Published on March 05, 2025

SVOM : « Les sursauts gamma détectés sont comme une lampe qui éclaire la naissance de l’Univers »

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La mission franco-chinoise SVOM fournit de précieuses données sur les sursauts gamma, des évènements très énergétiques qui renseignent sur les débuts de l’Univers. Décryptage d'experts.

Illustration du satellite SVOM
© CNES/ill./SATTLER Oliver, 2024
  • Jean-Luc Atteia est astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie et a été le responsable scientifique de l’instrument ECLAIRs de SVOM.
  • Bertrand Cordier est chercheur en astrophysique au CEA et responsable scientifique du projet SVOM.
  • Karine Mercier est responsable de la campagne satellite et de la charge utile française au CNES.
  • Desi Raulin est cheffe de projet exploitation SVOM au CNES.

Le satellite franco-chinois SVOM a été lancé le 22 juin 2024 par une fusée Long March 2C de l’agence spatiale chinoise. Quelle est sa mission ?

Jean-Luc Atteia : La mission SVOM étudie les sursauts gamma. Ce sont des phénomènes cosmiques très puissants, qui émettent autant d’énergie en quelques secondes que le Soleil sur l’ensemble de sa vie ! Le satellite est chargé de les détecter, de les localiser et d’envoyer une alerte sur Terre. Les moyens sol prennent alors le relais pour mesurer leurs caractéristiques. Cinquante à soixante-dix sursauts seront observés chaque année.

Quels sont les premiers résultats de la mission SVOM ?

Bertrand Cordier : En décembre 2024, 78 sursauts gamma avait déjà été détectés par SVOM et une dizaine de publications scientifiques sont en préparation.

J-L. A. : Le taux de détection est celui attendu, et toute la chaîne d’observation a très bien fonctionné. C’est le fruit d’une collaboration franco-chinoise réussie et d’un effort collectif colossal.

Karine Mercier : Les deux instruments français ECLAIRs et MXT donnent pleinement satisfaction en regard des performances attendues. Les deux instruments chinois VT et GRM fonctionnent très bien également, et le satellite – au fonctionnement robuste – permet de répondre aux exigences de cette mission complexe.

Desi Raulin : Fin janvier, nous avons clôturé la phase de vérification du satellite et du système lors d’une revue à Pékin en Chine. Cette phase a permis de démontrer que les performances des instruments et du système atteignent les niveaux d’exigences nécessaires, et ce, malgré la complexité du système SVOM. Nous sommes très satisfaits. Il faut désormais maintenir ces bonnes performances dans la phase opérationnelle de la mission.

C’est quoi, exactement, un sursaut gamma ?

J-L. A. : Les rayons gamma sont des ondes électromagnétiques invisibles à l’œil nu. Un sursaut gamma est une émission très brève d’une énorme quantité de rayons gamma : l’évènement peut durer entre 0,01 seconde et quelques dizaines de minutes. Les sursauts gamma naissent en dehors de notre galaxie, très loin de nous. Leur origine ? Nous en avons identifié deux :

  • La mort d’une étoile très massive. Lorsqu’elles s’effondrent en fin de vie, ces étoiles – pesant 20 à 50 fois la masse du Soleil – peuvent former un trou noir. La matière est alors en partie avalée par le trou noir et en partie expulsée par celui-ci sous forme de jets : un sursaut gamma long est créé.
  • La collision de deux astres compacts. Souvent, les étoiles massives naissent par paires. Lorsqu’elles meurent, elles peuvent créer une étoile à neutrons – un astre très compact d’un rayon d’une dizaine de kilomètres – ou un trou noir. Ces deux astres peuvent finir par fusionner, créant ainsi un sursaut gamma court.
© Creative Commons

Au quotidien, nous rencontrons différents types d’ondes : visibles (la seule perçue par notre œil), mais aussi rayons UV (dont nous protégeons notre peau en été), rayons X (lorsque nous passons une radiographie) ou encore ondes radio (qui servent à diffuser et écouter notre émission préférée). Les rayons gamma sont à gauche du spectre électromagnétique, ils ont la fréquence la plus élevée et la plus petite longueur d’onde.

Quel est l’intérêt de les étudier ?

J-L. A. : Les sursauts gamma sont des phénomènes très lumineux, capables de traverser les gaz : il est donc possible de les voir très loin. Or, en astronomie, observer loin c’est remonter le temps : les rayons mettent en effet des milliards d’années avant d’être captés par nos instruments. Les sursauts gamma les plus anciens observés remontent à 13,2 milliards d’années, soit très peu de temps après la naissance de l’Univers (13,7 milliards d’années) ! 

B. C. : Le Graal ? Observer les toutes premières étoiles formées dans l’Univers. Les sursauts gamma sont comme une lampe qui éclaire la naissance de l’Univers : ils permettent de connaître la composition de la matière, la température ou encore la densité de l’environnement du sursaut, à des âges très jeunes de l’Univers.

Les sursauts gamma pourraient nous permettre de connaître les taux de formation des étoiles à cette époque, d’observer comment la matière (notamment métallique) s’est formée au sein des étoiles, la composition des galaxies lointaines, etc. C’est la méthode originale de SVOM pour obtenir ces informations.

Bertrand Cordier

  • Chercheur au CEA, responsable scientifique de la mission SVOM

L’autre intérêt scientifique concerne la physique fondamentale : dans un sursaut gamma, la matière est éjectée à une vitesse proche de celle de la lumière. Les niveaux d’énergie sont colossaux, ce sont des conditions physiques extrêmes de la matière, impossibles à reproduire sur Terre. Les étudier permet d’améliorer notre compréhension de la physique des hautes énergies.

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Comment observe-t-on les sursauts gamma ?

J-L. A. : Les rayons gamma ne traversent pas l’atmosphère, ils sont donc indétectables sur Terre. La seule solution est d’embarquer un détecteur à bord d’un satellite. Le rayonnement gamma de l’Univers est assez faible, les sursauts gamma sont tellement puissants qu’ils sont faciles à détecter.

C’est grâce aux satellites qu’ils ont été découverts en 1967. À l’époque, l’armée américaine surveillait d’éventuels essais nucléaires. Les explosions nucléaires émettent des rayons gamma : l’armée a donc lancé un satellite de reconnaissance. C’est lui qui a détecté les premiers sursauts gamma !

Jean-Luc Atteia

  • Astronome à l'IRAP

B. C. : Notre compréhension s’est progressivement améliorée grâce aux missions satellites successives, jusqu’à comprendre leur origine en 1997. Nous avons également compris qu’il était en fait possible de les observer dans d’autres longueurs d’ondes, et même depuis la Terre ! En effet, lors d’un sursaut gamma, après l’émission très brève de rayons gamma (l’émission dite prompte), une autre émission dite rémanente perdure pendant des minutes, heures voire jours. Elle est constituée de rayons X, visibles et radio. Le signal diminue au cours du temps, il est donc crucial de l’observer le plus rapidement possible.

Comment SVOM observe-t-il les sursauts gamma ? 

K. M. : Le satellite embarque quatre instruments complémentaires, travaillant en complète synergie dans différentes longueurs d’ondes (rayons gamma, X et lumière visible). 

Le système SVOM est conçu comme une poupée russe. Instrument clé de la mission, le télescope ECLAIRs est le premier à détecter le sursaut gamma grâce à son large champ de vue – un sixième de la voûte céleste. Il est capable de détecter un sursaut parmi des milliers d’étoiles et de calculer sa position en quelques secondes grâce à son algorithme complexe embarqué.

Karine Mercier

  • Responsable de la campagne satellite et de la charge utile française au CNES

Une course contre la montre s’enclenche alors. ECLAIRs envoie une première alerte dans les 30 secondes au sol grâce au réseau d’une cinquantaine d’antennes VHF développé dans le cadre de la mission SVOM. En parallèle, l’alerte est transmise au satellite : en moins d’une minute, le satellite manœuvre pour placer le sursaut détecté au centre des instruments de plus petit champ de vue (MXT et VT). Le télescope MXT, l’autre instrument français, restitue une localisation plus précise du sursaut. Grâce à son optique innovante basée sur un ensemble de micro canaux qui s’inspire de la vision du homard (d’où son nom, le ‘lobster eye’), il focalise les photons (les particules de lumière) sur un détecteur. Cette nouvelle localisation est transmise aux grands télescopes au sol pour compléter les observations et la caractérisation du sursaut. Le sursaut détecté sera ainsi observé simultanément autant que possible pendant plusieurs orbites par les instruments à bord du satellite SVOM, par des télescopes sol et d’autres missions telles que SWIFT ou EINSTEIN PROBE.

Téléscope robotique terrestre utilisé lors de la mission SVOM.
© Alan Watson, UNAM, 2024

Deux télescopes robotiques terrestres ont été installés pour répondre rapidement à l’alerte envoyée par le satellite SVOM : les GFTs (ground follow-up telescopes). L’un est installé dans le Jiling en Chine et l’autre en Californie mexicaine (sur la photo). Ils s’orientent en moins d’une minute vers le sursaut gamma. 

Quelle est la particularité de la mission SVOM ?

J-L. A. : L’instrument ECLAIRs est le premier télescope gamma en mesure d’observer des basses énergies. Nous avons découvert des sursauts invisibles en dehors de cette nouvelle gamme d’énergie, qu’on appelle des sursauts mous, une observation inédite.

K. M : La mission SVOM est un système complexe : le satellite manœuvrant communique avec un réseau d’antennes VHF, dont la répartition a été optimisée afin de garantir une visibilité quasi continue, des télescopes sol dédiés, des stations de réceptions des données et des centres de contrôle opérationnels et scientifiques français et chinois. Il a fallu le concevoir avec l’objectif que ces éléments puissent fonctionner et communiquer en continu dans le but de garantir le traitement d’une alerte en moins de 2 minutes.

Une autre particularité du système SVOM : sa capacité à programmer avec rapidité des observations exceptionnelles d’évènements détectés par d’autres missions grâce au système chinois BEIDOU. La thématique scientifique de SVOM est ainsi élargie aux observations des ondes gravitationnelles.

Carte : localisation des sursauts Gamma par SVOM.
© svom.eu

En date du 27 février 2025, SVOM a déjà détecté 92 sursauts gamma, dont 80 par l'instrument GRM et 28 par l'instrument ECLAIRs. 

D. R. : Le système sol est réparti entre le segment sol de mission français et le segment sol de mission chinois, qui ont de multiples interfaces. La responsabilité globale des opérations de la mission SVOM est assurée par le NSSC qui héberge le Mission Center (MC) et le Space Science Data Center (SSDC).

En France, la mission SVOM est pilotée et coordonnée par le CNES pendant toutes les phases de la mission. Il s’agit de la coordination avec les centres scientifiques français et l'exploitation des moyens dédiés ou partagés pour cette mission.

Le segment sol de mission français est constitué d’un centre d’opérations French Payload Operations Center (FPOC), des réseaux multi-mission et stations bande X/S, du réseau d’alerte VHF, du télescope au sol (Ground Follow-up Telescopes (F-GFT)) installé au Mexique, ainsi que de quatre centres scientifiques (FSGS (French Science Ground Segment)).

En ce qui concerne les activités scientifiques du FSGS, il s’agit d’une activité mission qui implique aussi les scientifiques du consortium chinois. Du côté français, cette activité est coordonnée par le CEA, mais elle implique aussi d’autres laboratoires.

La complexité de ce système, mais aussi de la mission à travers la coopération franco-chinoise, en fait une mission très riche avec des challenges à de multiples niveaux : technique, système, humaine, organisationnel, culturel…

Desi Raulin

  • Cheffe de projet exploitation SVOM au CNES

Pourquoi observe-t-on aussi les sursauts gamma depuis la Terre, le satellite ne suffit pas ?

J-L A. : Sur Terre, une fois la position précise du sursaut calculée par nos télescopes robotiques, nous pouvons dans certaines conditions utiliser les très grands télescopes pour observer le sursaut gamma, comme le VLT au Chili. Ces instruments de pointe sont les seuls à pouvoir caractériser très précisément le sursaut en décortiquant son spectre. Ce sont eux qui nous fournissent les données permettant de mesurer précisément la distance de la source et de répondre à nos objectifs scientifiques.

Quelles sont les conditions dans lesquelles les très grands télescopes peuvent être utilisés pour observer les sursauts gamma ?

B.C. : Les très grands télescopes terrestres ont des programmes d’observation définis souvent des mois en avance. Les détourner en urgence vers un sursaut gamma n’est pas une décision prise à la légère ! C’est le rôle de l’avocat-sursaut. Parmi les cinq personnes d’astreinte, deux avocats-sursaut ont pour mission d’analyser toutes les données fournies par les instruments spatiaux et terrestres dans les minutes qui suivent l’alerte envoyée par SVOM. S’ils estiment que le sursaut est intéressant, ils le défendent auprès des gestionnaires des grands télescopes pour qu’ils acceptent de les repointer en direction du sursaut. En parallèle, moins d’une heure après la première détection, l’équipe partage publiquement la position du sursaut gamma dans une circulaire.

En tant qu’astronome amateur, est-il possible de les observer ?

J-L.A. : Oui, c’est même déjà arrivé plusieurs fois ! Certains astronomes ont réussi à observer les rayons visibles émis par le sursaut gamma avec de petits télescopes de 25 cm de diamètre. Il faut être très rapide, arriver dans les minutes qui suivent l’alerte. En pratique, on découvre une nouvelle étoile qui disparaît progressivement.

Comment la mission SVOM est-elle née ?

K.M. : Le projet a démarré en 2004. Tout est parti d’une idée des scientifiques qui souhaitaient approfondir les connaissances sur les sursauts gamma, et de développements R&D proposés par les laboratoires français au CNES. Dans un contexte favorable à une collaboration entre la France et la Chine dans le domaine spatial, nous avons pu très vite mettre en place une collaboration franco-chinoise autour du projet. Différents évènements géopolitiques et la crise sanitaire du Covid-19 ont ralenti sa progression, mais aujourd’hui la mission est un succès et doit se prolonger jusqu’en 2029. Une relation de confiance mutuelle a été construite avec nos interlocuteurs chinois, elle est le garant de la réussite de ce projet.

La mission SVOM en chiffres

  • 5 partenaires : CNES, China National Space Administration (CNSA), CAS Space, CNRS, CEA
  • 11 laboratoires de recherche français impliqués
  • 2 partenaires européens
  • 22 juin 2024 : lancement du satellite
  • 3 ans + 2 ans : durée d’exploitation du satellite
  • 4 instruments à bord (dont 2 français)
  • 50 stations radio VHF au sol
  • 2 télescopes robotiques au sol
  • 250 personnes au CNES et 150 dans les laboratoires de recherche français