Islande - Vatnajökull et le sud-est islandais : la glace et le feu

Au sud-est de l’Islande, la calotte glaciaire du Vatnajökull, qui arrive presque jusqu’à la mer, est la plus étendue et la plus volumineuse d’Islande. Elle couvre 7.900 km², soit 8 % de la surface de l’île ou 95 % de celle de la Corse. C’est également le plus grand glacier d’Europe situé au sud du cercle polaire. Ses altitudes maximales s’échelonnent de 1.400 à 1.800 m au-dessus du niveau de la mer. Son épaisseur moyenne est de 400 m, et son épaisseur maximale dépasse les 950 m. Glacier tempéré, le régime thermique de la glace qui le compose se situe au-dessus du point de fusion de la glace sous pression, pendant une partie de l’année sur ces premiers 10-20 mètres. Prise au moment de l’éruption de la fissure volcanique dans le désert Holuhraun, les fontaines de lave et la formation de la coulée sont visibles sur l’image : la glace et le feu se côtoient ici en permanence. Cette alliance participe pleinement en retour d’un important développement d’un tourisme de découverte et d’aventure.

 

Légende de l’image satellite

Situé dans le Sud-Est de l'Islande, la plus grande calotte glaciaire d'Islande a été capturée par un satelitte Sentinel-2 au mois d'août 2019. Cette image en couleurs naturelles du Vatnajökull a une résolution native à 10m.

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Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2019, tous droits réservés.

 

Présentation de l’image globale

Le Vatnajökull : un environnement glacio-volcanique unique en Europe

Un système volcanique très actif, un paysage en mutation constante

Occupant un vaste territoire en s’étendant de 140 km d’ouest en est et 100 km du nord au sud, la calotte glaciaire du Vatnajökull et son environnement proche offrent une large gamme de paysages. Les paysages façonnés par la glace y sont bien sûr prédominants, puisque les formes de relief glaciaires (cirques, pics, arêtes, crevasses, séracs, moraines frontales et latérales, roches polies, kettles, plaines d’épandage…), paraglaciaires (cônes alluviaux, déstabilisation des parois déglacées, chenaux en tresse …) et périglaciaires (gélifraction, solifluxion…) s’y lisent comme dans un livre. Les paysages volcaniques et géothermales se rencontrent largement sur et aux abords de la calotte, le nord-ouest du glacier couvrant partiellement la diagonale active de l’île.

Le glacier représente ainsi une masse d’eau considérable, dont témoignent les nombreux écoulements qu’il génère. Ceux-ci sont très diffus au sud et au sud-est, et plus concentrés au nord. Les nombreux volcans sous glaciaires qu’il abrite - dont certains sont actifs comme le Gjálp à l’ouest, le Grímsvötn et le Bárðarbunga au nord, le Kverkfjöll au nord ou le Öræfajökull et Esjufjöll au sud - contribuent largement aux écoulements sous glaciaires en permettant la formation de lacs sous-glaciaires permanents.

Au contact direct de la glace, les éruptions génèrent des crues brutales, dénommées les jökulhlaupar. S’échappant de l’une ou l’autre des 30 langues glaciaires émanant de la calotte, celles-ci contribuent à façonner le paysage des vastes plaines proglaciaires, dénommés les sandur, qui sont bien visibles sur l’image.

Un Parc National inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO

La calotte glaciaire dans son ensemble, ainsi que les étendues alentours au nord et à l’ouest, sont incluses dans les limites du Parc national du Vatnajökull. Créé le 7 juin 2008, il couvre initialement 12 000 km². Mais la récente inclusion de la fissure éruptive de Lakagígar, qui fait 30 km de long, et du lac Langisjór à l’ouest, de la zone désertique Krepputunga au nord, et du lac proglaciaire Jökulsárlón au sud lui donne dorénavant une emprise de plus de 14 000 km², soit l’équivalent de 14 % du territoire islandais. Le 5 juillet 2019, le Parc National Vatnajökull est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Quatre territoires, localement administrés, divisent cet espace. Le territoire nord couvre la partie située au nord-ouest du glacier : il regroupe la caldeira d’Askja, le canyon de Jökulsárgljúfur et la partie amont de la rivière Jökulsá á Fjöllum. Le territoire est regroupe les montagnes Kverkfjöll et le nord-est du glacier. Le territoire sud s’étend sur toute la partie sud-ouest du glacier, depuis le promontoire Lómagnúpur à Lónsöræfi à l’est. Le territoire ouest enfin recouvre une vaste étendue située à l’ouest du glacier, incluant la fissure Lakagígar (non visible sur l’image).

Les paysages tout à fait spécifiques de la région couverte par l’image expliquent que celle-ci a servi ces dernières décennies comme lieu de tournage à plusieurs films ayant eu une carrière internationale (James Bond : « Meurs un autre jour » et « Dangereusement votre », « Tomb Raider », « Batman Begins »).

Un territoire au cœur de l’identité et de l’attractivité touristique de l’Islande

Comme le montre l’image, nous sommes ici dans une région désertique et sous-peuplée. La seule structure d’habitats permanents est organisée le long du littoral par la route nationale 1 qui joue un rôle majeur en faisant le tour de l’ensemble de l’île, et en reliant en particulier Reykjavík, la capitale à l’ouest, aux villages et petites villes de l’est. Ce n’est qu’en 1974 que la route circulaire est achevée, avec l’ouverture à la circulation du pont sur la rivière glaciaire Skeiðará, à l’aval de Skaftafell.

Ce système annulaire, de 1 321 km, qui longe l’étroite plaine littorale, bien visible en vert sur l’image, dessert des petits villages, des hameaux ou des fermes isolées se consacrant pour l’essentiel à l’élevage. A l’est de l’image, situé au bout de la pointe verte encadrée par deux flèches littorales, Höfn est la principale agglomération et un petit port de pêche de 1 600 habitants.   

Pour autant, le dynamisme économique de la région est porté depuis maintenant plusieurs décennies par le développement d’un vaste tourisme international. En vingt ans, l’Islande est en effet passée de moins de 500.000 à 2,2 millions de visiteurs internationaux par an, soit autant que la Suisse, et les recettes touristiques annuelles de 561 millions de dollars à 3,129 milliards de dollars. A l’échelle de l’île, du fait de ses caractéristiques naturelles, paysagères et environnementales, la région du sud-est s’affirme comme un des principaux pôles touristiques derrière Reykjavík et sa région (Þingvellir…). Les visiteurs sont reçus toute l’année au centre de Skaftafell, au sud de la calotte, en marge de la langue glaciaire éponyme. Ce tourisme très saisonnier, car essentiellement concentré sur les mois de juillet et d’août, est cependant suffisant pour voir se multiplier les B&B, les chambres d’hôtes et les petits motels.  

 

Zooms d’étude

 



Öræfajökull, Litlahérað, le désert d’Öræfi et l’essor touristique

Sous la couche de glace qui le recouvre, le stratovolcan Öræfajökull est invisible. Pourtant, la caldeira – mesurant 14 km² et remplie de 550 m de glace - est surmontée par le point culminant de l’Islande : Hvannadalshnúkur, à 2.110 m d’altitude. Plusieurs langues glaciaires émanent de cette calotte marginale et méridionale du Vatnajökull.

Les héritages de la grande éruption explosive de 1362

En 1362, la plus intense éruption explosive d’Islande depuis la colonisation de l’île en 870 dévaste la région. Plusieurs fermes prospéraient au pied du volcan lors de l’optimum climatique du Moyen-Âge, les marges glaciaires étant alors environ 15 km plus reculées vers l’amont. L’explosion de 1362, brutale, a projeté 2,5 km3 de roches, 10 km3 de cendres volcaniques (téphra).

Si les vents, de provenance nord-ouest, ont protégé la plus grande partie de l’île des retombées des débris volcanique, la dévastation s’est tout de même étendue à 70 km du volcan ; une grande partie des cendres a été éjectée hors de l’île, tombant en mer. Six crues fluvioglaciaires, dénommées jökulhlaupar, issues des langues glaciaires environnantes, achevèrent de causer de graves dégâts sur le territoire prospère alors connu comme Litlahérað.

Depuis, la région n’a jamais retrouvé sa prospérité agricole d’antant, la végétation demeurant rase depuis. En 1727, une autre éruption, cependant de moindre ampleur, a également causé de nombreux dégâts à la suite des chutes de cendres et des jökulhaupar.

La forte touristification des limites sud du Vatnajökull

De nos jours, la limite sud du Vatnajökull représente une des attractions touristiques majeures. Les différents émissaires glaciaires sont effectivement d’accès facile, offrant une grande combinaison de paysages glaciaires et volcaniques.

Plusieurs infrastructures accueillent les visiteurs grâce à la proximité de la route N° 1 : maison du Parc National, résidences hôtelières et camping de Skaftafell, auprès de Skaftafellsjökull ; chemins de randonnée balisés ; Jökulsárlón où les visiteurs observent les icebergs vêlés par le glacier Breiðamerkurjökull...

Les coulées de lave et sandurs stabilisés présentent une couverture végétale rase, dont le vert vif tranche avec le noir de ce paysage minéral et le bleu des glaces.


 

 



Le barrage de Kárahnjúka et la centrale hydroélectrique associée

La valorisation exceptionnelle du milieu : hydroélectricité et géothermie fournissent 99 % de l’électricité du pays

Le complexe hydroélectrique de Kárahnjúka se repère très bien sur l’image grâce à la grande étendue d’eau formant l’immense réservoir Hálslón, retenu derrière trois barrages sur le fleuve Jökulsá à Brú ; sur le fleuve Jökulsá á Fjótsdal et la rivière Kelduá et trois de ses affluents, à quelques kilomètres à l’est, deux autres barrages retiennent les eaux dans les bassins Ufsárlón et Kelduárlón.

Le plus grand des barrages mesure 198 m de haut et 700 m de long. C’est le plus grand d’Europe. Le réservoir Hálslón couvre une superficie de 5 700 ha et retient 2 100 millions de m3. Empruntant des galeries d’amenée séparées puis une conduite forcée commune verticale de 420 m de dénivelé, les eaux atteignent la centrale de Fjótsdalur après 53 km de trajet. Elles y actionnent six turbines de 115 MW, produisant 4.600 GWh par an. L’eau est ensuite rejetée dans le fleuve Jökulsá á Fjótsdal en aval de l’usine.

L’électricité produite ici alimente la fonderie d’aluminium de Fjardaál localisée à Reyðarfjörður, 75 km à l’est et qui est reliée au barrage par un vaste réseau de lignes à haute tension. Appartenant au groupe étatsunien Alcoa, qui est le 3ème producteur mondial d’aluminium ; cette usine de 450 salariés bénéficie de coûts énergétiques très compétitifs et est dotée d’une capacité de production de 346.000 tonnes par an.

La présence de ce vaste complexe au cœur de l’image vient rappeler que l’Islande s’est lancée systématiquement ces dernières décennies dans la valorisation de ses importantes potentialités naturelles. L’hydroélectricité et la géothermie fournissent ainsi 99 % de l’électricité du pays.  

Un projet énergétique et industriel objet de vives polémiques

Le projet de centrale hydroélectrique était en discussion depuis 1970 ; jusqu’en 2002, plusieurs projets avaient été échafaudés avec des compagnies internationales. C’est finalement une entente entre le gouvernement islandais, Landsvirkjun, la compagnie d’électricité nationale, et Alcoa, qui établissent un accord pour la construction de la centrale hydroélectrique. La construction s’est déroulée à partir de 2002, et la centrale ouvre officiellement le 30 novembre 2007.

Le projet a soulevé de vives polémiques, en Islande mais aussi sur le plan international. D’un point de vue environnemental, l’impact de la centrale est immense. Par exemple, le bassin de rétention inonde des milieux vulnérables à maigre couvert végétal, qui représentait l’habitat de nidification d’oiseaux migrateurs et l’habitat des quelques rennes des hautes terres, concentrés dans l’est de l’île.

Plusieurs chutes d’eau ont également disparu, et le débit du fleuve Jökulsá á Brú a été très largement amputé. L’activité sismique et volcanique de la région pourrait être une menace sur la pérennité des infrastructures, qui entraînerait de graves conséquences environnementales et humaines en cas de rupture.

La création du Parc National de Vatnajökull est une réponse environnementale à cette construction, garantissant d’autres territoires vierges des hautes terres intérieures d’Islande contre l’exploitation anthropique.

 

 



Askja et Holuhraun : une nature volcanique à ciel ouvert

Le grand événement de 1875

Complexe de caldeiras emboîtées au sein des montagnes Dyngjufjöll qui les ceignent, Askja au cœur de la partie septentrionale de la diagonale active de l’Islande. La caldeira actuellement remplie par le lac Öskjuvatn date de 1875. De 220 m de profondeur, le lac est le second plus profond d’Islande, après Jökulsárlón. Juste en bordure nord du lac se trouve le maar de Víti, également formé lors de l’éruption de 1875, où l’activité géothermale est encore avérée, la température des eaux fluctuant autour de 25°C. La baignade y est cependant déconseillée car les émanations de dioxyde de carbone sont nocives, et les parois abruptes instables.

Lors de l’événement de 1875, ce sont d’abord plusieurs fissures qui entrent en éruption au nord de la caldeira ; puis 2,5 Km3 de téphras et ponces rhyolitiques sont expulsées de Víti, nouveau cratère dans la caldeira déjà existante ; le plafond de celle-ci s’effondre partiellement au fur et à mesure de la vidange de la chambre magmatique, et se remplit d’eau, créant le lac Öskjuvatn. Les retombées dévastent tout le nord-est de l’île, provoquant en retour une nouvelle vague migratoire vers l’Amérique du Nord et le Brésil.

Des activités récentes en tout point spectaculaires

Par la suite, plusieurs éruptions, de plus faible ampleur, ont eu lieu, principalement émanant de fissures éruptives, de 1921 à 1933. Cependant, en 1961, deux mois d’activité d’une fissure éruptive située au nord-est de la caldeira permettent d’éjecter sous formes de fontaines de lave 4 millions de m3 de téphras et 100 millions de m² de lave (Víkrahraun), encore bien visible.

Entre Askja et les marges de Dyngjujökull, au nord de la calotte Vatnajökull, le long des systèmes fissuraux de Bárðarbunga et Askja, l’éruption fissurale d’Holuhraun produit un champ de lave de 85 km² et 1,6 km3 entre le 29 août 2014 et le 27 février 2015. C’est la plus vaste étendue de lave produite depuis l’éruption du Laki en 1783-1784. Cette nouvelle lave a recouvert un champ de lave produit en 1797 par une éruption émanant d’Askja. La fraîcheur géologique de toutes ces surfaces localisées au nord du Vatnajökull est attestée sur l’image par les couleurs sombres prédominantes : rares sont les secteurs végétalisés.

Le 6 septembre 2014, le satellite Landsat-8 capture une éruption volcanique lors de son passage sur la côte sud-est de l'Islande. Cette image, en fausses couleurs, est accessible sur le site de l'ESA

 

Documents complémentaires

Sur le site Géoimage

Armelle Decaulne : 
Islande - Reykjavik et sa région : contraintes et atouts de hautes latitudes volcaniques insulaires

Sur le site Géoconfluences

Lionel Laslaz, « Kárahnjúkar, le diable dans l’éden. Hydroélectricité et espaces protégés en Islande », Image à la une de Géoconfluences, septembre 2016.
Camille Escudé-Joffres, « Les régions de l’Arctique entre États et sociétés », Géoconfluences, septembre 2019.

Ouvrages

Clara LOÏZZO, Camille TIANO, L’Arctique, à l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique, A. Colin, 2019

Camille ESCUDE (sous direct.), Les régions de l’Arctique, Editions Atalante, 2019.

Contributeur

Armelle Decaulne, Directrice de Recherche au CNRS attachée au Laboratoire Littoral Environnement Télédétection Géomatique (LETG), Nantes