Les Bahamas, un archipel d’enclaves entre tourisme et paradis fiscal

Emblématique de la « Méditerranée américaine », les Bahamas, archipel caraïbéen aux portes de la Floride, profitent de la proximité des Etats-Unis et du relatif isolement de plusieurs centaines d’iles et d’ilots, pour asseoir leur développement sur le tourisme et sur la finance off-shore au point de devenir un paradis fiscal et être confronté à un important trafic de drogue. L’image satellite permet de voir les multiples « territoires enclaves extravertis » que les acteurs façonnent pour profiter des avantages comparatifs du territoire.

 

Légende de l’image

 


Cette image des Bahamas, Archipel de récifs coralliens situé dans l'océan Atlantique, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 8 janvier 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de la région.

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Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2020, tous droits réservés.

 


Repères géographique

 

 

 

Présentation de l’image globale

Les Bahamas : un archipel et un micro-Etat caribéen orienté vers le tourisme
et de plus en plus vers les illégalismes

Un archipel tropical très étendu aux iles très nombreuses

Les Bahamas forment un archipel de plus de 700 iles et ilots majoritairement coraliens – les cays - situés entre les Etats-Unis au nord et les iles de Cuba et d’Haïti – Saint-Domingue au sud. Distant d’environ 80 kilomètres seulement des littoraux floridiens et cubains, le Commonwealth des Bahamas associe un chapelet d’iles d’orientation nord-ouest / sud-est. L’image satellite présente une partie seulement du pays. En effet, d’une superficie de 13.962 km², celui-ci occupe une Zone Economique Exclusive (ZEE) de plus de 260.000 km² puisque l’archipel s’étire sur une distance d’environ 1.200 kilomètres du nord au sud.

L’image satellite est centrée sur l’ile de New Providence où se situe la capitale Nassau. A proximité, les Berry Islands, en arc de cercle, prolongent l’ile d’Andros. Au nord seule l’extrémité sud de Great Abaco est perceptible. Les Berry Islands couvrent à peine 78 km² alors que Great Abaco, avec plus de 2.000 km², est l’une des plus vastes iles du pays. A l’ouest, l’image présente l’ile Andros, la plus grande de l’archipel avec 5.957 km² mais aussi en apparence la plus « vide ». C’est en réalité trois iles proches entrecoupées de bras de mer. A l’est de l’image, deux autres archipels se dégagent : l’un associe une myriade de petites iles orientées au sud-est, les iles Exumas (194 km²), l’autre s’étire depuis New Providence en direction de l’est et du sud-est. Elle reprend un autre nom grec : Eleuthère (518 km²). D’autres grandes iles, non visibles sur cette image satellite, complètent l’archipel : Grand Bahama au nord, Great Inagua au sud par exemple.

Les Bahamas, situés entre le détroit de Floride et l’Océan Atlantique, dans les Caraïbes, profitent d’un climat tropical atténué par le courant marin du Gulf Stream. La photographie satellite montre aussi, notamment sur l’ile d’Andros, un large couvert végétal et une nette dichotomie entre les façades occidentales et orientales des iles. En fonction de l’orientation des iles et ilots, la côte orientale offre des plages de sable clair associées à des récifs coralliens qui les protègent alors que les côtes occidentales s’enfoncent très progressivement dans la mer dans un paysage associant des bancs de sable, des hauts fonds et des mangroves. Le pays possède ainsi la plus grande barrière de corail de l’hémisphère nord.

Le développement, à la croisée de la situation et de l’extraversion, est pourtant soumis aux risques, notamment les cyclones comme Dorian en 2019 qui a ravagé le nord de l’archipel notamment Grand Bahama. A terme, la montée des eaux menace aussi l’archipel, la plupart des ilots ne dépassant le niveau de la mer que de quelques mètres.

Un micro-état insulaire développé, mais très inégal

Les Bahamas sont une ancienne colonie du Royaume-Uni indépendante depuis 1973 et toujours membre du Commonwealth britannique. Première terre américaine rencontrée par Christophe Colomb en 1492, l’archipel, espagnol puis anglais, est exploité pour sa situation, notamment par la piraterie ; pour son climat, avec l’introduction du coton mais, surtout, pour sa proximité avec les Etats-Unis comme en témoigne l’implantation dans son histoire de puritains ou de planteurs sudistes déchus. La proximité du puissant voisin nord-américain tout comme le relatif éloignement - isolement des multiples ilots expliquent son développement.

C’est du fait de leur population et non de leur superficie que les Bahamas sont désignés comme un micro-Etat insulaire Comptant un peu moins de 400.000 habitants, majoritairement issus de descendants d’esclaves noirs-africains, le pays présente un niveau de développement élevé à l’échelle de Caraïbes : le PIB par habitant est supérieur à 30.000 $, l’IDH est un peu au-dessus de 0,8 et l’indice de fécondité est légèrement supérieur à 1,4 enfants par femme. Par rapport à ses voisins, notamment cubains mais surtout haïtiens, l’ile semble nettement plus développée. Ces moyennes masquent cependant des inégalités internes très marquées.

Durant son histoire, l’archipel, pour assurer son développement, a profité de sa situation à proximité de la Floride mais aussi de son relatif exotisme par rapport aux Etats-Unis ainsi que de son isolement. Pablo Escobar (1949 – 1993), narco trafiquant colombien, envisageait dans les années 1980, de louer un ilot, Norman’s Cay, dans les iles Exumas, pour l’aménager avec piste d’atterrissage et port afin d’en faire une sorte « hub », à la fois proche et isolé, de distribution de la cocaïne vers l’Amérique du Nord. Cette anecdote résume le modèle de développement bahaméen : opacité et illégalisme en interface entre les Etats-Unis et la « Méditerranée américaine », entre le légal et l’illégal.

Aménités et mise en tourisme

L’archipel est peu densément peuplé avec 28 hab./ km². De plus, le peuplement est très inégal entre l’ile de New Providence (250.000 habitants), Grand Bahama (50.000 habitants) et les iles d’Andros et d’Eleuthère qui comptent moins de 15.000 habitants. Cette forte concentration du peuplement explique et permet à la fois la protection et la sauvegarde de 80 % du territoire dans le cadre du Bahamas National Trust. L’image satellite permet d’observer les résultats de cette politique sur l’ile d’Andros : en dehors d’une étroite bande littorale sur la façade orientale où sont implantées quelques activités touristiques et l’une des deux routes de l’ile, le reste est totalement protégé dans différents parcs et réserves comme le Blue Holes National Park proche d’Andros Town dans la partie nord de l’ile.

Les Bahamas répondent aux imaginaires et aux représentations touristiques des Caraïbes. L’insularité et dans ce cas la myriade d’iles et d’ilots – dont une vingtaine seulement sont habités - permettent l’isolement souvent volontaire, la tropicalité répond au désir d’ensoleillement et de chaleur, l’exotisme se nourrit des richesses naturelles. Les trous bleus en sont un exemple sur Andros. Il s’agit de puits naturels, creusés dans le corail au sein desquels s’organise un dense réseau de grottes sous-marines.

De même, les grands bancs, autour d’Andros ou d’Abaco sont aussi un autre patrimoine naturel. Visibles sur l’image par une couleur de la mer beaucoup plus claire, les bancs sont des plates-formes carbonatées - sédimentation du calcaire d’origine organique – ici les coraux - offrant des eaux chaudes et peu profondes - pas plus de 25 mètres - où se rencontrent les récifs, les cays, les mangroves ... L’image montre aussi, autour de New Providence, un bleu plus profond. Les deux canaux de la Providence et le Grand Canyon des Bahamas - ou la langue de l’océan - rendent l’archipel accessible mais surtout offre une profondeur de plus de 5 kilomètres. La pêche et la plongée sont deux pratiques majeures du tourisme dans les Bahamas.

Le tourisme est donc une activité majeure du pays, il fournit environ 40 % du PIB. Les Bahamas ont accueilli 6,6 millions de touristes en 2018 contre 2,5 millions en 2011 provenant à 77 % des Etats-Unis et 9 % du Canada contre seulement 6 % d’Europe. Le phénomène de saisonnalité est relativement réduit. En effet, les arrivées les plus nombreuses se situent au mois de mars, de juillet et de décembre. Même durant la saison des pluies les arrivées restent soutenues. L’avion ne représente que 1,6 million d’arrivées dans l’archipel, le reste venant par bateaux, de plaisance et surtout de croisière.

En particulier, les Bahamas, du moins les iles proposant un accès à la haute mer - Berry Islands, Nassau, l’extrémité sud d’Eleuthera - servent d’escales aux grandes compagnies nord-américaines, Carnival et RCCL- Royal Carribean Cruise Line, qui opèrent depuis Miami. Les arrivées touristiques sont géographiquement très concentrées : 57 % à Nassau, 11 % dans les Berry Islands, et 6 % chacune pour Eleuthère et Great Abaco. Ainsi, les clientèles souvent aisées proviennent de la Côte-Est des Etats-Unis et pratiquent de plus en plus le stopover tourism, le tourisme d’escale en provenance des Etats-Unis. Celui-ci vient de la Mégalopolis pour un quart, de la Floride pour 22 % et du Texas pour 8 %.

Un prolongement de la Floride : ports de croisière, resort, gated community, bâteau

Les pratiques touristiques, fortement hybridées, associent la plage, le shopping détaxé, la pêche, la plongée, les casinos … Les Bahamas sont une sorte de prolongement touristique de la Floride. Touristes et acteurs ont produit les mêmes spatialités.

Le port de croisière, port d’escale doit proposer des activités récréo-ludiques et/ou culturelles. A côté des grands ports notamment à Nassau, qui polarise 53 % des arrivées, de nouveaux espaces naissent. Ainsi, le groupe de croisière italo-suisse MSC vient d’ouvrir à Ocean Cay, situé entre le nord d’Andros et Miami, une ile privée de 38 hectares achetée pour 99 ans à l’Etat bahaméen. Ancienne exploitation de sables, l’ile offre une réserve marine, un centre de protection du corail et une série d’activités ludiques.

- Le resort, le complexe hôtelier fermé en all inclusive, est aussi un lieu commun du tourisme aux Bahamas. Le plus emblématique est celui appartenant au groupe sud-africain Kerzner situé sur une ile à proximité de Nassau. Un resort est une enclave fermée localement, mais ouverte mondialement qui doit - dans le cadre de l’entre-soi et du tourisme global - proposer toutes les pratiques touristiques dans un espace clos et sécurisé. Atlantis Paradise Island comprend ainsi un hôtel de plus de 2.300 chambres, un parc aquatique, un casino, onze piscines, une vingtaine de restaurants et un golf. C’est le 1er employeur de l’archipel avec 6.000 salariés bahaméens.

- La résidence fermée, la gated community - soit en immeubles (condominiums), soit en villas individuelles - est un autre prolongement de la Floride dans les Bahamas. Tout le littoral de New Providence mais aussi autour de Freeport sur l’ile de Grand Bahama (hors images) est progressivement aménagé par des promoteurs en résidences fermées donnant accès à une plage ou, pour les plus onéreuses, à une marina. Les villas et/ou condominiums, dont les prix varient entre 200.000 dollars et plusieurs millions de dollars, sont proposés comme un investissement pour être loué ou comme des résidences secondaires pour des clientèles le plus souvent étatsuniennes. La polyrésidence - ou l’habiter temporaire - se développe aussi à proximité de l’aéroport.

- En dehors de l’avion, le bateau - et particulièrement celui de plaisance dans le cas des Bahamas - est l’autre moyen permettant de rompre l’isolement des iles. La marina - associant un port de plaisance, un anneau à louer, des villas et/ou des résidences directement accessibles depuis le port - est une autre figure commune du tourisme dans l’archipel. La grande plaisance est un des moteurs du développement de l’archipel. Celui-ci compte 662 places dans 15 ports pour des grands yachts de plus de 25 mètres, au 1er rang des Caraïbes. Les navires sont souvent loués, par une clientèle venant d’Amérique du Nord, d’Europe mais aussi des pays émergents ; les Bahamas offrant tout le panel des compagnies off-shore pour l’immatriculation des navires mais aussi les entreprises de refit pour l’hivernage des navires.

Des acteurs aujourd’hui à l’échelle mondiale : l’arrivée des investisseurs chinois

Le tourisme est au cœur du développement de l’archipel mais aussi de sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. D’autres acteurs cherchent pourtant à profiter de la situation des Bahamas, au premier rang desquels se trouve la Chine.

Celle-ci est présente par sa diplomatie avec la pratique désormais classique du « cadeau » - ici le stade de Nassau -, mais aussi par des investissements massifs pour faire du micro-Etat une plateforme touristique et portuaire. Ainsi, le groupe Hutchinson Whampoa, originaire de Hong Kong, a financé sur l’ile de Grand Bahama, à l’extrémité nord de l’archipel et directement à proximité de Miami, un golf, un aéroport, des hôtels mais surtout un port en eaux profondes permettant d’accueillir des navires de croisière et des porte-conteneurs. D’autres acteurs chinois financent à hauteur de 3 milliards de dollars l’achat et la réhabilitation de l’immense complexe hôtelier de Baha Mar à Nassau offrant de plus 4.000 emplois aux Bahaméens pour sa construction/réhabilitation aux côtés de 80.00 Chinois !

Face à la puissance américaine, mais aussi chinoise, les Bahamas, micro-Etat, abandonnent le plus souvent leur souveraineté en attribuant par des baux emphytéotiques des iles et des ilots à des investisseurs étrangers. Cet abandon traduit bien sûr un déséquilibre mais aussi la stratégie de développement des acteurs bahaméens. En effet, l’archipel, pour les acteurs américains et chinois, offre tout l’écosystème de l’opacité, des illégalismes, des zones franches … en somme d’un paradis fiscal… Les investissements chinois recherchent autant les avantages comparatifs de l’archipel qu’un cadre légal opaque et arrangeant.  

Une des plaque tournante de la drogue aux flancs des Etats-Unis

Les illégalismes sont en effet l’autre pilier du développement des Bahamas. Ils découlent tout autant du site, de la situation que des stratégies de l’Etat bahaméen. Les illégalismes - concept construit par le philosophe Michel Foucault - se définissent comme l’envers nécessaire d’une société. Ils fabriquent des « antimondes ». Les illégalismes couvrent tous les interdits tolérés et/ou réels d’une société et dans le cas des Bahamas, autant ceux des Bahaméens que des Nord-américains. Le trafic de drogues, d’êtres humains – ici essentiellement des migrants, les contrefaçons se nourrissent de la géographie des Bahamas.

L’archipel est ainsi devenu un espace du narcotrafic. Dès les années 1980, les ilots les plus isolés, particulièrement dans les Exumas, servent de relais à de petits avions qui permettent de transborder la cocaïne à destination des Etats-Unis. L’isolement et la proximité sont encore ici deux atouts majeurs des Bahamas. Dans les années 1990, les Bahamas se situent au croisement de deux routes du trafic de drogue : celle dominée par des cartels haïtiens qui rejoint le Guyana, Haïti, les Bahamas et la Floride essentiellement pour du trafic de cannabis ; l’autre exploitée par des Jamaïcains permet aussi l’acheminement de produits narcotiques venant de l’Amérique centrale et de la Jamaïque. Progressivement, dans les années 2000, les Bahamas, de carrefour et passage, deviennent lieu de production notamment pour les drogues dites « douces ». Des plantations sont aménagées sur des ilots isolés, des fast boats permettant l’acheminement vers la Floride.

L’ampleur du trafic a contraint les autorités bahaméenne à accepter un abandon de souveraineté au profit des Etats-Unis : les accords « entry to investigate » ou « hot poursuit agreements » permettent aux forces policières et militaires des Etats-Unis d’intervenir dans les eaux territoriales des Bahamas. En effet, le gouvernement bahaméen est de plus en plus souvent considéré par de nombreux observateurs comme un "narco-Etat", c’est-à-dire que l’administration et les différents groupes mafieux sont liés par la corruption, le blanchiment, d’opacité …

Un paradis fiscal inséré dans la mondialisation financière

Cette opacité se retrouve dans l’autre grand secteur économique des Bahamas : la finance off-shore. Le pays est encore classé par la France et l’Union Européenne comme un paradis fiscal en 2018. C’est un autre pendant des illégalismes qui se nourrit d’autres trafics notamment de la drogue mais aussi de la proximité des Etats-Unis. En 2007 - NDLA, les données sont par nature très difficiles à trouver - les Bahamas, et particulièrement l’ile de Nassau, comptaient 415 banques, plus de 100 000 sociétés financières ce qui représente de 15 % à 30 % du PIB du pays.

Cette pratique débute dès les années 1930, dates à partir desquelles le pays est contrôlé par les « bay street boys », des avocats qui se réunissent sur l’avenue centrale de Nassau proche aujourd’hui du port de croisières et de Paradise Island. Ainsi, dès la première moitié du vingtième siècle, le pays n’a pas d’impôt sur le revenu, sur les sociétés, sur les successions, sur les plus-values … Le secret bancaire est voté en 1965 et le pays devient un grand centre bancaire au moment où se développe le trafic de drogues. Les « Bahamas leaks » de 2016 dévoilent plus de 175 000 sociétés financières off-shore enregistrées aux Bahamas.


 


Etat archipélagique : un impact important dans la définition des frontières maritimes

Pour finir, dans le cadre de la convention de Montego Bay, les Bahamas – comme d’autres Etats au monde tels Cuba, les Philippines, l’Indonésie, le Japon ou les Fidji - sont définies comme un Etat-archipel car étant constitué entièrement par un ou plusieurs archipels. Le rapport de 1 à 18,6 entre superficie terrestre (13 962 km²) et zone maritime (260 000 km²) y est considérable. Ce statut est donc juridiquement très avantageux pour les Bahamas dans la mesure où le régime des eaux archipélagiques est assez comparable à celui de la mer territoriale, mais permet une extension géographique des emprises maritimes directes beaucoup plus larges. L’Etat archipélagique y exerce en effet sa pleine souveraineté, qui s’étend à l’espace aérien, au fond des eaux, au sous-sol correspondant et aux ressources qui s’y trouvent. 

Cette situation a aussi un impact important sur le tracé des frontières maritimes des Bahamas. Avec les Etats-Unis, prévaut une limite d’équidistance - avec donc partage égal - entre les îles des Bahamas (Grand Bahama, iles Bimini) et les côtes de Floride. Au sud, entre Cuba et les Bahamas, la règle d’équidistance est bien plus favorable aux Bahamas du fait de la présence d’îles minuscules ou de hauts-fonds (cf. zone de Ragged Island) qui reporte la frontière maritime très près des côtes cubaines. Enfin, au nord-est, vers l’océan Atlantique et la plaine abyssale de Nares, l’extension est là maximale du fait de l’absence de toute terre en vis-à-vis.
 
Un enjeu géopolitique majeur pour le grand voisin étatsunien : le contrôle et la sécurisation de la  « troisième frontière »

Mais comme nous l’avons, cette architecture de plus de 700 iles et ilots se déployant sur des centaines de kilomètres se caractérise pour les Bahamas par une très forte porosité des frontières maritimes et aériennes d’un côté, l’extrême difficulté d’en contrôler les dynamiques de l’autre.   

Dans ce contexte, depuis les années 1980, les Etats-Unis ont très largement renforcé leur contrôle policier et militaire de la région et de ses frontières internationales, en particulier dans le cadre officiel de la lutte contre le trafic de drogue. Les gardes-côtes et les différentes agences et armes spécialisées - INM, DEA, Customs, US Army, US Air Force - ont vu leurs moyens aériens et maritimes sensiblement renforcés. En particulier, Washington a réalisé de gros investissements pour compléter et moderniser la couverture radar en s’appuyant sur de nombreuses installations afin de quadriller l’espace : base militaire de Guantanamo dans le sud-est de Cuba, Cabo Rojo et San Isidro en République dominicaine, Borinquen à Porto Rico, Providenciales dans les iles Turks and Caicos voisines, Grand Bahama Island et, enfin, Cudjoe Key et Patrick Air Force Base en Floride.    

Cette satellisation d’un Etat-archipel voisin faible et fragile qu’il faut aider à contrôler ses frontières s’inscrit dans une dynamique géopolitique et géostratégique beaucoup plus large d’échelle continentale. Au plan conceptuel, ce très vaste espace maritime frontalier caraïbe est en effet identifié sous les différentes administrations (Clinton, Bush…) comme la « troisième frontière » des Etats-Unis, après celles du Canada et du Mexique. Ce concept est ensuite décliné par les différentes agences spécialisées travaillant sur les Bahamas comme par exemple l’U.S Deparment of State’s Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs (INL).

En 1983, les Etats-Unis lancent la « Caribbean Basin Inittiative » (CBI) à vocation économique et commerciale, mais bien sur dotée de son versant sécuritaire : la CBSI, « Caribbean Basin Security Initiative ». Elle est suivie d’autres initiatives comme en 1997 le « Partnership for Prosperity and Security in the Caribbean ». Cette initiative s’accompagne en particulier d’un « Maritime Counter-Narcotics Agreement ». C’est sur ces bases, par exemple, que l’OPBAT – « Operation Bahamas, Turks and Caicos » - est montée.

C’est une vase opération de lutte contre le trafic de drogue des iles Bahamas et Turks et Caicos vers les Etats-Unis qui renforce la coopération policière et militaire bilatérale en apportant un soutien direct aux forces douanières et policières des Bahamas (fournitures de navires, de brigades canines, stage de formations aux Etats-Unis…).

Enfin, les Etats-Unis ont pour partie financer le « système de gestion des frontières du pays (BMS) » qui contrôlent les trente principaux points d’entrée et de sortie frontaliers sur plusieurs des îles (aéroports et marinas), en particulier pour bien gérer les flux touristiques. Il comprend l’identification automatisée des empreintes digitales, des titres de séjour, des passeports et la gestion des détenus.

Zooms d’étude

 



 Les Iles enclaves des croisières dans les Berry Islands

Un archipel corallien typique des Bahamas

Great Harbour Cay est la plus grande ile des Berry Islands. Située à 90 kilomètres à l’est de Nassau, c’est une fine bande de terre de 15 kilomètres sur 2,5 kilomètres en moyenne. Elle se prolonge en direction du détroit de Floride par deux ilots : Great Stirrup Cay et Coco Cay.

C’est un archipel corallien qui reprend l’organisation générale des Bahamas : le nord et la façade orientale donnent sur le canal de la Providence, alors que le sud et la façade occidentale ouvrent sur les grands bancs et les récifs. Seule la partie nord est donc accessible pour les navires de croisière.

La façade orientale depuis le sud jusqu’aux deux ilots à l’extrémité ouest offre une large plage de sable clair ponctuée d’établissements et d’hébergements touristiques associant des villages-clubs et des villas. Un aérodrome, proche de Shelling beach au sud, permet la connexion avec Nassau et/ou la Floride.

Par contre, la façade occidentale, associant des trous d’eaux, des mangroves et des cays – qui sont petits ilots de sable et de corail - est pratiquement inoccupée. Seul Bullock Harbour est aménagé avec un petit village de 300 habitants permanents et une marina associant petite plaisance et hébergements. La mise en tourisme demeure donc très peu dense et diffuse, mais Berry Islands concentre pourtant 11 % des arrivées touristiques et 13 % des croisiéristes.

Great Stirrup Cay et Coco Cays : des ilots emblématiques des mutation de l’industrie des croisières

Les deux ilots à l’extrémité nord des iles expliquent l’ampleur des flux touristiques qui se montent environ à un million d’arrivées par an.

Le premier, Great Stirrup Cay, est une ile privée propriété de la compagnie de croisière NCL, Norwegian Cruise Line, basée à Miami mais appartenant à Star Cruise, une entreprise hongkongaise. L’ilot corallien est aménagé pour servir d’escale aux navires de croisière venant de Floride. L’offre sur toute la façade nord associe des plages aménagées, de la restauration et des aménagements touristiques permettant la pêche, la plongée et même une tyrolienne. Un ponton est aussi construit sur l’autre façade pour permettre la découverte des récifs et bancs. Les navires de croisière mouillent au large.

Une seconde ile, Coco Cays, distante de moins d’un kilomètre, est la propriété de la RCCL, la Royal Caribbean Cruise Line, firme étasunienne basée à Miami. Cet ilot dispose d’un quai, permettant l’escale des paquebots. Il offre comme son voisin des plages, de la restauration mais aussi un parc d’attraction avec manèges, grand huit …

Les deux ilots illustrent la mutation de l’industrie des croisières : les navires, les fun ships, sont devenus la destination et les entreprises cherchent à contrôler l’ensemble des escales et des retombées économiques de cette industrie. Elles façonnent ici une enclave théâtralisée et fermée, réservée aux seuls clients du navire, où elles reproduisent les imaginaires communs des Caraïbes, mais sans les Caribéens.

La concurrence est frontale pour tous les ports d’escale y compris Nassau dans la mesure où chaque entreprise cherche à produire sa propre cay déterritorialisée. Le navire, véritable resort flottant, enclave nomade de l’entre soi, fait escale dans une autre enclave !

 

 



Les parcs nationaux à Andros

Andros : plus grande ile de l’archipel des Bahamas

L’ile d’Andros est la plus grande de l’archipel des Bahamas. D’une superficie d’environ 6.000 km², elle mesure plus de 160 kilomètres du nord au sud et 64 kilomètres d’est en ouest. C’est en fait la réunion de trois iles proches : North Andros, South Andros et Mangrove Cay. L’ensemble compte moins de 8.000 habitants et reçoit en moyenne 12.000 touristes par an. Elle semble donc être un « vide » dans l’archipel bahaméen. Pourtant, elle dispose d’un patrimoine naturel remarquable.

En effet, distante de 40 kilomètres de New Providence et de Nassau, l’ile offre une large ouverture sur la « langue de l’océan » une fosse océanique profonde (jusqu’à - 5.000 m), alors que l’autre façade est au contact avec le plus grand récif corallien de l’hémisphère nord et le troisième du monde – 225 kilomètres de long.

La patrimonialisation via différents parcs naturels

L’ile est classée et protégée au sein de différents parcs naturels. En effet, Andros héberge un enchevêtrement de lacs, de trous bleus, une forêt tropicale humide, des marais et des mangroves. Cette richesse naturelle est pourtant très peu accessible. Une seule route parcoure l’ile au centre et ne rejoint la route littorale qu’à l’extrémité nord. Quelques sentiers aménagés par exemple dans le Blue Holes National Park permettent de randonner, de plonger et/ou de pratiquer l’écotourisme. Les hébergements sont très peu nombreux sur l’ile, c’est plutôt une complémentarité pour des clientèles se trouvant à Nassau et venant passer la journée sur Andros.

L’accessibilité de l’ile est contrainte : elle se limite à quelques petits ports aménagés et des aéroports/aérodromes situés à proximité de chacun des villages : Andros Town, Congo Town, Moxey Town … Chacun dispose de quelques hébergements touristiques pour une clientèle venant essentiellement pour la pêche et la plongée.

Une base d’essai et de test pour l’US. Navy

Celui d’Andros Town est particulier parce qu’il se situe à proximité de l’AUTEC. L’Atlantic Undersea Test and Evaluation Center est une base de la marine de guerre des Etats-Unis ouverte en 1966 pour profiter de la faille sous-marine à proximité afin de tester des équipements et des armements.

L’image montre une base militaire fermée avec son port, son chenal, des hébergements, son héliport, ses commerces à proximité du petit village d’Andros Town. C’est un exemple de la domination des Etats-Unis sur ce micro-état insulaire. De nombreuses enclaves sont ainsi privatisées et soustraites à la souveraineté bahaméenne.

 

 



Rock Sound, Cap Eleuthera et Princess Cay : les mutations de la mise en tourisme


L’Ile d’Eleuthera, à environ 80 kilomètres à l’est de New Providence et de Nassau, est visible sur l’image satellite par une forme courbe et très étroite. En effet, l’ile mesure plus de 180 kilomètres de long, mais seulement 2 kilomètres de large en moyenne. L’ile compte moins de 12.000 habitants permanents, mais reçoit 6 % des arrivées touristiques. Les flux sont ici en forte croissance parce que l’ile, au moins dans sa partie sud, connait de profondes dynamiques liées au tourisme.

Le village de Rock Sound, situé dans une baie sur le littoral oriental, directement à proximité d’un aéroport international (aérodrome) est emblématique de l’ancienne mise en tourisme. Une route relie le village à des plages de sable rose sur la façade orientale, alors que les hébergements et les commerces se situent sur l’autre littoral. Il s’agit le plus souvent de petites structures vétustes et peu adaptées à une clientèle internationale.

A l’inverse, à l’extrémité occidentale, sur le site d’une ancienne base navale américaine, s’est installé un resort, le Cap Eleuthera Resort and Spa, qui met en avant la pêche, la plongée notamment autour de la thématique du requin et le développement durable. L’offre est ici radicalement différente. Les logements, villas ou appartements, construits dans un style proche de celui de la Nouvelle Angleterre, se louent à partir de 300 euros la nuit. Le site, encore inégalement occupé, est aussi à la vente pour des investisseurs ou pour des résidences secondaires.

Mais c’est à l’extrémité sud de l’ile, à Princess Cay, que les mutations semblent les plus puissantes. C’est une plage, séparée par une lagune du reste de l’ile, en apparence sans accessibilité, qui reçoit 330.000 touristes par an. C’est ici la Disney Cruise Line (DCL) qui a progressivement aménagé ce site touristique sans hébergement. Les paquebots mouillent au large le temps de l’escale. La firme transnationale étasunienne a d’ailleurs acheté l’ensemble de l’extrémité sud de l’ile, Lighthouse point, pour progressivement l’aménager en station balnéaire avec hébergements.

Eleuthère, comme les autres iles, se touristifie au contact d’acteurs américains qui cherchent tous à profiter de l’exotisme et de l’isolement pour construire des enclaves privées et fermées.

 

 



New Providence et Nassau : un prolongement de la Floride

L’ile de New Providence est différente du reste de l’archipel. D’orientation est-ouest, ouverte au nord sur les canaux de la Providence, elle est moins marquée par les mangroves et les bancs de sable. D’une superficie de 205 km², culminant à 5 mètres, elle compte 250.000 habitants et polarise donc environ 60 % de la population. La densité est particulièrement élevée avec plus de 1.100 habitants au km². L’image satellite montre qu’en dehors du lac Killarney proche de l’aéroport international Lynden Pindling, le reste du territoire est totalement saturé.

Le développement d’une ceinture de marinas

Le tourisme se situe essentiellement sur le littoral, l’intérieur étant plutôt dévolu aux populations locales. L’orientation de l’ile permet l’aménagement, sur la quasi-totalité du pourtour, de marinas notamment au nord autour de Old Fort Bay ou au sud autour de Venice Bay. D’autres sont en cours d’aménagement vers South Beach et Adelaïde au sud-ouest.

Comme dans le modèle floridien, chaque marina est associée à une gated community, quartier privé et fermé, associant villas, golfs, école internationale, clubs … Tout le nord-est de l’ile de Sandyport à Clifton Bay est entièrement occupé par cet « habitat touristique semi-permanent ». Ce modèle se diffuse au sud où deux vastes ensembles sont en cours d’aménagement de South West Bay à Venice Bay. L’est est moins aménagé parce que plus dense : seule Palm Cay à l’extrémité sud-est offre le même type d’hébergements.

Les promoteurs, souvent bahaméens ou enregistrés aux Bahamas, offrent des prix et des prestations très variables : les résidences fermées proches de l’aéroport mais dans l’intérieur de l’ile proposent des appartements à partir de 300.000 dollars. C’est une résidence secondaire que les acheteurs mettent en location une partie de l’année pour rentabiliser leurs investissements. Les résidences disposant d’un anneau dans une marina sur le littoral s’échangent elles à plusieurs millions ou dizaines de millions de dollars.

Le modèle du resort, le grand complexe hôtelier intégré

Le resort constitue naturellement l’autre grande proposition touristique de l’ile. Les complexes hôteliers se situent sur le littoral nord depuis Sandyport jusqu’à Paradise Island et se caractérisent par le gigantisme. Par exemple, le Baha Mar, propriété d’un groupe de Hong Kong, associe trois hôtels - Grand Hyatt, Baha Mar et le Rosewood - et comprend 2.200 chambres, 284 villas, un casino de 10 000 m², un golf …

Toutes les grandes firmes transnationales du tourisme et de l’hôtellerie sont présentes, de Mariott à Accor, mais aucune n’atteint le gigantisme de Paradise Island. Le resort est construit sur une ile située proche du Prince George Wharf, port de croisière de Nassau et du centre-ville. Un pont relie d’ailleurs directement Downtown Nassau et Paradise Island. C’est la seule ouverture de cette enclave touristique. Le resort, construit à la fin des années 1990, occupe les 6 kilomètres de l’ile. Il est emblématique de ce type d’espace touristique. Construit dans un style espagnol- amérindien, il associe un parc d’attraction, des parcs animaliers, un centre d’affaires, un casino, un mall pour le shopping détaxé, une marina, des plages …

Il est associé à d’autres hôtels offrant d’autres expériences et atmosphères (par exemple plus proche de la Virginie) et à une gated community construite autour d’un golf à l’extrémité orientale de l’ile. Etat dans l’Etat, propriété du groupe sud-africain Kerzner, premier employeur de l’ile, Paradise island essaime à l’échelle mondiale et d’abord à Dubaï.

Résidences privées et fermées, resorts gigantesques proposant du all inclusive, port d’escale des croisières … forment des spatialités touristiques quasiment toutes fermées et déterritorialisés. Nassau approfondit encore les dynamiques à l’œuvre en Floride : fermeture, entre-soi, fragmentation …

 

 



Les îles privées dans les Iles Exumas

Les iles Exumas associent sur plus de 200 kilomètres quelques 360 ilots coralliens peuplés de moins de 7.000 habitants. L’image satellite montre une « poussière » d’ilots d’orientation nord-ouest et sud-est, les petites Exumas et masque les grandes Exumas où se situe le peuplement autour du village de Georgetown.

L’image montre des cays, très proches les uns des autres, reliés par des récifs coralliens dont la profondeur est souvent inférieure à 5 mètres. La quasi-totalité des ilots est inhabitée en dehors des plus grandes disposant de quelques villas et de marinas. Norman’s Cay, au centre de l’archipel, dispose d’un aérodrome, longtemps exploité pour le trafic de drogues.    

Les ilots sont un autre territoire touristique de l’extraversion. Ils sont aujourd’hui proposés à la vente comme celui de Little Pipe Cay à l’extrémité sud des petites Exumas et de l’image satellite. Accessible par hydravion, cet ilot coralien de 150.000 m² est vendu en plusieurs lots pour accueillir cinq villas de luxe, chacune disposant de sa plage privée. Les cinq lots sont mis en vente pour 85 millions de $ dans le réseau immobilier Knight Franck.

C’est le prix de l’exceptionnel, de l’isolement et de l’entre-soi dans un espace proche de Nassau. C’est aussi une nouvelle forme d’enclaves dans un archipel qui en compte aujourd’hui de multiples formes.

 

Images complémentaires

 


 


L’ile d’Andros, New Providence et la fosse de la langue de l’Océan.

 

 


Le Northeast Providence Channel, un passage maritime

 

 


New Providence et Eleuthera Island

 

 


Une partie de l’île Exuma

 

 


Une partie de l’île Exuma et la fosse de l’Exuma Sound

 

 

D’autres ressources

Sources statistiques

Démographie et profils physiographiques du tourisme dans les iles des Bahamas, Ministère du tourisme des Bahamas, 2016.

Foreign Arrivals Summary Report, full year 2018, Minitry of Tourism, 2018

Bibliographie

Romain Cruse, La diffusion de la présence économique chinoise dans la Caraïbe insulaire : modalités et enjeux pratiques et théoriques, Cahier de Géographie du Québec, volume 58, n°163, 2014.

Romain Cruse et Daurius Figueira, Géopolitique du cannabis dans la Caraïbe insulaire, L’Espace Politique, n°24, 2014.

Michel Desse, Jusline Rodne Jeanty, Monique Gherardi et Simon Charrier, Le tourisme dans la Caraïbe, un moteur du développement territorial, revue Ideas, idées d’Amériques, n°12, 2018.

Jean-François Lebrun, la lutte contre le trafic de Cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique de l’Ouest, un enjeu européen, thèse de doctorat en sciences politiques, Université des Antilles, juin 2019.

Bénédicte Auvray, l’enclave touristique, déclinaison exotique de la communauté fermée, Urbia, les cahiers du développement durable, Université de Lausanne, 2012.

Contributeur

Jean-François ARNAL, agrégé d’Histoire-Géographie, Lycée International de Ferney-Voltaire, Université Lyon II.