Algérie/Libye : le Tassili n’Ajjer et les deux oasis de Djanet et Ghat, entre patrimoine, tourisme international, frontières et djihadisme saharien

A la frontière entre l’Algérie et la Libye, le massif du Tassili n’Ajjer fait partie de la ceinture discontinue de massifs gréseux qui forment l’auréole extérieure du système montagneux du Hoggar, l’un des deux principaux ensembles montagneux du Sahara. Les deux petites oasis qui se trouvent sur ses bordures occidentale - Djanet en Algérie - et orientale - Ghat en Libye - ont un temps profité du développement du tourisme national et international, basé sur les remarquables sites de peintures pariétales qui se trouvent sur le plateau du Tassili et dans le massif de l’Akakous. Le tourisme s’est effondré au début des années 2010 en raison de l’extension du djihadisme saharien. A l’écart des grandes voies de circulation, ces deux petites villes se trouvent désormais marginalisées.

 

Légende de l’image

 

Dans le sud-est du Sahara algérien, à la frontière avec la Libye, l'image du massif du Tassili n’Ajjer a été prise par le satellite Sentinel 2B le 8 mars 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2B, présente quelques repères géographiques de la région.

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Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2020, tous droits réservés.

 

 

 

 

Présentation de l’image globale

Le Tassili N’Ajjer et les deux oasis de Djanet (Algérie) et Ghat (Libye)


Le Tassili n’Ajjer : un massif de grès sur la bordure orientale du Hoggar, l’un des deux principaux ensembles montagneux du Sahara.

Le terme « tassili » désigne au Sahara un massif gréseux surmonté d’un plateau et, plus particulièrement, la ceinture discontinue qui forme l’auréole extérieure du système montagneux du Hoggar dans le Sahara central. Le Hoggar, au sud de l’Algérie, est avec le Tibesti, au nord du Tchad, l’un des deux principaux ensembles montagneux du Sahara. Le Tassili n’Ajjer est donc l’un de ces massifs périphériques du Hoggar, à 450 kilomètres environ au nord-est de son massif central, l’Atakor, au sud duquel se trouve la ville de Tamanrasset.

Lorsqu’on arrive à Djanet, principale oasis algérienne du Tassili n’Ajjer, on est frappé par l’imposante masse, en arrière-plan, de la falaise qui forme le rebord occidental du plateau du Tassili. Enorme empilement de grès noircis par la patine du désert, elle domine l’Erg d’Admer dont les dunes, issues de l’érosion du grès, sont parsemées de blocs rocheux et de buttes témoins qui sont comme des avant-postes de la falaise et du plateau.

Ces deux ensembles topographiques – l’erg d’Admer et le massif montagneux – se distinguent très bien sur l’image satellite par leurs couleurs : le jaune du sable dans toute la moitié sud-ouest du cliché et le marron du massif gréseux dans la partie nord-est. Djanet se trouve au pied de la falaise sur le versant ouest du massif.  

Le plateau du Tassili est incliné en pente douce vers l’est - c’est-à-dire vers la Libye voisine - où il se prolonge par le petit massif de l’Akakous avant de disparaître sous les sables du Fezzan. Dans le sillon qui sépare le Tassili n’Ajjer de l’Akakous, en territoire libyen, se trouve l’oasis de Ghat qui est en quelque sorte symétrique à Djanet sur la bordure orientale du massif. Djanet se trouve à 1 100 mètres d’altitude et Ghat à 640 mètres.

Les grès sédimentaires qui constituent le Tassili n’Ajjer ont été formés au début de l’ère primaire par des dépôts successifs d’origine fluviatile et marine. Ils se sont empilés sur les restes du vieux socle précambrien qui avait été préalablement érodé et transformé en pénéplaine. La jonction entre ce socle et les dépôts de grès forme la « discordance tassilienne » qui est souvent visible à la base de la falaise. Le paysage que l’on peut observer de nos jours est le résultat d’une érosion intense qui est à l’œuvre depuis plusieurs millions d’années.

Celle-ci est à l’origine des formes rocheuses assez extraordinaires que l’on peut observer sur le plateau. Certains sites, comme celui de Sefar, ont un aspect ruiniforme remarquable ; l’érosion a entaillé la couverture de grès en y creusant un lacis de passages et de carrefours où l’on peut facilement circuler et qui donnent à ces lieux l’aspect d’une ville pétrifiée. Au pied des colonnes rocheuses dégagées par l’érosion sur une hauteur d’une vingtaine de mètres se trouvent des évidements, creusés par l’action de l’eau lorsque le Sahara n’était pas encore un désert.

C’est dans ces évidements formant des abris sous roche que se trouvent en très grand nombre des peintures pariétales vieilles de plusieurs milliers d’années et qui se sont ainsi trouvées relativement protégées des intempéries et de l’atteinte du soleil.

Assez élevé, puisque l’altitude maximale du plateau est de 1 800 mètres et que Djanet se trouvant à 1 100 mètres, et constitué de terrains perméables, le plateau du Tassili est quasiment dépourvu d’eau pérenne. Après les pluies – lorsqu’il y en a – seules subsistent quelques mares dans les trous de rochers. Les puits sont ici inexistants. La végétation est donc pauvre à la surface du plateau mais elle se distingue pourtant par la présence remarquable de grands cyprès (Cupressus Dupreziani) que les Touaregs appellent Tarout. La plus grande concentration de ces arbres étonnants - une trentaine - se trouve dans l’oued Tamrit, sur la bordure du plateau au nord-est de Djanet. Cette espèce endémique du Tassili n’Ajjer est l’unique espèce de conifère présente au Sahara. La biologiste végétale Fatiha Abdoun en a dénombré 233 exemplaires vivants. Ces arbres ont longtemps été considérés comme des reliques mais des observations récentes ont montré qu’ils se reproduisaient et qu’ils étaient donc adaptés au climat actuel du Tassili, contrairement à ce qu’on avait longtemps pensé.

L’Ajjer, terre de résistance et de division

Le premier explorateur du pays Ajjer, c’est-à-dire le territoire de la confédération des Touaregs Kel Ajjer, fut le français Henri Duveyrier en 1860-1861. Voyageant seul, il se lia d’amitié avec l’amenokal des Kel Ajjer Ikhenoukhen et parvint à gagner la sympathie des Touaregs de la région. Cette proximité lui sera vivement reprochée lors du massacre de la mission Flatters par les Touaregs en 1880-1881. Lors de son expédition, Duveyrier passe à Ghat mais ne visite pas Djanet. Il publie en 1864 le premier ouvrage scientifique sur les Touaregs : Les Touareg du nord (par opposition aux Touareg du sud, au Niger et au Mali).

Alors que le pays Ajjer a été visité par les Européens bien avant le Hoggar, le Tassili n’Ajjer va curieusement rester longtemps à l’écart de la conquête française. El Golea est occupée en 1873, In Salah en 1899 et le Hoggar en 1902. Le premier européen à visiter Djanet est le capitaine Touchard en janvier 1905 et il faut attendre 1908 pour qu’une colonne française marche sur Djanet, alors sous occupation ottomane, avant de s’en retirer. A partir de cette date, le pays Ajjer va se trouver divisé en deux zones d’influence, l’une française en Algérie et l’autre ottomane en Libye, et l’unité des Kel Ajjer va se dissoudre.

A Djanet, le capitaine Charlet installe un poste permanent en 1911 et l’oasis prend alors le nom de Fort-Charlet. En mars 1913, le lieutenant Gardel et ses quarante-huit méharistes sont attaqués à Esseyen par un important groupe armé venu de Ghat, en Libye, sous le commandement du sultan Ahmoud, ancien suzerain de Djanet. D’abord submergé, le détachement français réussit finalement à se dégager à la baïonnette et à regagner Djanet. Cette bataille a été racontée dans le film Fort-Saganne.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en Europe va alors exacerber la dissidence à partir de la Libye, en profitant du relatif affaiblissement militaire français. L’empereur allemand Guillaume II pousse ses alliés ottomans à se soulever contre les puissances coloniales ennemies, France, Grande-Bretagne et Italie. C’est ainsi qu’un vaste mouvement de rébellion trouve ses racines dans le Fezzan libyen, au sein de la confrérie musulmane de la Senoussya où le sultan Ahmed organise le soulèvement à la fin de 1914. Les Touaregs de l’Ajjer sont entraînés dans ce djihad à la fin de 1915. Le 6 mars 1916, Ahmoud attaque Djanet où les 46 hommes du détachement français se retranchent pendant dix-huit jours avant de réussir à s’enfuir. La localité est reprise en mai 1916 par le commandant Meynier puis abandonnée pour des raisons logistiques. Les Touaregs et les Sénoussistes se réfugient à Ghat où ils vont se mettre sous les ordres d’un touareg de l’Aïr, Kaoussen, qui les appelle à une révolte générale contre l’armée française. Celui-ci prend possession de Djanet, alors vide de troupes. Ce sont des membres de son groupe qui seront responsables de l’assassinat de Charles de Foucauld à Tamanrasset le 1er décembre 1916. Dans le Tassili, Djanet sera définitivement réoccupée par l’armée  française à la fin de 1917.

Après la Seconde Guerre mondiale, le pays Ajjer se trouva réunifié sous l’autorité de la France : « Après la capitulation des Italiens à Ghat le 25 janvier 1943, et l’occupation du Fezzan par le général Leclerc, la France régnait sur l’ensemble du territoire Ajjer. […] Provisoirement le territoire de Ghat était relié administrativement et militairement à l’annexe de Djanet, tandis que le Fezzan devenait un territoire autonome : le territoire du Fezzan-Ghadamès » (Dubief, 1999). A la suite de la guerre, la France avait en effet reçu mandat sur la région saharienne du Fezzan et la Grande-Bretagne sur la Tripolitaine et la Cyrénaïque. La réunification du pays Ajjer sous autorité française, permise par cette situation, dura jusqu’à la fin de l’année 1954 et elle prit fin avec le rétablissement de la frontière entre l’Algérie et la Libye, à la suite de l’indépendance libyenne de 1951.

Les indépendances venues, la question frontalière entre les deux Etats ne fut cependant pas réglée pour autant. Dans les deux dernières décennies du XXe siècle, la Libye de Mouammar Kadhafi, arrivé au pouvoir en 1969, véhicule en effet l’idée d’une restauration à son profit du territoire d’extension maximale de la Senoussya (Foucher, 1988) dont on a vu qu’il avait englobé le Tassili n’Ajjer et Djanet au début du XXe siècle. Dans cette optique d’expansion territoriale, Kadhafi va politiser et armer les Touaregs en favorisant l’émergence d’un nationalisme qui n’existait pas jusqu’alors. Dans leur organisation traditionnelle, ces derniers étaient organisés en plusieurs grandes confédérations  - dont deux  pour les Touaregs du nord : les Kel Ahaggar et les Kel Ajjer - qui étaient tout à fait autonomes dans leur fonctionnement et qui n’avaient jamais porté l’idée d’un nationalisme touareg, encore inexistant donc dans les années 1960-1970. Il en allait de même pour les Touaregs du sud, comme l’a montré Edmond Bernus qui en était un spécialiste (Lecoquierre, 2007).

La politique libyenne en faveur du nationalisme touareg n’eut pas d’incidence notable sur les relations avec l’Algérie mais elle eut pour conséquence la tentative de sécession du nord-Mali (Azawad) par le mouvement indépendantiste touareg MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) le 6 avril 2012.

 

Zooms d'étude

 

Le Tassili n’Ajjer et les deux oasis de Ghat et Djanet : patrimoine exceptionnel, tourisme international et djihadisme saharien


De part et d’autre du Tassili n’Ajjer se trouvent les deux oasis de Ghat, en Libye, et de Djanet, en Algérie, toutes deux visibles sur l’image. Leur organisation et leurs trajectoires dont bien différenciées.

Ghat, l’oasis libyenne

Située au fond du sillon qui sépare le Tassili de l’Akakous, à une altitude plus basse que celle de Djanet (640 m), Ghat est la plus importante des deux oasis. Elle se trouve sur une ancienne piste caravanière qui mettait en communication le Maghreb et le Sahel via Ghadames et Agades. Connue des Européens beaucoup plus tôt que Djanet, elle a été  visitée dès 1710 par des religieux italiens puis par les explorateurs Clipperton et Oudney en 1822, Richardson en 1845 qui en fit la première description, Barth en 1850, Duveyrier en 1861 et enfin Von Bary en 1876 qui est mort à Ghat en 1877 où il est enterré. La moyenne des maxima journaliers de température y est de 41,3° en juin et de 20,4° en janvier (Dubief, 1999).

Ces dernières décennies, Ghat a connu une forte croissance démographique. Si elle n’abritait qu’un peu plus de 1 000 habitants avant la Seconde Guerre mondiale, elle en comptait environ 4 000 à la fin du XXe siècle et dépassait les 20 000 habitants en 2010. Du fait de la situation de crise en Libye aujourd’hui, tout évaluation efficiente de la population s’y avère cependant impossible. Pendant la première décennie du XXIe siècle, Ghat a été pour les touristes la porte d’accès aux sites rupestres du massif de l’Akakous mais cette activité est restée relativement limitée, la Libye du colonel Kadhafi ayant toujours cherché à freiner le tourisme plutôt qu’à le développer.

Djanet, l’oasis algérienne

Sue le piémont sud-ouest du Tassili n’Ajjer et à une quinzaine de kilomètres par la piste de la falaise bordière, Djanet est composée de la réunion de trois villages  - Azellouaz, El Mihane et Adjahil - le long d’un oued (Edjiriou) sur le bord duquel se trouve une grande palmeraie d’environ 40 000 palmiers.

Comparativement à Ghat, Djanet n’a été que tardivement visitée par les Européens, le premier d’entre eux ayant été le capitaine Touchard en 1905. Située à une altitude plus élevée que Ghat (1 100 mètres), la ville a logiquement une  moyenne des maxima journaliers de température plus basse : 37,5° en juin et 19° en janvier. La moyenne des précipitations est de l’ordre de 20 millimètres par an (Dubief 1999), avec cependant une variation interannuelle qui peut être importante comme partout au Sahara. Sur le plateau, la neige est possible comme ce fut par exemple le cas en 1987 et en 1993. Djanet, aujourd’hui rattachée à la wilaya – ou département - d’Illizi, comptait 6 000 habitants en 1993 et environ 12 000 en 2005.

La ville est dotée d’un aéroport qui lui a permis de devenir une importante porte d’accès touristique pour la découverte des sites rupestres du plateau du Tassili. Cette activité s’est développée en deux périodes bien déterminées : pendant les années 1980 et jusqu’au début de la guerre civile algérienne - la « Décennie noire » -  en 1993, puis pendant la première décennie du XXIe siècle, avant que l’extension du djihadisme saharien ne mette fin au tourisme dans cette région à partir de 2011.

Pendant les années 2000, Djanet accueillait 5 000 à 6 000 touristes par an, dont la moitié montait sur le plateau et l’autre moitié restait au pied du massif, pour aller jusqu’à la gorge d’Essendilène à une centaine de kilomètres au nord-ouest, ou vers le massif de la Tadrat au sud-est. La fête annuelle de la Sebiba, mêlant mythe et religion et particulièrement haute en couleur, a aussi été un facteur attractif pour les touristes pendant cette période. En 2010, seuls 120 touristes sont venus à Djanet et presqu’aucun en 2011…

L’année 2011 est celle du printemps arabe et de la chute du régime libyen de Kadhafi mais l’effondrement du tourisme a d’autres origines. Il est en effet la conséquence de l’expansion du djihadisme saharien pendant la décennie 2000. Celui-ci trouve son origine principale dans la guerre civile qui a secoué l’Algérie entre 1992 et le début des années 2000. La Décennie noire débuta à la suite de l’annulation, au début de l’année 1992, du second tour des élections législatives que le Front islamique du salut (FIS) était sur le point de remporter. Il s’en suivit une vague de violences sans précédent qui ensanglanta le pays jusqu’au début des années 2000. Les groupes islamistes qui étaient à l’origine de ces violences furent peu à peu repoussés vers le sud par l’armée algérienne et ils s’installèrent alors dans le Sahara.  

Cette implantation devient nettement visible en février 2003 avec le premier enlèvement de touristes occidentaux dans le sud algérien : trente-deux personnes (six groupes motorisés) sont successivement enlevées sur le flanc est du Hoggar, puis ils sont séquestrés en deux groupes, l’un dans le sud algérien et l’autre au nord du Mali (tous libérés par la suite). Au début de 2007, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) est officiellement constitué et les attaques se multiplient un peu partout au Sahara. Elles prennent un tour tragique en Mauritanie à la fin de l’année. Une tentative d’enlèvement coûte la vie à quatre voyageurs français le 24 décembre 2007 près d’Aleg et, deux jours plus tard, trois militaires mauritaniens sont abattus à El-Ghallaouiya, au nord-est du pays. Le rallye automobile Paris-Dakar qui devait démarrer en janvier 2008 est annulé, et il n’est jamais revenu en Afrique depuis. L’enlèvement de sept employés d’Areva à Arlit, au Niger, le 16 septembre 2010 – mais libérés le 29 octobre 2013 - puis de deux jeunes Français dans un restaurant à Niamey le 7 janvier 2011, et tués le lendemain dans une embuscade à la frontière du Mali, marquent particulièrement les esprits et sonnent le glas du tourisme saharien pour plusieurs années. Avec le déplacement progressif du risque djihadiste vers le Sahel, il a timidement repris dans l’Adrar de Mauritanie depuis l’automne 2017…

 


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Djanet et les sites de peinture rupestre :
un musée à ciel ouvert


Le Tassili n’Ajjer, un musée à ciel ouvert

A partir de Djanet, deux cols permettent de franchir la falaise formant le rebord occidental du Tassili n’Ajjer pour accéder au plateau qui se trouve à son sommet : le col de Tafilalet qui aboutit, en trois ressauts successifs (Akba), au site de Tamrit et celui d’Aroum, plus direct et plus raide, qui permet de rejoindre Jabbaren. La dénivellation est d’environ 600 mètres. Ces cols, trop escarpés pour les chameaux, ne sont accessibles qu’aux ânes de bât pour le transport des bagages et du matériel. Un autre col mieux adapté aux chameaux nécessite une plus longue marche d’approche.

Les premières découvertes de peintures préhistoriques dans le Tassili ont été faites en 1933 par le colonel Charles Brenans et c’est à Henri Lhote, avec l’aide de son guide Djebrine Machar Ag mohamed, qu’est revenu le mérite d’avoir inventorié tous les sites rupestres du massif au cours de quatre missions organisées à partir de 1956.

Les peintures pariétales du Tassili revêtent un intérêt exceptionnel par l’importance des connaissances qu’elles ont apportées sur le Sahara néolithique et pour leur remarquable qualité artistique. Les représentations peintes (peu de gravures) se retrouvent par centaines dans les abris sous roche creusés dans le grès par l’érosion. Certains sites, comme Sefar et Jabbaren, sont riches d’une incroyable concentration de ces peintures.

Dans son livre A la découverte des fresques du Tassili (1958), voici comment Henri Lhote décrit le site de Jabbaren : « Jabbaren ? Un petit massif de grès, émergeant modestement du plateau tassilien comme tant d’autres, mais où l’érosion a creusé à la base des rochers des alvéoles plus profondes qu’ailleurs. […] Jabbaren, c’est tout un monde ! Plus de cinq mille sujets dans un quadrilatère mesurant à peine six cents mètres de côté ».

Un intérêt exceptionnel par l’importance des connaissances apportées sur le Sahara néolithique

Dans les différentes stations du plateau, les fresques relèvent de différents styles et de différentes époques. Les peintures les plus anciennes (environ 6 000 à 5 000 av. J.-C.) montrent des personnages à « tête ronde » (nom donné par Lhote) et aux visages sommairement représentés. Ces personnages un peu mystérieux sont caractéristiques de deux grandes compositions qui comptent parmi les plus connues. A proximité de Tamrit, la grande fresque de Tan Zoumaitak montre un assemblage de figures à la signification parfois assez obscure. On y distingue plusieurs personnages, dont certains avec des parures finement représentées, et des animaux reconnaissables (un bouquetin) ou non (un animal blanc avec une corne recourbée vers l’avant). Une forme ronde avec des filaments pourrait faire penser à une méduse alors que certains spécialistes y voient plutôt la représentation d’un tam-tam.

Les tentatives d’interprétation de ces figures n’ont pas manqué et de nombreux chercheurs y ont vu des scènes de transe chamanique. Les mêmes questions se posent pour le panneau du « grand dieu de Sefar ». Au centre de la composition se trouve un grand personnage, haut de trois mètres, avec les bras partiellement levés. Il est entouré sur la droite d’une grande antilope, et sur la gauche de trois femmes à tête ronde, partiellement effacées, qui semblent l’implorer.

A Jabbaren, ce sont les représentations de la période « bovidienne » (environ 4 000 à 3 000 av. J.-C.) qui prédominent. Les représentations de bovins d’une très grande finesse, et de scènes pastorales, y sont nombreuses. A Tin Tazarift, près de Sefar, se trouve une représentation de barque et, en différents endroits, on peut voir dessinés des animaux de savane - girafes, éléphants, lions, hippopotames - qui ont disparu depuis bien longtemps de ces régions.

Ces fresques remarquables permettent de connaître la vie des populations sahariennes d’avant le désert (Hugot, 1974). Ainsi, le Sahara a connu des périodes relativement humides, puis de climat méditerranéen, avant que le désert tel que nous le connaissons aujourd’hui ne s’installe dans le courant du dernier millénaire avant notre ère.

Il est enfin une autre curiosité : les scènes, assez nombreuses, figurant des chars attelés comme à Ala-n-Edoument, In Itinen, Jabbaren et Tin Aboteka,. Ces peintures, datées d’environ 2 000 ans av. J.-C., posent problème car aucune trace archéologique n’a jamais pu attester que de tels chars avaient été utilisés au Sahara. Peut-être s’agit-il de représentations de scènes observées dans des régions plus septentrionales et proches de la Méditerranéennes ? Pour toutes ces représentations, des incertitudes de datation demeurent aujourd’hui et la chronologie des différents styles et des différentes périodes n’est pas bien établie.

L’extraordinaire qualité des sites rupestres du Tassili n’Ajjer lui a valu d’être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982.

 


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Documents complémentaires

 
Sur le site Géoimage du CNES

Bruno Lecoquierre : Algérie. Tamanrasset et le massif du Hoggar : un des grands massifs montagneux du Sahara.


Les photographies :

Deux  paysages
Montée sur le plateau du Tassili n’Ajjer - Photo : B. Lecoquierre
Les blocs de grès érodés sur le plateau du Tassili - Photo : B. Lecoquierre

Quatre œuvres rupestres

 

 


Abri sous roche avec peinture - Tassili n'Ajjer - B. Lecoquierre

 

 


Panneau du grand dieu de Sefar - B. Lecoquierre.

 

 


Grande fresque de Tan Zoumaitak - B. Lecoquierre.

 

 


Femme de la période des têtes rondes-Jabbaren - B. Lecoquierre.

D’autres ressources

DUBIEF J., 1999,  L’Ajjer-Sahara central, Karthala

DUVEYRIER H., Les Touareg du nord, 1864, Editions vent de sable, 1999

FOUCHER M., 1988, Fronts et frontières, Fayard

HUGOT H.-J., 1974, Le Sahara avant le désert, Editions des Hespérides.

HACHID M., MARTIN Y., NATIER M., 2014, Tassili-n-Ajjer, peintures préhistoriques du Sahara central, Editions point de vues

LECOQUIERRE B., 2007, « Entretien avec Edmond Bernus », La géographie, Société de géographie, n°1526 (hors-série)

LECOQUIERRE B., 2014, « Mythes, grands espaces et aventure. Le Sahara des voyageurs et des touristes », Natures, miroirs des hommes ? (dir. S. Guichard-Anguis, A.-M. Frérot et A. Da Lage), L’Harmattan, coll. Géographie et cultures, p. 145-163.

LECOQUIERRE B., 2015, Le Sahara, un désert mondialisé, La Documentation photographique n° 8106, juillet-août 2015, La Documentation française, 64 p.

LECOQUIERRE B., 2016, « Enjeux et fragilités du tourisme saharien », La mise en tourisme des territoires dans le monde arabe (dir. B. Kadri et D. Benhacine), L’Harmattan, coll. « Comprendre le Moyen-Orient », p. 125-135

LHOTE H., 1958, A la découverte des fresques du Tassili, Arthaud.

LHOTE H., 1982, Les chars rupestres sahariens, Editions des Hespérides

Contributeur

Bruno Lecoquierre, Professeur des Universités, Université du Havre – UMR IDEES (CNRS)