Au sud de l’île de Chypre près de la ville de Limassol s’étend la base britannique d’Akrotiri, un des sites militaires les plus importants dans le monde hors Royaume-Uni. Arrachées à la République de Chypre lors de son indépendance en 1960, les deux bases d’Akrotiri, pour la Royal Air Force, et de Dhekalia, pour la Royal Navy, occupent 254 km2, soit 3 % du territoire et accueillent 3.500 militaires britanniques. A proximité immédiate d’un des grands points chauds géopolitique du monde, le Proche et Moyen-Orient, elles servent de point d’appui à la projection et aux déploiements des troupes britanniques et étasuniennes en Irak, en Libye ou en Afghanistan. Elles accueillent des stations d’écoutes électroniques et d’espionnages des télécommunications régionales de tout l’est de la Méditerranée, du Proche-Orient et des Balkans dans le cadre du réseau Echelon piloté par la NSA et Washington.
Légende de l’image satellite
Cette image de la ville de Akrotiri, au sud de l’île de Chypre a été prise le 14 mai 2019 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.
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Présentation de l’image globale
Chypre : la base militaire britannique d’Akrotiri,
un levier de projection majeur en la Méditerranée orientale
Limassol : la grande ville du sud de l’île au fort développement urbain, portuaire et touristique du fait de la partition géopolitique de l’île
Comme le montre l’image, nous sommes sur un espace littoral dominé au nord par un ensemble de collines et de hauts plateaux qui sont couverts soit de forêts, grâce aux opérations de reboisement, soit de cultures méditerranéennes (vergers, vignes…). Au pied de ces hauteurs, la plaine littorale est relativement étroite.
Au centre-ouest de l’image se déploie une avancée dans la mer. C’est la presqu’île d’Akrotiri ; elle se termine en mer par les caps Zevgari, à l’ouest, et Gata, à l’est et sépare deux baies, d’Epikopi à l’ouest, d’Akrotiri à l’est. La présence d’un îlot rocheux a permis la construction de deux flèches de sable qui relient celui-ci à la terre en isolant au milieu une lagune dont la couleur verte est bien visible sur l’image. Cette presqu’île forme donc une vaste baie ouverte vers le sud-ouest. Au fond de celle-ci se trouve une ville importante dont on repère bien la zone portuaire, c’est Limassol.
Les hautes terres du nord de l’image se rattachent au massif du Troodos, qui organise tout le sud de l’île et culmine au mont Trikkoukia à 2.010 m. Celui-ci étant relativement bien arrosé (845 mm eau/an), il alimente une série de rivières dont le cours est barré afin de retenir l’eau pour l’irrigation et l’alimentation des populations littorales.
Trois lacs de retenue sont bien visibles sur l’image, dont celui sur le Kouris, le plus important de l’île, construit en 1984. Situé à une altitude de 250 m, il draine un vaste bassin à l’amont - Kouris, Limnatis, Kryos - grâce à des tunnels de captage et présente une capacité de stockage de 115 millions de m3. Dans ce milieu méditerranéen, la question de la gestion de l’eau constitue un enjeu majeur, d’autant que la ville de Limassol – aux étés chauds (juillet : 26°C) - ne reçoit que 415 mm d’eau par an. La croissance démographique et urbaine d’un côté, le fort développement des activités touristiques dans la région de Limassol de l’autre mettent les ressources sous pression face aux besoins agricoles et se traduisent par certaines tensions dans le partage de celle-ci.
Depuis l’occupation turque du nord en juillet 1974 et de la partition géopolitique de l’île qui aboutit à la création par Ankara de la République turque de Chypre du Nord qui couvre 38 % du territoire, non reconnue par la communauté internationale, la ville de Limassol de 228.000 habitants a connu un important apport de réfugiés. Puis un sensible renforcement de ses fonctions portuaires, au détriment de Famagouste situé au nord, en devenant le 1er port de l’île. Le vieux port avec sa digue de 250 m de long et le nouveau port avec sa digue de 1.300 m sont bien visibles sur l’image.
Du fait de son climat, de son patrimoine historique, de ses plages et de son éloignement des zones de tension avec la partie turque, la ville a aussi connu un important boom immobilier touristique, au détriment de Famagouste et Kyrenia. Son front de mer accueille hôtels, restaurants et discothèques alors qu’une nouvelle marina achevée en 2011 renforce l’activité de plaisance avec un potentiel de 1.000 anneaux supplémentaires. Le nombre global de touriste dans l‘île passe en effet de 500.000 en 1980 à 3,5 millions aujourd’hui.
Mais l’avenir économique de l’île est aujourd’hui largement conditionné par la mise en exploitation des importants gisements de gaz offshore découverts récemment au nord-est de l’île. Mais alors qu’Israël et l’Egypte ont commencé à exploiter leur important gisement offshore, Ankara conteste le découpage et les limites des eaux territoriales concernées, ce qui contraint Chypre à saisir en 2019 la Cour international de Justice de La Haye afin de trancher leur différent frontalier.
La base d’Akrotiri : une enclave militaire littorale britannique en territoire chypriote
Immédiatement à l’ouest de Limassol s’étend sur 75,5 km2 la vaste base militaire britannique d’Akrotiri, qui occupe toute la vaste presqu’île et toute la bande littorale de l’ouest de l’image. Elle s’étend globalement sur 20 km d’ouest en est et sur 10 km du nord au sud.
Au sud du lac salé, bien visible sur l’image, se trouvent le cantonnement d’Akrotiri et une importante base aérienne dont les pistes ouest-est sont bien identifiables. Au nord du lac salé, les limites de la base sont très découpées afin d’éviter d’incorporer les villages chypriotes de Zakaki, Asomatos, Ypsonas, Kolossi, Episkopi, Sotira ou Avdimou. Plus à l’ouest (hors image) se trouve le long du littoral le cantonnement d’Episkopi.
La base militaire d’Akrotiri abrite le Quartier général des Forces britanniques de Chypre (B.F.C., British Forces Cyprus) à Episkopi et la plus importante base aérienne de la Royal Air Force dans le monde, hors territoire britannique dans la presqu’îile. Les unités permanentes sont composées de bataillons d’infanterie, d’aviateurs de la Royal Air Force, d’unités de communication et d’écoute et de polices militaires.
La base d’Akrotiri ou WSBA - Western Sovereign Base Area - est complété par une autre base militaire très importante : la base de Dhekalia, ou ESBA (Eastern Sovereign Base Area). Couvrant 81 km2, elle est située au sud-est de l’île entre les villes de Larnaca et Famagouste au contact des zones chypriotes et turques. Ces deux bases occupent au total 254 km2, soit 3 % du territoire. Ces deux enclaves accueillent 15.700 personnes, 3.500 militaires britanniques, leurs familles (4.400 personnes) et7.000 Chypriotes.
Les 3.500 hommes et installations des B.F.C servent aussi de support aux forces britanniques engagées dans le cadre de l’Opération TOSCA dans l’UNFICYP qui est la Force de maintien de la paix des Nations Unies à Chypre. Placées sous le commandement direct de l’ONU, ces unités patrouillent en particulier dans le secteur 2 de la Ligne verte qui partage Nicosie, la capitale, en deux secteurs.
Un héritage impérial : les deux bases militaires souveraine d’Akrotiri et Dhekelia
La présence de ces enclaves miliaires étrangères sur le territoire d’un pays souverain membre de l’Union européenne est un héritage direct de l’Empire britannique. Dans le cadre du long affaiblissement puis du démembrement de l’Empire ottoman, qui s’était emparé de l’île depuis 1570, Londres annexe Chypre en 1878 à la barbe de Paris. A la fin du XIXem siècle, la montée des rivalités interimpérialistes au Proche Orient - en particulier entre l’Empire britannique et la France d’un côté, l’Empire britannique et la Russie de l’autre – sert en effet de toile de fond à cette opération. Chypre devient ensuite Colonie de la Couronne en 1925.
Cette île de 9.250 km2 occupe en effet en Méditerranée orientale une place géostratégique majeure, comme en témoigne son histoire très mouvementée. Elle se situe à seulement 60 km des côtes turques et à 100 km des côtes de Syrie. Pour Londres, elle était « la clé de l’Asie de l’Ouest ». Durant l’Empire, Chypre s’inscrivait dans le collier de perles que constituaient les bases militaires de Gibraltar, Malte, Chypre et Aden (sud du Yémen) afin d’assurer la sécurité de la Route des Indes qui passait par le Canal de Suez ouvert en 1869.
Lors de l’obtention de haute lutte de son indépendance du Royaume-Uni en 1960, la République de Chypre est contrainte cependant du fait des rapports de forces géopolitiques de céder à Londres les deux bases militaires d’Akrotiri et de Dhekelia dans le cadre des Accords de Londres du 19 février 1959 signés entre le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie, les deux puissances régionales garantes. Cette cession de souveraineté transforme ces deux bases en enclaves étrangères ; leurs limites territoriales sont alors érigées en frontières internationales et largement renforcées par une succession de clôtures et de check points alors que leur position littorale se traduit par la création d’un espace de mer territoriale sous souveraineté britannique.
Depuis, le gouvernement chypriote et une très large partie des forces politiques et de l’opinion publique ne cessent de réclamer le retour sous souveraineté chypriote de ces importantes bases militaires.
Au plan juridique, ces deux bases sont définies comme des Sovereign Base Area (S.B.A.), ou « Bases militaire souveraine ». Les S.B.A. sont des bases militaires des Forces armées britanniques sous souveraineté du Royaume-Uni situées dans un territoire étranger. En dehors du contrôle direct de ces deux bases souveraines, le traité prévoyait aussi la possession par les forces britannique de 40 sites dispersés dans l’île (stations radars et de télécommunication, ports, lieux d’hébergement, champ de tir…). Mais progressivement, ce dispositif s’est rétracté pour ne garder que les terrains et les infrastructures les plus névralgiques. On assiste en effet à la cession de nombreux sites comme le champ de tir de la péninsule d’Akamas en 2001 ou les groupes de logements de Berengaria Village à Limassol en 2011.
Un rôle géostratégique majeur en pleine Méditerranée orientale
La position en pleine Méditerranée orientale de ces importantes bases militaires représente encore aujourd’hui un intérêt géostratégique majeur puisqu’elles sont situées à proximité géographique d’un des grands points chauds géopolitique du monde, le Proche et Moyen-Orient, et qu’elles contrôlent toujours une des plus importantes voies maritimes au monde. Dans les années 1970/1980 stationnaient à Akrotiri des avions-espions U-2 étasuniens, au profit en particulier de la CIA, comme le confirma par exemple la chute d’un U2 près de la tour de contrôle qui fit sept morts.
Elles servent ainsi de point d’appui à la projection et aux déploiements des troupes britanniques - et étasuniennes, voire plus largement occidentales - lors des opérations militaires menés ces dernières décennies : expédition de Suez de 1956, soutien au Roi de Jordanie en 1958 ; opérations plus récentes en Irak, en Libye contre le régime de Mouammar Kadhafi ou en Asie (soutien logistique aux forces étasuniennes en Afghanistan).
Des missions d’espionnage des télécommunications : un maillon du réseau Echelon
Elles accueillent aussi, voire surtout, des stations d’écoutes électroniques et d’espionnage des télécommunications régionales de tout l’est de la Méditerranée, du Proche-Orient et des Balkans.
La Joint Service Signal Unit de Chypre de la Royal Air Force dispose d’une très importante station à Ayios Nikolaos, créée en 1946, dans la base de Dhekelia. Elle dispose de nombreuses antennes, renforcées en 2008/2011, et peut intercepter, recevoir et traiter simultanément les signaux envoyés par une trentaine de satellites. A une vingtaine de km au nord de la base d’Episkopi, le Mont Troodos accueille lui aussi une importante station d’écoute de la RAF. Enfin, en 2003, la construction de deux gigantesques antennes radio de détection et d’interception des télécommunications à côté du lac salé d’ Akrotiri, qui couvre une surface de 10,6 km2, s’est traduite par la mobilisation d’associations écologistes soucieuses de la préservation d’un milieu naturel favorable aux oiseaux migrateurs.
Plus globalement, comme l’ont révélé certains documents déclassifiées ces dernières années ou rendus publics par le lanceur d’alerte Edward Snowden, l’ensemble de ces stations sont interconnectées avec le GHHQ – Government Communications Headquaters – britannique qui gère à l’échelle mondiale pour le Royaume-Uni les opérations d’écoute et d’espionnage électromagnétiques. Ces équipements et les renseignements recueillis participent du réseau Echelon piloté par Washington, dont le Royaume-Uni – membre de l’Otan – est toujours très proche. Ceci explique pourquoi une partie des installations chypriotes est financée par la NSA étasunienne, la fameuse agence d’espionnage dont le siège est dans la grande banlieue de Washington.
Image complémentaire
Chypre est une île située dans la partie orientale de la mer Méditerranée. L'image ci-contre, dont est extrait l'image générale présentée ici, représente la partie Sud de l'île de Chypre.
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Ressources complémentaires
Olivier Clochard, « Jeux de frontières à Chypre : quels impacts sur les flux migratoires en Méditerranée orientale ? », Géoconfluences, 2008
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Education nationale