Ville littorale de 52.000 habitants en bordure du désert, la ville de Walvis Bay s’est construite autour d’un atout stratégique : la présence du seul site portuaire en eau profonde de tout le long littoral atlantique de l’Afrique australe. Du fait de son intérêt géostratégique majeur, le contrôle de la ville et de sa région fut l’objet de vives rivalités géopolitiques entre colonisateurs allemand et britannique. Puis entre l’Empire britannique et l’Afrique du Sud, qui gardèrent le contrôle de l’enclave de 1878 à 1994, et la Namibie qui arrache son indépendance en 1990. Aujourd’hui, le développement de la pêche, du tourisme et la création d’une zone franche participent de sa diversification économique. Pour autant, le port, et les réseaux de transport – en particulier ferroviaires - drainant son vaste hinterland, gardent toute leur importance stratégique comme en témoigne leur modernisation par la Chine dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ».
Légende de l’image satellite
Cette image de Walvis Bay, ville portuaire située sur la côte de la Namibie, a été prise le 23 août 2019 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.
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Présentation de l’image globale
Walvis Bay : Le seul grand port en eau profonde de
la façade atlantique de l’Afrique australe
Le littoral atlantique désertique de l’Afrique australe
Comme le montre l’image, nous sommes là dans une région littorale désertique qui correspond au désert côtier du Namib qui couvre 81.000 km². Il s’étend sur 1.500 km de long et 80 à 160 km de large.
L’image est composée de deux ensembles naturels bien différents. Au sud dominent de vastes espaces de dunes de sables mobiles qui peuvent attendre les 300 m de hauteur, ce qui les classe parmi les plus hautes au monde. Elles sont orientées globalement nord/sud et la couleur orangée est due aux oxydes de fer. Ce bourrelet dunaire, dont nous ne voyons ici que la partie septentrionale, est large d’une trentaine de kilomètres et s’étend sur 300 km nord/sud. Au nord par contre dominent des plateaux arides peu élevés. Correspondant à différents niveaux de terrasses couvertes de graviers, ils tombent en escalier vers la mer.
Le contact entre les deux milieux est bien visible : c’est la vallée du Kuiseb, un oued orienté sud-est/nord-ouest qui rejoint l’Océan atlantique par une lagune après avoir parcouru 550 km et drainé un bassin de 15.000 km². Ces grands oueds littoraux accueillent un ruissellement très intermittent tant la région est aride. Comme on peut très bien le voir sur l’image, ces espaces sont balayés par les vents qui expliquent ces vastes panaches de poussières qui survolent l’océan. La mobilisation des matériaux sédimentaires fins par les eaux ou les vents pose parfois de vrais défis comme en témoigne tout au nord de l’image la petite ville littorale de Swakopmund, qui est aujourd’hui largement ensablée. A 70 km à l’intérieur des terres (hors image) se trouvent les fameuses mines d’uranium de Rössing, Husab et Trekkopje. Celle de Rössing, un des trois plus grandes mines d’uranium au monde, a été cédée en 2019 par la firme Rio Tinto à la puissante firme chinoise China National Uranium Corporation.
Nous sommes là dans l’hémisphère sud, exactement au 22°57’ de latitude sud, au nord du Tropique du Capricorne sur le très long littoral atlantique de l’Afrique australe à peu près au milieu de la côte de Namibie. Ce jeune Etat, qui couvre 824.000 km² dispose en effet d’un long littoral de 1.600 km nord/sud. Grâce à cette longue côte et à la présence au large d’un important plateau continental, sa Zone Economique Exclusive (ZEE) couvre 580.000 km².
Une côte sculptée et animée par le vaste courant froid de Benguela
Cette vaste plateforme continentale et cette zone littorale sont baignées par le courant marin froid de Benguela dans le cadre des grands flux maritimes organisant la circulation de tout le Sud-Atlantique. Le courant marin de Benguela part d’Afrique du Sud pour remonter vers le nord le long des côtes de la Namibie puis de l’Angola. D’une largeur moyenne de 200 à 300 km au large des côtes namibiennes, la présence de ce courant froid expliquent plusieurs grandes caractéristiques de la région.
Au plan climatique, la rencontre entre l’air froid du courant de Benguela et l’air chaud des hautes pressions de Hadley se traduit par des conditions désertiques et d’importants phénomènes de brouillards littoraux. La moitié de l’année, en particulier entre les mois de mai et d’octobre, ces brouillards très épais gênent la navigation, occasionnant plus de 1.000 naufrages sur ce qui est dénommé la Côte des Squelettes.
La ville de Walvis Bay ne reçoit ainsi que 13 millimètres de précipitation par an, ce qui en fait une des villes les plus sèches au monde. Mais grâce à sa position littorale, le taux d’humidité y est important (87 %) et la température moyenne annuelle y est de 15,5°C et sans différentiel saisonnier très marqué (février : 18°C, septembre : 13°C).
Au plan maritime, les côtes namibiennes sont alimentées en particulier par une importante remontée d’eaux marines froides venant des profondeurs (ou « upwelling ») dans le cadre de la circulation marine de l’Atlantique sud. Ce brassage des eaux – froides et chaudes - y explique une riche vie marine et littorale et la présence à Walvis Bay d’un important port de pêche. Très largement pillés dans les années 1970/1990 par les flottes étrangères, les stocks de poissons (pilchards, merlus, chincards…) ont toujours du mal à se reconstituer malgré une gestion plus durable et contrôlée des captures mise en place depuis l’indépendance. Le gouvernement namibien a aussi favorisé, à Walvis Bay et Luderitz, un port situé plus au sud (hors image), la création d’usines de transformation afin de créer des emplois et monter en valeur ajoutée pour les exportations (produits frais ou congelés).
Enfin, au plan morphologique comme le montre l’image, le trait de côte se caractérise par la présence d’importantes flèches de sable, plus ou moins longues et surtout bien orientées du sud vers le nord selon le sens du courant. Elles isolent des lagunes plus ou moins étendues en particulier au sud de Walvis Bay et de Sandwich Harbour. La présence de milliers de flamants roses ou de nombreux pélicans, otaries, dauphins ou baleines sont aujourd’hui des atouts importants pour le développement du tourisme (observation de la faune, randonnée en 4X4, quad dans les dunes, survols aériens, pêche …). Comme une large partie du littoral namibien, la région est couverte par un Parc national, ici le Namib Naukluft Park. Créé en 1979 et s’étendant sur 49.700 km², c’est l’un des plus grands parcs naturels d’Afrique et du monde. Il est d’ailleurs classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Un site portuaire d’abri exceptionnel
Au centre de l’image, se déploie une vaste flèche de sable longue de plusieurs kilomètres qui crée un système littoral singulier.
La partie méridionale de celui-ci est composée de vastes lagunes puis vers le nord d’étangs littoraux qui sont valorisés par des tables salantes. L’eau de mer y est évaporée pour produire du sel, comme l’indiquent les différentes couleurs correspondant à des niveaux de concentration du sel différents selon les bassins. Une importante usine transforme ce sel marin, qui est utilisé en Namibie mais aussi largement exporté.
La partie septentrionale correspond à une vaste rade bien abritée des grandes houles du large et au climat, comme nous l’avons vu, relativement frais. Comme l’indique la couleur des eaux, elle est suffisamment profonde pour accueillir des navires de fort tonnage. Cet atout exceptionnel explique la présence du port et de la ville de Walvis Bay. Walvis Bay, ou la « baie des baleines » (Whale Bay) est située à 400 km à l’ouest de Windhoek, la capitale qui se situe à 1.700 m d’altitude sur les hauts plateaux intérieurs.
Walvis Bay, objet des rivalités interimpérialistes Grande Bretagne/ Allemagne
Au delà du passage de quelques grands navigateurs, tel en 1487 le portugais Bartolomeu Dias à la recherche de la Route des Indes dans le cadre des Grands Découvertes, le caractère désertique et inhospitalité de la région est tel qu’elle demeure très longtemps à l’écart des grands mouvements de colonisation. En 1793, le poste de Walvis Bay est annexé à la Colonie du Cap, mais la ville n’est réellement fondée qu’en 1840.
Les choses changent radicalement à la fin du XIXe siècle avec la ruée des puissances coloniales sur l’Afrique. Dans cette partie de l’Afrique australe, les rivalités interimpérialistes voient l’affrontement de la Grande Bretagne et du IIe Reich allemand. En 1878, la Grande Bretagne annexe officiellement la zone de Walvis Bay pour contrer les ambitions allemandes qui débouchent sur la création de la colonie du Sud-Ouest Africain entre 1884 et 1915. Pour affirmer leur présence face à l’enclave britannique de Walvis Bay, les Allemands fondent d’ailleurs la ville de Swakopmund 50 km plus au nord en 1894, celle qui est aujourd’hui ensablée du fait d’un site assez médiocre. Il faut attendre 1911 pour que la frontière entre Walvis Bay et le Sud-Ouest Africain soit définitivement fixée : l’enclave britannique s’étend alors autour de la ville portuaire sur 1.124 km².
D’une extrême brutalité contre les populations Hereros et Namas, la colonisation allemande de la Namibie débouche sur un des premiers et grands génocides de l’histoire contemporaine mondiale dans lequel s’illustre le général Lothar von Trotha. Durant la Première Guerre mondiale, la présence allemande est rapidement balayée, contrairement à l’Afrique orientale. Dès 1915, la colonie du Sud-Ouest Africain est occupée par les troupes de l’Union d’Afrique du Sud de l’Empire britannique. En 1920, la gestion de l’ex-colonie allemande est confiée par mandat de la S.D.N à la Grande Bretagne puis à l’Union sud-africaine. Mais dès 1921, l’enclave de Walvis Bay n’est pas intégrée au nouveau territoire pourtant sous mandat britannique, mais est directement rattachée à l’Afrique du Sud.
Walvis Bay : une enclave sud-africaine arrachée à la Namibie
Dans le cadre de la Guerre froide et des luttes de décolonisation en Afrique australe, la future Namibie est une marge périphérique dominée et intégrée au système géostratégique et géoéconomique de l’Afrique du Sud et soumise au régime d’apartheid en 1959. La lutte pour l’indépendance est menée par la SWAPO à partir des années 1960. En 1968, ce qui est encore le Sud-Ouest Africain est rebaptisé Namibie par l’ONU qui reconnait la SWAPO en 1973 comme représentant légitime du peuple namibien.
Face à la montée de la lutte armée qui oblige au compromis de 1977 lors de la Conférence de Trunhalle devant mener à terme à l’indépendance de la Namibie, l’enclave de Walvis Bay, rattachée depuis 1971 à la Province sud-africaine du Cap, est transférée par Pretoria au gouvernement direct de l’Afrique du Sud. L’objectif géostratégique est de la soustraire à la souveraineté namibienne et de garder le contrôle du port et de son enclave en cas d’accès à l’indépendance de la Namibie.
Alors que le 21 mars 1990 la Namibie devient enfin indépendante, Walvis Bay demeure sud-africaine. Mais cette situation devient de plus en plus intenable. Il faut attendre le 28 février 1994, soit presque quatre années, pour que l’enclave de Walvis Bay soit enfin cédée par l’Afrique du Sud au nouvel Etat namibien qui étend ainsi sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Il est vrai qu’en Afrique du Sud aussi la situation a totalement changé avec l’élection à la présidence de Nelson Mandela le 27 avril 1994.
Zoom d’étude
Walvis Bay : un port et une ville modernisés
Une ville portuaire, zone franche et dynamiques urbaines
Ville de 52.000 habitants, Walvis Bay est une ville située en position d’abri grâce à la Pelican Point et au fond d’une large baie profonde. Son plan en damier parallèle au rivage et au port témoigne de son caractère récent et fonctionnel.
Les activités portuaires et logistiques s’étendent du nouveau terre-plein au sud à la jetée au nord. On y trouve le port de pêche, le port de commerce et l’importance des voies ferrées qui drainent vers le port un très vaste hinterland sous-continental pour l’importation et l’exportation (cf. minerais, conteneurs…). Afin de favoriser le développement de l’économie locale, le gouvernement namibien et les autorités locales ont ouvert en 1996 une zone franche, la Walvis Bay Export Processing Zone (WBEPZ). Mais les résultats demeurent pour l’instant très limités.
Tout au sud se trouve les tables salantes et l’usine de traitement et de transformation du sel marin. Au nord et au nord-est se développent de nouveaux quartiers. La qualité fort inégale du bâti témoigne d’importantes inégalités socio-spatiales et de certains processus de ségrégation résidentielle.
Les mutations du port : l’arrivée de la Chine et l’intégration aux Nouvelles Routes de la Soie
Comme en témoigne l’image, la ville a vu la construction d’un nouveau terminal portuaire inauguré en août 2019. Cette vaste opération participe de la transformation du vieux port de pêche en pôle logistique de fret pour desservir une partie de l’Afrique australe continentale.
Cet agrandissement du terminal à conteneurs, avec 40 ha gagnés sur la mer, est réalisé par la China Harbour Engineering Compagny. Cet investissement de 280 millions de dollars permet le triplement des capacités de traitement qui passent ainsi de 350.000 à 1.000.000 EVP. Les travaux ont mobilisé 2.000 ouvriers pendant cinq ans.
Cette modernisation portuaire est inséparable pour être efficace de la rénovation des axes logistiques routiers et surtout ferroviaires reliant la ville à son hinterland. On doit en particulier souligner la modernisation de la ligne ferroviaire entre Walvis Bay et Kranzberg, intervenue en 2019. Elle est réalisée par des firmes chinoises dans le cadre des nouveaux accords économiques signés entre la Namibie et la Chine dans le cadre des vastes projets des « Routes de la soie ».
Dans le cadre de sa mondialisation, la Chine a en effet décidé de faire du port de Walvis Bay son grand hub logistique sous-continental qui devient ainsi la porte d’entrée et de sortie vers les marchés d’Afrique australe et occidentale. Cette stratégie de Pékin accompagne aussi ses stratégies d’investissements dans les matières premières minérales avec, par exemple, comme nous l’avons vu plus haut, le rachat de l’importante mine d’uranium de Rössing.
On retrouve la même logique d’implantation économique et de modernisation portuaire et logistique chinoise en Afrique de l’Est avec, par exemple, les grands corridors Djibouti/ Addis Abeba (Ethiopie) ou Mombassa/ Nairobi (Kenya). Loin d’être une pure abstraction, la mondialisation se traduit ainsi au quotidien dans les territoires et en explique pour partie les dynamiques, anciennes ou contemporaines.
La modernisation d’un important nœud logistique répondant à une nouvelle intégration régionale
Depuis la fin du XIXe siècle, le port de Walvis Bay a été connecté à son arrière-pays par d’importants axes routiers et ferroviaires bien visibles sur les images. Vers le sud-est se déploie la route C14, vers l’est la route vers Windhoek. Mais l’axe routier et ferroviaire le plus important part de Walvis Bay pour rejoindre au nord Swakopmund et à partir de là le nord-est et en particulier son important pôle minier (hors image).
La desserte potentielle par Walvis Bay d’un vaste hinterland (Namibie, Zambie, Angola, Botswana, Zimbabwe et République démocratique du Congo) est en effet considérable si ces grands corridors logistiques sont rénovés. Ainsi, le grand TransNamib Railway vers Windhoek via Swakopmund coure ainsi sur 2.800 km. Cette stratégie s’inscrit dans la dynamique sous-continentale portée par la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC).
Repères géographiques
Document complémentaire
L'enclave britannique, puis sud-africaine, de Walwis Bay dans le territoire du Sud-Ouest Africain (colonie allemande) puis la Namibie. Une frontière tracé au cordeau en plein désert avec pour seul objectif le contrôle du port en eau profonde.
Frontière
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Education nationale