cependant, le tourisme a aussi un impact important dans la ville. La mise en place d’un quartier central touristique (V&A Waterfront), la pression immobilière très forte des zones littorales centrales (Green point et Sea Point), une certaine forme de muséification du centre historique, pousse à la gentrification de quartiers bordiers (Woodstock) et modifie les équilibres sociaux dans la ville soit dans le sens d’un plus grand brassage de populations jusque-là séparées, soit dans l’expulsion pure et simple des populations les plus fragiles, majoritairement noires.

Cape Town : une métropole de pays émergent en constante recomposition

Au total, comme le montre l’image générale et le traitement des zooms, Cape Town semble correspondre au modèle de développement urbain que l’on observe dans les pays émergents. Un centre urbain de dimension relativement modeste qui s’étend de manière spectaculaire pour former une métropole du fait d’un flux continu de populations souvent pauvres qui peinent à trouver un habitat même précaire en périphérie.

Ce modèle de développement des villes d’Asie du Sud comme Mumbai, parfois sud-américaines comme Sao Paulo, correspond toutefois très imparfaitement à la réalité du développement de la Mother City. D’abord, la chronologie n’est pas la même. Ville industrialo-portuaire, Le Cap s’est développé « hors les murs » sur un temps plus long qui couvre la seconde partie du XIXème et l’ensemble du XXème siècle.

Mais c’est surtout la constante recomposition de la ville qui en fait toute la particularité. Ville construite sans véritable réflexion urbanistique, étendue dans ce que les architectes sud-africains eux-mêmes qualifiaient de « cafouillis urbain », Cape Town s’est structurée par mues successives dans le même temps qu’elle s’est étendue. Qu’il s’agisse de son centre remanié au milieu du XXème siècle par destruction d’une partie de son centre historique ou des périphéries crées et remaniées durant et l’après apartheid, la ville donne l’impression d’être en perpétuelle conquête ou reconquête d’elle-même.

On trouve ainsi au Cap, non pas la possibilité d’une modélisation mais de plusieurs. Ainsi le Downtown moderne et les banlieues aisées de la périphérie font-ils davantage penser au modèle urbain nord-américain, de même que les banlieues ethnicisées. En revanche, les processus de gentrification des quartiers immédiatement périphériques évoquent davantage ceux des villes européennes tandis que la pression constante d’une ville en croissance est bien celle d’un pays émergent.

Le Cap et le Cap de Bonne-Espérance : une géostratégie océanique sud-africaine pour le développement du territoire

Le géographe, comme l’historien européen, ne peut développer qu’une attitude « régressive » vis-à-vis de la ville du Cap ou du Cap de Bonne-Espérance. C’est celle des souvenirs de l’enfance, des cartes projetées dans l’univers scolaire. Comme le Cap Horn, et sans doute plus que Suez, plus récent, mais autant que le détroit de Malacca, le passage de l’Atlantique vers l’Océan Indien est un appel au voyage. Il est peuplé des fantômes des grands découvreurs de l’époque moderne, il symbolise presqu’à lui seul la circumnavigation et la conquête de la longitude. Son nom inspire moins la terreur, qui fut celle des Cap-horniers peuplant les récits d’aventure, que l’endurance des marins au long cours. La ville du Cap, hanse offerte au repos ou au répit des hommes et des navires, symbolisa longtemps comme une respiration entre deux mondes, l’atlantique et l’indien, et finalement entre deux voyages de natures différentes.

Et pourtant, le passage du Cap de Bonne-Espérance qui fut d’abord nommé Cap des Tempêtes, n’est pas des plus simple au plan maritime. Avant l’apparition des navires à vapeur et des coques en acier, il fut redouté des marins. Il demeure aujourd’hui toujours délicat. Les vents y sont particulièrement violents une grande partie de l’année, les tempêtes éprouvaient durement les navires de bois fatigués par des mois de navigation le long des côtes africaines depuis l’Europe ou depuis les comptoirs indiens. Le passage de la côte namibienne, aussi appelée côte des squelettes à cause des navires drossés à la côte, a longtemps effrayé les marins. Les naufragés, bloqués entre l’Océan et le désert du Kalahari n’avaient guère de chance de survivre. De la même façon, le détroit du Mozambique et ses vagues scélérates, ont provoqué maintes disparitions de navires. Enfin, l’accès au port de Cape Town demeura, du temps de la marine à voile, particulièrement compliqué, ce qui obligea les Hollandais à aménager un port de secours, False Bay, de l’autre côté de la péninsule. Encore fallait-il d’abord franchir le passage…

On comprend bien l’importance géostratégique du Port de Cape Town et ainsi du Cap de Bonne-Espérance, au moins jusqu’à l’ouverture du Canal de Suez (1869), en mettant en balance les moyens techniques de la navigation maritime - le ravitaillement des hommes puis des hommes et des machines - et la mise en œuvre de la route maritime majeure vers les Indes orientales (Java, Ceylan, les Moluques puis les comptoirs des Indes proprement dites).

Mais paradoxalement, ce qui fit le succès initial de l’Aguada de Saldanha - le nom original donné par Bartolomeu Dias à ce qui deviendra la baie de la Table en 1652 - fut l’absence de prise de possession par les premiers explorateurs portugais. Reconnue en 1503, elle fut délaissée en 1510 au profit du Mozambique après le massacre du vice-roi des Indes orientales et de sa nombreuse suite par les populations khoekhoe. En l’absence de domination européenne sur le site durant un siècle et demi, le site devient un refuge pour les navires non seulement portugais mais aussi anglais, français et surtout néerlandais à la recherche d’un abri ou de ravitaillement.

Progressivement, ce qui devait n’être qu’une escale devient l’occasion d’un commerce lucratif entre les marchands européens et les peuples khoekhoe. Fer et cuivre étaient échangés contre la viande fraiche nécessaire à la poursuite du voyage. C’est l’épuisement de ce système d’échange - trop de navires à ravitailler par une société d’éleveurs où le statut social était déterminé par le nombre de têtes de bétail possédé - et les hasards d’un naufrage qui firent basculer la région dans une autre dimension.

L’échouage du Nieuwe Harlem en 1647, la survie de son équipage au bout d’un an grâce aux bonnes relations tissées avec les khoekhoe, persuadèrent les dirigeants de la compagnie des Indes orientales néerlandaises - la fameuse VOC - d’installer une station de ravitaillement permanente dans la Baie de la Table. Pour les Néerlandais mais aussi pour les khoekhoe, l’avantage était d’étaler les demandes de bétail et ainsi d’éviter les pénuries et le système du « premier arrivé, premier servi », ce qui évitait du même coup les tensions violentes entre marins mais aussi avec les khoekhoe. Un second avantage était de multiplier les formes d’approvisionnement. A la viande et aux légumes cultivés dans les jardins de la colonie s’ajoutèrent dans les décennies suivantes le blé et le vin. Ces nouvelles productions furent rendues possibles par la mise en œuvre du travail servile par l’importation d’esclaves venus du Mozambique et de Madagascar et par un flux migratoire constant et croissant en provenance d’Europe (d’un millier par an en 1700 à 25.000 en 1800).

Tourné vers la mer, le territoire de Cape-Town fut organisé à l’aune des besoins du commerce maritime à longue distance. C’est cette organisation qui fut responsable de l’extension de la colonie avec la création de terroirs agricoles et viticoles en contrebas de Table Mountain, la création de chantiers navals et celle des premiers docks. Cette orientation maritime entraina aussi deux phénomènes : le premier fut son insertion dans le maillage des routes de commerce de la Grande-Bretagne. Le second, la réorientation géostratégique du Cap comme point d’appui de la colonisation de l’Afrique australe.

Colonie Hollandaise, Cape Town n’échappa pas aux vicissitudes de la grande politique européenne durant la révolution et du premier empire. Tombant dans la zone d’influence française en 1795, la Hollande fut dépouillée de ses possessions coloniales par les Britanniques qui craignaient que les Français ne coupassent leurs routes commerciales. Le Cap n’échappa pas à la règle. Rétrocédée en 1803 après le traité d’Amiens, la colonie fut de nouveau occupée en 1806 puis définitivement acquise par les Britanniques lors du traité de Paris de 1814. Dès lors, Le Cap fut la porte des Indes britanniques, étape obligée de la route menant de Londres à Bombay ou Calcutta.

La prise de possession de la colonie du Cap par les Britanniques entraina progressivement celle de l’ensemble des territoires qui constituent aujourd’hui l’Afrique du Sud, formant, avec l’Egypte, l’un des deux verrous de la colonisation britannique en Afrique de l’Est. De ce fait, Cape Town, comme Bombay en Inde, se trouvait au carrefour de voies maritimes et terrestres de première importance. Jusque dans les années 1860 et la découverte des gisements de diamant et d’or dans le Natal et le Transvaal qui entraina la création du port de Durban, Le Cap fut la source de l’extension coloniale afrikaner puis britannique. C’est en effet du Cap que partit entre 1836 et 1838 le Grand Trek des boers avant que leur première colonie du Natal fût annexée par les Britanniques. Elle servit de réservoir démographique par l’apport de populations européennes. En revanche, c’est à Durban que débarqua la main d’œuvre indienne à partir des années 1860, symbole du développement rapide de la région du Natal et d’un basculement du centre de gravité économique de l’Afrique du Sud vers le Nord et l’Est.

C’est durant cette période que le port du Cape-Town commença à prendre son visage actuel avec le creusement des bassins Alfred puis Victoria dont la symbolique était celle d’une maturité de la colonie Sud-africaine dont l’intégration dans le système colonial britannique reposait à présent sur l’exportation de matières premières non seulement agricoles mais aussi minières.

C’est aussi ce qui explique en partie que malgré l’ouverture du canal de Suez en 1869, les infrastructures portuaires du Cap n’ont cessé de se développer, à l’image de l’ensemble de la façade portuaire de la colonie. La ruée vers le diamant mais encore davantage vers l’or du Transvaal a entrainé le transport d’un important tonnage vers l’Afrique du Sud et d’un grand nombre d’immigrants.

De la même manière, les conflits que le pays a connus au XXème siècle, tout comme le choix politique de l’Apartheid, n’ont pas enrayé le développement de la structure portuaire originelle du pays, bien au contraire.

A peine terminé en 1898, le bassin Victoria se trouva mobilisé pour amener les troupes britanniques et leur matériel durant la seconde guerre des Boers et autant après la paix pour développer les infrastructures du pays et les capacités de production industrielles. Parallèlement, la façade portuaire sud-africaine se développa avec, en premier lieu, sur la façade de l’océan indien, la création du port de Durban en 1893 pour le transport du charbon (il devint ainsi le premier port du pays en tonnage) mais aussi Port Elisabeth et East London.

Si la première guerre mondiale et la grande dépression des années 1930 ont nui au transport maritime, faute de navires mobilisables, le port du Cap retrouva la prospérité dès le milieu des années 1930. En témoigne la construction d’un nouveau bassin faisant plus que doubler la capacité du port. La fermeture de la route maritime entre Suez et Gibraltar durant la seconde guerre mondiale, la nécessité de constituer des convois et l’envoi de troupes sud-africaines sur les théâtres d’opération d’Ethiopie, de Libye et d’Italie ont nécessité encore l’extension de la plateforme maritime. A l’abri des flottes d’U-Boot allemands ou japonais, elle constituait une étape sécurisée avant le franchissement de l’Atlantique et de l’Océan Indien.

La politique d’Apartheid mise en place à partir de 1948 et les sanctions internationales afférentes ont eu des effets contradictoires sur le port du Cap et le commerce sud-africain en général et ce pour plusieurs raisons. Le caractère tardif des sanctions économiques mises en place dans le cadre des Nations Unies (résolution 1761 de 1962) mais surtout leur caractère non contraignant a moins dégradé le commerce sud-africain que persuadé les dirigeants de la nécessité de maintenir et de renforcer leur appareil industriel (22 % du P.I.B. en 1985). La construction à la même date de l’extension pétrolière du port du Cap en témoigne.

Sentinelle avancée de l’Occident alors que les colonies portugaises d’Angola et du Mozambique étaient minées par la guérilla communiste, luttant contre l’ANC soutenue par l’U.R.S.S., l’Afrique du sud de l’Apartheid n’a jamais été sanctionnée par aucune des puissances occidentales. La fermeture récurrente du canal de Suez, durant les guerres israélo-arabes, rendait plus que nécessaires les infrastructures portuaires sud-africaines.   De ce fait, ni le résolution 1761, ni l’appel de 1963 à l’interdiction des ventes d’armes n’ont été appliqués, laissant aux mouvements de citoyens comme le Boycott Movment en Grande-Bretagne ou le comité français contre l’apartheid, le soin de porter dans l’opinion les valeurs humanistes et démocratiques. En 1976, le port de Cape Town se dotait d’un port à conteneur et fut doublé par la création d’un nouveau terminal à Saldanha Bay pour le commerce de vrac et de pétrole tandis que Durban, sur l’océan Indien, devenait le premier port généraliste du pays et que les ports plus spécialisés comme Port Elizabeth ou East-London, continuaient à se développer grâce à l’industrie automobile.

La situation de l’Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid, loin d’être amoindrie, se trouvait ainsi paradoxalement renforcée par un isolement plus que relatif. Par le maintien d’une industrie puissante capable d’assurer la vie économique du pays, d’excellentes infrastructures routières, ferroviaires et portuaires, elle portait et porte toujours la possibilité d’une émergence de l’ensemble de l’Afrique australe. Avec la fin de l’U.R.S.S. et l’apaisement progressif des relations avec son voisinage qui tranche avec le chaos actuel de l’Afrique sahélienne, sa situation géostratégique s’est enrichie.

Un simple coup d’œil sur les principaux produits échangés dans les ports généralistes (comme Durban ou Cape-Town), leur provenance ou leur destination, montre une réorientation d’une partie significative du commerce sud-africain vers les pays émergents. La Chine, avec laquelle l’Afrique du Sud a des liens privilégiés est le premier client (9 % des exportations) et le premier fournisseur du pays (18 % des importations). L’Inde est le quatrième fournisseur et le sixième client. En regard, la position de l’ancienne puissance coloniale est plus modeste (huitième fournisseur et quatrième client). La structure des exportations qui fait la part belle aux minerais mais aussi aux produits industriels comme l’automobile et aux services comme le secteur des voyages, est celle d’un pays émergent, développé sur le modèle du « vol d’oies sauvages »

L’intégration de l’Afrique du Sud à la mondialisation comme le montre le cas de Cape Town est ainsi une nouvelle étape d’un développement qui vise à la diversification des sources d’importations et d’exportations en utilisant la vieille route maritime du Cap de Bonne-Espérance. Elle montre une croissance qui se fait par dilatation spatiale du développement à partir des littoraux plutôt que par rupture ou modification des équilibres géographiques comme cela a été le cas dans la construction d’un territoire comme le Brésil. L’impératif géographique de trouver des débouchés externes, la difficulté de commercer avec ses voisins moins développés tournent l’Afrique du Sud vers les océans, source de croissance nécessaire à une société qui demeure fortement inégalitaire et fragile.



 

Zooms d’étude

 

 

 



Un centre métropolitain entre recomposition moderne, muséification identitaire et mise en tourisme


Accéder à l'image ci-contre avec les repères géographiques

Des restructurations des XIXème et XXème siècles…


Le district central de la métropole du Cap - c’est-à-dire la ville de Cape Town proprement dite - est la partie la plus dense du « mille feuilles » urbain. Celui-ci se compose de trois parties : la zone ancienne autour du Fort de Bonne-Espérance et du quartier des jardins, la zone moderne du Downtown et des docks, la zone balnéaire de Green Point et Sea Point.

Cependant, organiser l’étude de l’espace urbain de Cape Town en découvrant les couches les unes après les autres n’a guère de sens et ne permet pas de comprendre la réalité organique de l’ensemble urbain. Ce n’est donc pas dans une perspective de construction historique qu’il faut étudier la ville mais plutôt, comme le souligne dans sa belle étude Nicolas Lemas, dans sa fonctionnalité réinventée. Cela revient à étudier la métropole du Cap selon les mêmes questionnements qu’une ville européenne, ce qu’elle est en grande partie mais aussi avec ses influences américaines marquées.

Globalement, cette partie de l’image nous montre le site originel de la ville et ses premières extensions, que les habitants appellent le « City Bowl. » Mais, contrairement au modèle classique des villes portuaires affichant leur histoire en front de mer, la ville s’est développée sur celui-ci dès les XIX et XXème siècles, reléguant à l’arrière son ancien centre historique.

Au nord, la façade portuaire possède une double fonction. A l’ouest, le Victoria & Alfred Waterfront - quartier de docks industriels construit dans les années 1860 - a été réhabilité dans les années 2000 pour devenir un mall touristique comprenant de nombreux restaurants, centres commerciaux et boutiques à destination des touristes. Lieu de promenade très surveillé par les services de sécurité mais aussi très prisé par les classes moyennes et supérieures du Cap, il est la nouvelle vitrine d’une métropole résolument tournée vers le consumérisme.

Le bassin est essentiellement occupé par des navires de plaisance et les petits bateaux de croisière menant à Robben Island, célèbre pour avoir été un des lieux de détention de Nelson Mandela durant l’apartheid. A l’extrémité Est du V&A, le musée d’art contemporain africain (le Zeitz Mocaa), construit dans d’anciens silos à grains à l’intérieur d’une zone totalement reconstruite de buildings de verre et d’acier, complète l’offre en mêlant patrimoine industriel et avant-garde de l’art africain.

A l’est, le port maritime combine docks, entrepôts, terminal pétrolier et plateforme multimodale. Il est le véritable cœur de la ville et dont dépend une industrie très diverse (pétrochimie, textile, papeterie, agro-alimentaire). On voit à l’image, au large du port, le ballet continu des cargos et porte-conteneurs. Comme le souligne Marie-Annick Lamy-Giner, « les principales importations de produits bruts sont le pétrole l’alumine ou la potasse tandis que les exportations touchent les produits semi-finis (aluminium, acier, pâte à papier ou propylène) et finis (automobiles, engrais, textiles synthétiques ou matières plastiques) ».

Bien excentré par rapport au cœur économique sud-africain, le port du Cap, situé sur une route maritime majeure, demeure important et gagne des parts de marché depuis les années 2000 grâce à la conteneurisation (autour de 250.000 EVP/an). Ses principaux débouchés à l’exportation sont l’Europe et l’Asie (vins et spiritueux). Les relations avec le Moyen Orient, très fortes aussi, sont liées à l’importation de produits pétroliers.

A l’arrière de ce front de mer double, se trouve le Downtown, le quartier d’affaires moderne du Cap. Dessiné au début des années 1930 par le groupe d’architecte Transvaal très influencé par les idées de Le Corbusier, il a été urbanisé progressivement dans les années 1960 à 1990. Ce quartier à l’architecture verticale et au plan géométrique est un quartier de bureaux à l’américaine qui concentre l’essentiel des migrations pendulaires de la ville. Il est irrigué par les voies ferrées de la gare centrale et deux autoroutes urbaines (la N1 et la N2).

… relèguent au second plan le centre historique muséifié et diversement identitaire.

C’est donc à l’arrière des structures portuaires et du quartier des affaires, ou Central Business District, que se trouve le centre-ville du Cap organisé autour de trois ensembles articulés entre eux : le château de Bonne-Espérance et la place de Grand Parade, le quartier de Long Street et enfin, celui des Jardins. Chacun possède une charge identitaire forte, plurielle et parfois contradictoire.

La place de Grand parade, occupant l’emplacement du premier fort du Cap, est celle des grands rassemblements, militaires et judiciaires au temps des colonisations hollandaises et britanniques, mais aussi politiques. C’est au balcon de la mairie historique, qui est le principal monument bordant la place, que Nelson Mandela tint son premier discours après sa libération en 1990.

La triple symbolique, liée à la domination afrikaner et britannique puis à la libération des contraintes politiques, existe de la même manière au château de Bonne-Espérance. Le plus ancien bâtiment d’Afrique du Sud, construit en pierre de Hollande dans le style classique d’une forteresse à bastions, combine ces trois facteurs identitaires. Musée à la symbolique fracturée - la colonisation hollandaise, la prise du contrôle du pays par les Britanniques, la mémoire des chefs de tribus emprisonnés, il met en scène, non seulement la mémoire de l’autre mais aussi les crimes de chacun, symbolisant ainsi la nation sud-africaine réconciliée, du moins avec son passé.

Le quartier de Long Street est le cœur du « City Bowl » et constitue l’autre centralité touristique et identitaire de la ville. Constitué de rues commerçantes souvent piétonnes et bordées de maisons de style colonial hollandais, il abrite les principaux monuments religieux témoignant de la diversité des formes de christianisme pratiquées par les populations européennes qui ont émigré au Cap, qui sont autant de lieux mémoriels hérités de la colonisation. Ce « cœur de ville » abrite néanmoins, depuis la fin de l’apartheid, deux lieux mémoriels majeurs de la communauté noire et coloured : le musée de l’esclavage situé dans les lieux de l’enfermement des esclaves travaillant pour la VOC et le musée du District six, un ancien quartier mélangé progressivement détruit dans les années 1960-1980, victime de la politique d’apartheid qui souhaitait en faire un quartier exclusivement blanc.

Le quartier de Company’s Garden, appelé communément le quartier des jardins, se trouve à l’emplacement des terres cultivées par la VOC pour ravitailler les navires marchands. C’est le cœur politique de la métropole, capitale législative du pays. Autour des bâtiments politiques et administratifs de style colonial, les parcs et jardins d’agrément dans le style anglais, peuplés d’oiseaux et d’écureuils rappellent l’ancienne métropole et sont ornés de statues, mémoriaux témoignant de l’histoire sud-africaine (Mémorial du Bois Delville, statue de C. Rhodes…).

Enfin, à la périphérie du City Bowl, adossé à Signal Hill, comme une extension du centre historique, se trouve le quartier de Bo Kaap, le quartier musulman du Cap très connu pour ses maisons basses et dont les couleurs très vives ont longtemps été un symbole identitaire très puissant pour ces descendants de Malais de langue afrikaner, asservis et amenés de force dans la colonie au cours du XVIIème siècle.

… et mettent en valeur des franges littorales très différentes

La différenciation des zones littorales qui se trouvent à l’Ouest et à l’Est du City Bowl, est une spécificité de l’espace urbain qui témoigne de l’héritage des aménagements anciens mais aussi de la restructuration contemporaine de la ville.

Le littoral qui s’étend à l’ouest du V&A Waterfront est celui de stations balnéaires qui profitent de l’étroite bande de terre qui sépare la mer de Signal Hill et en escaladent les premières pentes (Green point, Sea Point, Clifton et Camps Bay). Ces stations où la pression immobilière est très forte et dont les quartiers sont très surveillés par des compagnies privées de sécurité ressemblent parfois à des Gated Communities à l’américaine. Majoritairement blanches et anglophones, les plus proches du Cap comme Green Point sont de plus en plus vouées à l’habitat touristique international sous la forme de maisons d’hôtes ou d’hôtels classiques. Les plus éloignées sont peuplées par les habitants les plus aisés du Cap.

A l’Est, Woodstock, le quartier des docks, témoigne d’une réalité très différente. Le premier quartier exclusivement noir de la ville dont la population a été expulsée au début du XXème siècle pour être cantonnée dans les premiers townships, est longtemps resté dans un relatif abandon avant de commencer à être réhabilité au début des années 2000, au moins pour sa partie gentrifiée.

Coupé en deux par la voie ferrée qui relie Le Cap à Johannesburg et à Harare au Zimbabwe, le quartier autrefois voué aux activités industrielles et de stockage présente aujourd’hui une double fonctionnalité. La partie littorale demeure occupée par les Docks qui se sont enrichis d'une zone de stockage de conteneurs. Seule exception à cet espace voué à l’activité portuaire, la présence du Royal Cape Yacht Club, niché au fond du port industriel.

En revanche, la partie du quartier en retrait de la voie ferrée, reliée au centre-ville par l’Albert Road, a subi une refonte totale. Sa rénovation, contemporaine de celle du V&A Waterfront qui n’est pas encore achevée, s’est accompagnée d’un processus de gentrification très puissant. Devenu le quartier des antiquaires, il est le troisième pôle touristique du Cap, dont le symbole est l’Old Biscuit Mill, un ensemble d’entrepôts rénovés et transformé en un mall de boutiques branchées et de restaurants à l’ambiance jeune, festive et… blanche.

Un peu plus à l’Est, le quartier de l’observatoire (Observatory) est le quartier étudiant de la ville et celui de la vie nocturne, ce qui renforce l’attractivité de ce pôle littoral oriental. La Black River ferme cet ensemble urbain au-delà duquel se trouve la zone résidentielle à l’identité plus afrikaner à l’Est et au Nord mais aussi la zone des townships au Sud.

 

 

 



De Table Mountain aux Cape Flats, un urbanisme « en lanières » aux multiples fracturations


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L’image nous montre l’extension périurbaine du Cap dans sa partie méridionale qui forme aujourd’hui l’essentiel de l’aire métropolitaine. Cette extension s’est réalisée en faisceaux tendant des lanières urbaines de natures différentes vers le sud et le sud-est. Elle témoigne aussi d’une urbanisation très rapide au cours du XXème siècle qui se poursuit aujourd’hui.

Bordant la montagne de la Table, dont les pentes sont couvertes de forêts ou végétalisées au nord (Newlands forest et parc botanique de Kristenbosch) et de vignobles au sud, se trouve une première banlieue résidentielle qui suit le relief du nord au sud : Bishop’s court, Klassenbosh, au nord, Belle Ombre Fingrave, Westlake et Tokai au sud. Cette zone résidentielle, comprenant de belles maisons et villas arborées, est limitée au sud par la réserve naturelle de False Bay et la route M 17 qui crée une frontière et une zone tampon avec une seconde lanière de direction nord-sud formée par les townships.

Cette deuxième lanière, plus étroite au nord qu’au sud constitue un triangle dont la pointe est la zone industrielle n°2. Elle est limitée à l’est par la M17 et à l’ouest par la route N2. A l’intérieur de cette zone, les townships ont des formes très différenciées en fonction de leur taille, mais surtout de leur ancienneté. Le plus ancien est celui de Langa, fondé en 1927 qui est habité par 58.000 habitants. Il est séparé, à l’ouest, par une simple voie ferrée du quartier de Pinelands, ville jardin à majorité blanche fondée dans la même décennie.

En lui-même, Langa se divise en deux parties bien nettes. La partie nord, rénovée dans les années 2000, présente l’aspect d’un véritable quartier aux maisons et petits immeubles construits en dur. La partie sud - donnant sur la Settlersway, l’autoroute qui dessert l’aéroport international du Cap - comprend, en revanche, un habitat informel que les autorités souhaitent supprimer. On observe d’ailleurs depuis la route, le front pionnier des réhabilitations qui avance d’années en années malgré la densification du bidonville. Malgré la ségrégation mise en place durant l’apartheid, on observe un échange de population de Langa vers Pinelands qui fut durant longtemps un bastion de l’alliance démocratique anti-apartheid et qui attire aujourd’hui les plus aisés des habitants du township.

Au sud de Langa, Athlone est la banlieue coloured du Cap, un quartier de classe moyenne en cours de gentrification. Peuplé de 237.000 habitants, il mélange activités industrielles, commerciales et fonction résidentielle. Il est aussi le territoire qui a le plus bénéficié des rénovations urbaines, non seulement de l’habitat mais aussi du tissu industriel dont les entreprises les plus polluantes ou anciennes ont été remplacées par des quartiers d’habitations.

Entre Athlone et Flase Bay, le Township Philippi (Philippi Farmland et Mitchell’s plain), présente le profil d’un township rural bien visible à l’image par ses zones de cultures. L’urbanisation, souvent informelle au sud dans la partie donnant sur False Bay, se transforme à l’est par un véritable quartier d’habitation construit en dur.

Enfin, bordé à l’ouest par une zone naturelle et au nord-est par la route N2, le plus grand township du Cap, Khayelitsha est aussi, avec ses 241.000 habitants, le second township d’Afrique du Sud après celui de Soweto dans la banlieue de Johannesburg. C’est aussi le dernier créé par le régime d’apartheid, dans les années 1980 pour accueillir une population venue de la région du Cap oriental, mais aussi pour désengorger les townships surpeuplés de la métropole. L’habitat informel y est encore prépondérant et le quartier reste replié sur lui-même malgré de belles initiatives individuelles visant à attirer des touristes et créer une activité labelisée sur le modèle adopté à Soweto.

 

 



Le parc naturel métropolitain : Table Mountain et la péninsule du Cap


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Le nord de la Péninsule : la reproduction des fractures raciales métropolitaines

La péninsule du Cap présente, outre son aspect spectaculaire, l’originalité d’être un parc naturel qui ne fait pas que border la métropole mais s’y enfonce aussi profondément. Sa partie nord en constitue un vrai symbole identitaire avec Signal Hill et Table Mountain.

Formée de roches sédimentaires plissées, elle est coupée en deux par un sillon central bien visible à l’image qui permet de relier les plages de son littoral atlantique à False Bay. Ce sillon central est la seule partie urbanisée  - de Kommetjie à L’Ouest à Fish Hoek à l’est - à l’exception des enclaves de la côte qui forment un collier de perles de chaque côté de l’espace péninsulaire.

Ces dernières sont très diverses. Sur la côte atlantique, elles sont reliées entre elles par la Victoria Road qui serpente sur le littoral à flanc de montagne dont les panoramas sont en soi une attraction touristique (Chapman’s Peak). On trouve la station balnéaire de Camps Bay dominée par une ligne de crête impressionnante dont les villas huppées donnent sur une magnifique plage de sable blanc qui tranche avec la roche grise. Plus loin, le port de pêche d’Houtbay est très actif. C’est aussi le lieu d’où partent les petites croisières pour Duiker Island, refuge préservé des otaries.

Mais dans l’intervalle, un peu à l’écart, se trouvent aussi deux petits townships, Ocean View et Masiphumelele, créés pour loger le personnel des villas et surtout pour faire d’Houtbay une petite ville exclusivement blanche, dépossédant ainsi les pêcheurs noirs ou coloured de leur activité traditionnelle car ces deux townships se trouvent à l’écart du littoral. La partie habitée de la péninsule retranscrit ainsi les fractures socio-spatiales de la métropole. Ici, la population non blanche a été et reste concentrée dans le sillon central dont les deux façades maritimes sont résidentialisées, blanches et balnéaires.

Enfin, sur False Bay, Simon’s Town est l’établissement colonial le plus ancien. La situation de son port en eau profonde en a fait depuis le XVIIème siècle le port de secours en cas d’inaccessibilité de celui du Cap. Largement résidentialisée et mise en tourisme, la ville a aujourd’hui l’aspect d’un port de plaisance entouré de maisons de style colonial hollandais, souvent reconverties en hôtels et en restaurants. Une promenade, le long du cordon littoral, mène au site de Boulders, réserve naturelle aménagée pour l’observation des manchots du Cap.

Néanmoins, la ville conserve une vocation portuaire et militaire. Elle est en particulier le centre de commandement et le port militaire de la marine sud-africaine qui occupe une grande partie du site, au nord du port de plaisance. Plus loin, au débouché du sillon central, Risiview est une banlieue résidentielle et balnéaire du Cap.

Le sud de la péninsule : la rudesse mise en tourisme d’un « bout du monde »

Le sud de la péninsule et le Cap de Bonne-Espérance proprement dit ne sont pas habités. A seulement quarante-sept kilomètres du centre-ville, le « Cap des tempêtes », ainsi qu’il fut originellement nommé par les premiers navigateurs portugais, est l’une des régions les plus venteuses du globe, bordées de falaises abruptes, découpant de petites anses sableuses très peu abritées.

Ce territoire, sillonné par quelques routes à circulation limitée et très contrôlées par les gardes du parc naturel des montagnes de la Table, possède un relief relativement plat, rocheux, à la végétation rase, témoignant de fortes contraintes climatiques. Sa vocation est essentiellement touristique. La fréquentation s’y concentre essentiellement sur deux spots.

Le premier est le promontoire rocheux qui forme le Cap de Bonne-Espérance. Laissé à l’état naturel, c’est un éboulis dont les gros blocs calcaires, de formes ruiniques, semblent avoir été concassés par l’érosion. Il est aménagé de manière sommaire pour limiter l’impact de la présence humaine (escaliers de bois et itinéraire balisé pour canaliser le cheminement des touristes). Une barrière placée à l’entrée du site et derrière laquelle les touristes aiment à se faire photographier, indique l’endroit et le point de départ du sentier. La présence humaine, à l’exception de ces aménagements et d’un parking non goudronné, se limite à celle des visiteurs venus confronter leur imaginaire du « bout du monde » à la réalité d’un lieu sauvage et impressionnant où l’élément liquide se fracasse contre le minéral. L’horizon, à 180 degrés, est celui d’un Océan sillonné par quelques navires marchands et d’une côte montagneuse et découpée qui prend une teinte bleue tendant ainsi à fondre la limite entre la terre et la mer.

Le second spot se trouve sur un autre promontoire rocheux situé à quelques kilomètres à l’est, dominé par un phare et des aménagements plus conséquents. Il s’agit ici d’un petit comptoir touristique organisé autour d’un belvédère qui permet de voir à 360 degrés le nord de la péninsule, la côte orientale vers False Bay et le Cap de Bonne-Espérance proprement dit. On y accède par un funiculaire ou par un parcours piétonnier aménagé et végétalisé à l’esprit très britannique où chaque étape débouche sur des encorbellements laissant découvrir sur le site une vue différente. Au sommet, le touriste est amené à faire le tour du phare situé au bord d’une falaise impressionnante. Quelques boutiques et restaurants permettent de prolonger un peu la visite d’une véritable enclave où l’humain ne fait que passer, isolée et gardée par les babouins du Cap qui sont les vrais maîtres du lieu.

 

 



La banlieue Nord du Cap : les problématiques de l’enchevêtrement urbain


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Cette zone de la banlieue nord du Cap, située entre la West Coast et la réserve naturelle du Tygerberg à l’est dont on peut apercevoir les premiers sommets, présente une problématique propre au déficit d’aménagement urbain global de la métropole. Elle témoigne de l’imbrication complexe des zones d’activités industrielles, des territoires naturels, et de la fracturation ethnique des espaces résidentiels.

La West coast, bordée de longues plages de sable blanc avec vue sur Table Mountain, est aménagée entre deux réserves naturelles : Table Bay nature Reserve au sud et la Blaauwberg nature Reserve au nord. Table View et Bloubergstrand sont des stations balnéaires classiques, la première constitue la « grande plage » des habitants du Cap. La seconde est plus résidentielle. Dans les deux, la pression immobilière est moins forte que dans les quartiers balnéaires centraux. Elle est identitairement plus afrikaner aussi.

A l’arrière, dessinant un ovale urbain, le quartier de Parklands est divisé en deux parties - Sunridge et Flamingo Vle - de part et d’autre de la route M14 qui conduit vers la station balnéaire. C’est un quartier résidentiel aisé aux rues bordées de palmiers et aux villas arborées. La trame urbaine y est lâche, entrecoupée de parcs et jardins.

Plus à l’Est, séparée de Parklands par une zone humide, on peut voir la zone industrielle et commerciale de Killlarney Garden, qui concentre au Sud des industries pétrochimiques (raffinerie Astron) et au Nord, une grande zone commerciale et un circuit automobile, le Killarney Race Track.

Enfin, séparée de la zone industrielle par la route N7 à l’Ouest et la grande zone de vignobles à l’est ainsi qu’un couloir de lignes à haute tension, le quartier de Richwood, est un quartier de classe moyenne à majorité blanche, qui semble enclavé et témoigne autant des difficultés de créer de l’habitat que de mélanger les populations tant ethniquement que socialement. Hors photographie, l’aire métropolitaine continue de croître de l’autre côté du Tygerberg, le long de l’autoroute M1 dessinant les quartiers résidentiels plus éloignés de Bellville, Durbanville et Kraaifontein.

 

Image complémentaire

 

L'image ci-contre présente la région du Cap. Celle-ci a été prise par le satellite Sentinel 2B le 24 août 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

 

 

 

Références ou compléments

Sur le site Géoimage du CNES

Laurent Carroué : Namibie - Walvis Bay, un site portuaire exceptionnel en eau profonde enjeu de longs conflits géopolitiques

Références ou compléments

Paul Coquerel,  L'Afrique du Sud : Une histoire séparée, une nation à réinventer
Gallimard, 2010.

Fabrice Folio, Dark tourism ou tourisme mémoriel symbolique ? Les ressorts d’un succès en terre arc-en-ciel. https://journals.openedition.org/teoros/2862

Sylvain Guyot et Myriam Houssay, La nature, l'autre frontière : Fronts écologiques au Sud (Afrique du Sud, Argentine, Chili), ed. PIE Peter Lang, 2017

Marie-Annick Lamy-Giner, (Université de la Réunion), Les ports commerciaux d’Afrique du Sud https://mappemonde-archive.mgm.fr/num6/articles/art05205.html

Bernard Luga : Ces français qui ont fait l'Afrique du Sud, ed. Bartillat, 1999.

Francois-Xavier Fauvelle : Histoire de l'Afrique du Sud, ed. Points, 2016.

Myriam Houssay-Holzschuch, Mythologies territoriales en Afrique du Sud ed. CNRS éditions, 2000.

Nicolas Lemas, « Pour une épistémologie de l’histoire urbaine française des époques modernes et contemporaines comme histoire-problème », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°9, septembre-décembre 2009. www.histoire-politique.fr 
Estienne Rodary, L’Apartheid et l’animal : Protection de la nature et extinction de la modernité, ed. Wildproject Éditions, 2019 
Alta Steenkamp,  South African Journal of Art History - Corbusian Cape Town - urban surgery and the 1938 Congress Scheme, in  South African Journal of Art History, Volume 30 Number 4, Jan 2015, p. 90 – 102. https://journals.co.za/content/sajah/30/4/EJC184218

Contributeur

François Saulnier, agrégé d’histoire, professeur en géographie du tourisme, lycée Charles de Gaulle de Compiègne, Sorbonne Université.