Pakistan-Chine - La Karakoram Highway : un axe transfrontalier géostratégique à travers l’Himalaya

La Karakoram Highway est une route transfrontalière de 1300 km connectant la Chine et le Pakistan. Traversant la puissante chaîne du Karakoram, elle passe par la passe de Khunjerab Pass, située à 4693 m. d’altitude, ce qui en fait le col routier le plus élevé au monde. Construite en 30 ans, cette infrastructure doit faire face à de très fortes contraintes liées aux espaces de très hautes altitudes qu’elle traverse. Ces espaces montagnards, longtemps marginaux, autonomes et intégrées tardivement, sont durablement marqués par les conflits frontaliers entre l’Inde et le Pakistan pour le Cachemire d’un côté, entre l’Inde et la Chine de l’autre. Symbole de l’alliance entre le Pakistan et la Chine, la Karakoram Highway joue donc un rôle géopolitique et géostratégique majeur, en particulier face à la seconde puissance continentale de l’Asie, l’Inde.

 

Légende de l’image

 

Cette image de la Karakoram Highwaya, au coeur de l'Himalaya, été prise par un satellite Sentinel-2A le 23/09/2019.  Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

La Karakoram Highway – KKH : une infrastructure transfrontalière majeure au plan géopolitique et géostratégique

Un cadre de très hautes montagnes : un morceau du « toit du monde »

La chaîne frontalière du Karakoram, dont l’image ne couvre ici que la partie occidentale et centrale, est la seconde plus haute chaine de montagne au monde. Elle appartient au très vaste ensemble constituant le Grand Himalaya, un vaste ensemble continental qui se déploie sur environ 2700 km de long, depuis l’Afghanistan à l’ouest à l’Assam au sud-est, et sur plusieurs centaines de kilomètres de large, entre les basses plaines du monde indien au sud et les hauts plateaux ou les chaînes de l’Asie centrale et du Tibet au nord.

A une échelle sous-continentale, le Grand Himalaya est lui même composé de chaines et de massifs distincts comme le montre bien l’image. A l’ouest s’étendent les chaines des Pamirs et de l’Hindu Kush; à l’est la chaine de l’Himalaya proprement dite, avec la chaine du Karakoram puis le massif de l’Everest (hors image). La chaine du Karakoram s’étend sur le Pakistan, la Chine et l’Inde sur plus de 500 km de large et culmine au fameux K2 à 8611 m (plus à l’est, hors image). Elle va du couloir de Wakhan en Afghanistan, à la région du Gilgit-Balistan au Pakistan, bien représentée sur l’image, pour continuer plus à l’est (hors image) sur le Ladakh indien et la région de l’Aksai Chin sous contrôle chinois.

Nous sommes ici sur une des chaines constituant du « toit du monde » dont il faut bien avoir conscience de la démesure lorsqu’on étudie la frontière et la construction puis le fonctionnement de la Karakoram Highway. Ainsi, sur l’image se trouvent, par exemple, le Nanga Parbat, qui culmine à 8126 m. d’altitude et est donc le 9em plus haut sommet du monde, le massif du Rakaposhi-Haramosh (Rakaposhi : 7788 mètres, 27em rang mondial) ou la Batura Wall (Barura Sar à 7795 m). Rappelons à titre de comparaison que le Mont Blanc, point culminant de l’Europe occidentale se trouve à seulement 4810 m., le Mont Whitney, point culminant du Mainland étasunien, à 4.421 m., le Kilimandjaro, point culminant de l’Afrique, à 5963 m, le Mont Denali - McKinley, le plus haut sommet de l’Amérique du Nord à 6.187 m., ou l’Aconcagua, point culminant des Andes, à 6959 m.  En conséquence, la région est devenue à partir des années 1930 un des hauts lieux de l’alpinisme mondial avec la multiplication des expéditions anglaises, italiennes, allemandes et françaises (France : 1ère expédition en 1936).  

Comme le souligne bien l’image, cette chaine présente en effet une des principales concentrations mondiales de très hauts sommets et est dotée d’un appareil glaciaire exceptionnel (cf. Glacier de Batura de 57 km de long). Elle fonctionne comme un véritable château d’eau, en particulier en alimentant le fleuve Indus, et ses affluents, qui sert de colonne vertébrale au Pakistan et permet à l’aval l’irrigation des zones arides et désertiques du centre et du sud du pays. Pour autant, malgré un potentiel hydroélectrique exceptionnel, la région ne dispose que d’une alimentation électrique plus qu'aléatoire en raison de fréquents délestages du fait d’un sous-équipement structurel. A l’échelle régionale et locale, l’aridité des fonds de vallées est compensée depuis des siècles par le détournement des eaux et la mise en place de systèmes d’irrigation sophistiqués qui permettent la culture des céréales (blé puis orge) et des vergers (abricotiers, pommiers, amandiers, cerisiers…). Le tout est parfois complété par un élevage saisonnier transhumant entre hautes et basses terres.     

Une zone de hauts risques difficile à aménager pour la KKH

Cette région de très hautes montagnes est soumise à des contraintes exceptionnelles (altitude, manque d’oxygène, froid, vents…) et à de nombreux risques naturels : zone de forte activité sismique, pentes verticales et très fortes déclivités du fait de puissants contrastes topographiques sur des distances courtes (gorges très profondes, pentes instables, glissements de terrain, couloirs d’avalanches…), importance de l’érosion glaciaire et des rivières (crues, inondations…)…

Traditionnellement, les hommes se réfugient donc dans les bassins topographiques les plus larges, qui accueillent les petites villes et les gros bourgs (Sost, Gulmit, Karimabad, Gilgit, Jaglot…) organisant la hiérarchie urbaine et l’encadrement des territoires. Localement, les habitations se réfugient sur les hautes terrasses insubmersibles et sur les sites à l’abri des avalanches au prix d’un travail incessant de construction et d’aménagement. Tous ces facteurs contraignants participent historiquement de l’isolement de la région, de ses faibles densités, de la rareté de ses ressources agricole et de sa longue pauvreté.  

Dans ce contexte, les capitaux, les équipements et les matériels, le savoir-faire et l’ingénierie (ponts, viaducs, tunnels…) fournis par la Chine jouèrent un rôle déterminant dans la construction de la Karakoram Highway, du fait en particulier des moyens très limités du partenaire pakistanais. Pour autant, certains tronçons sont en permanence victime d'éboulements et de glissements de terrain obstruant, voire détruisant parfois, cette artère vitale. Ils doivent donc alors être régulièrement dégagés et remis en état, en particulier après les pluies de la haute mousson des mois de juillet et d’août d’un côté, les avalanches hivernales ou printanières de l’autre.

L’histoire régionale a ainsi retenue deux évènements exceptionnels dont l’impact fut catastrophique. En 1841, un immense glissement de terrain sur le versant ouest du Nanga Parbat bloqua la vallée de l’Indus (zoom 4). De même, en 2010, l’effondrement de tout un pan de montagne obstrua le cours de l’Hunza dans la région du village d'Attabad et rendit ce tronçon de la KKH inutilisable jusqu’en 2015 (zoom 3).

Dans ce contexte, de nombreuses publications traitant de l’impact géostratégique de la KKH font trop souvent l’impasse sur les contraintes naturelles exceptionnelles auxquelles cette infrastructure routière est soumise. Rappelons ainsi qu’à la suite d’un protocole interétatique entre la Chine et le Pakistan, le poste frontalier de la Khunjerab Pass est fermé les quatre mois d’hiver, soit du 30 novembre au 1er avril, du fait du froid et de l’enneigement. Ainsi, au cours de l'hiver 2018-2019, la KKH a été bloquée par d'importantes chutes de neige. Face à l'inertie de l'Etat pakistanais, la Chine a été contrainte d’« offrir » des chasse-neiges afin d'être certaine que le trafic y soit rétabli dans de brefs délais.

Les vallées de l’Indus puis de l’Hunza : une mosaïque de langues et de religions

Comme dans de nombreux espaces montagnards isolés, ces hautes terres himalayennes fonctionnent comme une « montagne-refuge » face aux pôles centraux, mais extérieurs à la région, à l’origine des constructions nationales et étatiques auxquelles elles appartiennent aujourd’hui. Constituant la région du Gilgit-Baltistan peuplée de 1,3 million d'habitants, la haute vallée de l’Indus puis celle de l’Hunza, et de ses affluents, sont une véritable mosaïque de peuples montagnards, de langues et de religions différentes du fait des héritages pluriséculaires de la géohistoire.

Ainsi, la vallée juxtapose traditionnellement de l’aval vers l’amont plusieurs groupes ethnolinguistiques. Au sud, dans le Balistan domine les Baltis, d’origine tibétaine et bouddhiste qui parlent le balti, une langue d’origine sino-tibéaine. Convertis à l’Islam aux XVI et XVII em siècles, ils sont aujourd’hui majoritairement chiites. On trouve ensuite les Shinaki de langue shina, une langue dardique, présents de Khizerabad à Nasirabad dans l’Hunza inférieure, organisée et polarisée par la ville de Gilgit. Puis le burushaski de Murtazaabad à Attabad dans l’Hunza centrale, et enfin le wakhi, parlé dans l’Hunza supérieure, de Shiskat à la passe de Khunjerab, que l’on retrouve aussi dans le couloir de Wakhan en Afghanistan du fait de l’assise transfrontalière de cette population.

Dans le Gilgit-Balistan, deux religions minoritaires au Pakistan, où l’Islam sunnite est majoritaire, jouent un rôle important : l’Islam chiite (40 % pop.) et l’Ismaélisme (25 % pop.). Ainsi, de nombreux habitants de l’Hunza sont ismaéliens, que l’on peut considérer comme une branche particulière de l’Islam chiite. Leur leader spirituel est le Prince Karim Aga Khan IV, résidant souvent en France. L'Aga Khan Foundation joue un rôle important par exemple dans la santé des populations ou dans la scolarisation des enfants, y compris des filles ; ce qui explique localement un taux d’alphabétisation très supérieur à la moyenne du Pakistan.      

Cette structuration en mosaïque se traduit par une microgéographie très spécifique : le district de Diamir est ainsi à forte dominante sunnite, celui de Sarku chiite, celui de Ghizer ismaélien, celui de Gilgit étant le plus mixte. Dans ce contexte, les frictions intercommunautaires sont plus ou moins récurrentes selon le contexte géopolitique. Pour autant, la région demeure à l’abri des très fortes tensions et des conflits sanglants qui frappent de manière endémique depuis des décennies le reste du Pakistan (régions tribales frontalières de l’Afghanistan, Karachi…). En particulier, les groupes terroristes islamistes et les Talibans n’ont jamais jusqu’ici réussi à s’implanter durablement dans la région du fait de la faiblesse de leur assise populaire, malgré quelques opérations spectaculaires (Chiites abattus à Chilas et au col de Babusar, massacre d’alpinistes étrangers au camp de base du Nanga Parbat).

Un espace de marges longtemps autonomes, intégrées tardivement et marquées par les conflits entre l’Inde et le Pakistan

Comme toutes les marges montagnardes de l’Empire britannique des Indes, la région est progressivement intégrée à l’extrême fin du XIXem siècle dans le cadre du « Grand Jeu »  interimpérialiste entre Londres et Moscou. Alors que la vallée supérieure de l’Hunza est explorée par le général britannique G. K. Cockerill en 1892, les troupes britanniques s’assurent du contrôle des vallées de l’Hunza et de Nagar seulement entre 1889 et 1892. Elles sont ensuite rattachées par Londres à l’État princier du Jammu-et-Cachemire.

Mais en 1947, l’indépendance de l’Inde et du Pakistan y débouche sur la première guerre indo-pakistanaise et l’éclatement du Jammu-et-Cachemire du fait de la volonté des deux Etats de s’en emparer. En effet, alors que le maharaja Hari Singh demande l’adhésion du Cachemire – à majorité musulmane - à l’Inde, le Pakistan lors qu’une vaste opération militaire prend le contrôle de la région du Gilgit-Balistan et de la région voisine de l’Azad Cachemire qui se déploie en un étroit corridor à l’est de Rawalpindi. Depuis, l’Inde – qui a créé en retour le Jammu-and-Kashmir centré su la ville de Srinagar - revendique toujours l’intégralité du Cachemire.    
Anciens « Territoires du Nord », la région du Gilgit-Baltistan devient une entité administrative officielle du Pakistan en 1974 par fusion des anciens États princiers de Nagar et de l’Hunza, qui sont donc dissous, de l'agence de Gilgit et du district du Baltistan. Le Gilgit-Balistan, compte aujourd’hui environ 1,3 million d’habitants et couvre 73 000 km², soit une densité de 18 hab./km². Pour le Pakistan, il joue un rôle stratégique majeur en étant frontalier de l’Afghanistan au nord-ouest, du Xinjiang chinois au nord, du Jammu-et-Cachemire indien à l’est et de la turbulente province pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa au sud-ouest. Malgré la présence d’un mouvement autonomiste régional réclamant la création d’un Etat autonome au sein du Pakistan, l’administration de la région dépend toujours directement d’Islamabad, et non d’un gouvernement local contrairement aux autres provinces du pays.   

La Kakoram Highway -  KHH : un équipement au rôle géostratégique fruit d’un grand deal entre Pékin et Islamabad

Longue de 1300 kilomètres, la KHH relie Abbottabad dans le Pendjab au nord du Pakistan à la ville de Kashgar dans la province du Xinjiang dans le sud-ouest de la Chine. 887 km – soit 68 % - de son tracé se trouve donc au Pakistan et 413 km au Chine. Comme l’indique bien l’image, il suit globalement un grand axe Nord/Sud qui utilise les vallées de l’Hunza, qui a l’intérêt de couper en deux le puissant massif du Karakoram, de la Gilgit puis de l’Indus.   

Initiée en 1959, réellement lancée dans les années 1970 et achevée seulement en 1986, sa réalisation a donc demandé presque trente ans d’efforts. Sa construction s’est souvent traduite localement dans les fonds de vallées par des opérations d’expropriation sans indemnisation des propriétaires fonciers qui se trouvaient sur son trajet. Les armées ont joué un rôle central dans sa construction, comme en témoigne par exemple côté pakistanais la mobilisation du Corps du génie militaire et de l’Organisation des travaux frontaliers. En juin 2006, un plan de modernisation est lancé afin de tripler ses capacités logistiques en faisant passer sa largeur de 10 à 30 m. et en en renforçant les structures afin de pouvoir porter des véhicules plus lourds. La construction et le fonctionnement de la KHH sont largement pris en charge par la Chine face à un Etat pakistanais faible, impécunieux et fragile.

Lancée bien avant les fameux programmes chinois contemporain de la Belt and Road Initiative, la KHH témoigne des liens historiques, géopolitiques et géostratégiques très étroits, mais largement déséquilibrés, tissés entre Pékin et Islamabad, en particulier face à l’autre puissance continentale de l’Asie : l’Inde. Il convient en particulier de relever que le Pakistan dans le Nord Cachemire a dû "volontairement" abandonner à la Chine en 1963 sa souveraineté sur la Vallée de Shaksgam (hors image) et reconnaître l'annexion par la Chine de l'Aksai Chin alors administré par l'Inde. La construction de la Karakoram Highway s’inscrit aussi dans le cadre d’un grand deal géopolitique, complété par des accords commerciaux et sur le trafic aérien entre les deux Etats.

La création de la Kakoram Highway joue donc un rôle géopolitique majeur aux yeux d’Islamabad et de Pékin dans deux niveaux d’échelle différents, mais systémiques. Premièrement, à l’échelle nationale, elle renforce la domination et le contrôle des deux Etats sur leurs régions périphériques respectives. Car celles-ci sont mal intégrées, voire parfois rebelles, comme en témoignent les nombreux postes militaires et policiers qui en assurent le contrôle souvent tatillon des flux : la Région autonome du Xinjiang chinois à population ouïghoure, la région du Gilgit-Baltistan. Deuxièmement, à l’échelle continentale, cette infrastructure stratégique permet le déploiement rapide de l'armée pakistanaise le long d'une zone disputée avec l'Inde, et le cas échéant, pourrait grandement faciliter une intervention militaire chinoise.

Sur l’image, cette grande artère centrale connecte un vaste réseau secondaire, cependant bien hiérarchisé. Dans certaines vallées secondaires de peu d’importance, l’entretient est laissé à la charge de collectivités sans grands moyens, d’où des infrastructures très déficientes (cf. vallées de Shimshal ou de Chapursan). A l’opposé, la Kakoram Highway est aussi connectée à un grand axe d’un intérêt géostratégique majeur :  l’Indus Valley Road. De Jaglot jusqu’à Khapalu (hors image), elle dessert tous les postes et unités militaires pakistanaise qui font face à l’Inde sur la ligne de contrôle.  

Depuis quelques années, de nombreux auteurs mettent l’accent sur le rôle géoéconomique que peut remplir la Kakoram Highway pour Pékin comme artère reliant ses territoires occidentaux continentaux à la Mer d'Arabie (Océan indien) et aux ports de Karachi ou de Gwadar. Elle lui donnerait aussi accès à un marché pakistanais encore peu solvable et instable, mais représentant 200 millions de clients potentiels. Si le trafic routier et transfrontalier à explosé sur cette infrastructure, il demeure malgré tout limité et fort contraint à la foi par la démesure des distances terrestres à parcourir et par les risques permanents qui pèsent sur celle-ci. Autrement dit, les liens économiques entre la Chine et le Pakistan passent encore pour l’essentiel par le trafic maritime. Pour autant, en cas de menace sur ses échanges maritimes en mer de Chine méridionale et dans le détroit le Malacca, ces nouvelles voies terrestres continentales pourraient alors représenter une alternative possible.   

 

Zooms d’étude

 

Zoom 1. Chine : un axe facile d’accès vers le sud et la frontière



Le Xinjiang, une marge stratégique vers l’Asie centrale

Ce zoom couvre tout le nord de l’image générale. Il nous renvoie une vision de la Chine très différente des représentations traditionnelles souvent véhiculées sur celle-ci. Ici, ni grandes métropoles littorales, ni rizières ou épaisses forêts. Il nous rappelle que la Chine est un immense pays de 9,6 millions de km2, soit 19 fois la France, très largement continental et pour partie de plus en plus ouvert vers l’ouest et l’Asie centrale et le sud-ouest vers le Pakistan et l’Asie du Sud dans le cadre de sa stratégie de puissance.

Cet espace appartient au Xinjiang, la « nouvelle frontière » en mandarin, une très vaste région essentiellement désertique et majoritairement peuplée de populations turcophones et musulmanes (Ouïgours, Kazakhs, Mongols). Sur l’image, le peuplement régional est majoritairement kirghiz, de la passe Khunjerab jusqu’à la ville de Taxkorgan plus au nord (hors image).

Un cadre de hautes montagnes disposant d’un atout exceptionnel, une très vaste vallée

Cette Chine est un pays de très hautes montagnes frontalières. A l’ouest se trouve en effet la chaine du Sarikol qui marque la frontière avec l’Afghanistan et le fameux couloir de Wakhan (hors image). A l’est se déploie la chaîne de Maztagata qui culmine plus à l’est (hors image) à 5.749 m. dans la région, mais qui appartient à un ensemble montagnard beaucoup plus vaste, le Kunlun Shan.    

Au centre, entre les deux chaines de hautes montagnes, se déploie un vaste dépression tectonique et topographique orientée nord/sud. Elle est drainée depuis la passe frontalière de Khunjerab par un vaste système central coulant vers le nord jusqu’à la ville de Taxkorgan (hors image). Ces eaux obliquent ensuite brutalement vers l’est pour traverser la puissante chaine du Kunlun Shan en rejoignant le fleuve Yarkant He qui se perd dans le vaste bassin désertique endoréique du Tarim.

Pour sa part, l’itinéraire chinois de la Kakoram Highway continue vers le nord pour atteindre la ville de Kashgar, après avoir cependant du passer des gorges très profondes – le Gez River Canyon - à la hauteur du massif du Kongur Shan qui culmine à 7.546 m. Si un lac de barrage apparaît au nord de l’image, la région est relativement sèche du fait de son climat d’abri et quasiment désertique, les rares établissements humains (Pirali…) s’installant dans l’axe central.

Mais cette grande vallée intramontagnarde présente un atout géostratégique majeur pour la Chine : large, de faible pente et d’altitude moyenne, elle constitue un couloir majeur facilement praticable vers la frontière pakistanaise et la passe de Khunjerab. C’est ce couloir qui est valorisé par la Karakoram Highway. Sur cet itinéraire, les checkpoints sont nombreux et ralentissent parfois sensiblement les temps de déplacement alors que les autorités chinoises interdisent aux quelques touristes et voyageurs tout itinéraire personnel au profit des lignes officielles de bus encadrées par un guide. La frontière proprement dite est donc doublée d’une profonde zone frontalière particulièrement surveillée.
    

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 2. La passe de Khunjerab : un très haut col au rôle géostratégique

Une frontière internationale sur une haute chaine de montagne

Cette image couvre toute la chaîne du Karakoram qui fait la frontière entre la Chine et le Pakistan. Historiquement défini à partir des intérêts britanniques, son tracé suit globalement la ligne des hautes crêtes des massifs les plus au nord. Comme le souligne le géographe et diplomate Michel Foucher, cette frontière entre la Chine et le Pakistan est définitivement actée entre 1960 et 1963 ; en même temps que celles avec la Corée du Nord, la Mongolie, le Myanmar/ Birmanie, le Népal et l’Afghanistan. Le contexte géopolitique continental et mondial joue alors un rôle déterminant pour rapprocher la Chine et le Pakistan : rupture de la Chine maoïste avec Moscou et montée des rivalités entre les deux puissances, conflit armé en octobre 1962 avec l’Inde sur l’Aksai Chin, qui se situe plus à l’est (hors image).    

Cette chaîne est elle même subdivisée localement en une série de très puissants massifs bien individualisés par de profondes vallées d’origine glaciaire. Les altitudes y sont considérables comme en témoignent le Karum Koh (7164 m), le  Kachanai (6436 m), le Chapchingal Sar 1 (6265 m), le Kunjerab Sar (6100 m) qui domine au nord la passe de Khunjerab. Du fait de l’altitude et de la pluviosité, les appareils glaciaires occupent une place considérable et jouent un rôle déterminant dans la morphologie régionale.

Comme le montre bien l’image, la dissymétrie est totale entre le système chinois et le système pakistanais. L’accès côté chinois est, comme nous l’avons vu (zoom 1), relativement facile du fait d’une large vallée nord/sud qui vient buter sur la chaine de Karakoram. La situation  est totalement différente côté pakistanais puisque la haute vallée de l’Hunza, qui donne accès à la passe, doit couper perpendiculairement la puissante chaine du Karakoram. Les pentes y sont très fortes, la vallée très étroite et très sinueuse.  

La passe de Khunjerab (4733 m.) : un des plus hauts cols frontaliers au monde

Dans ce contexte régional, les cols - ou passes – se trouvent à des altitudes très élevées et sont difficiles d’accès (cf. passe transfrontalière de Bovhil à l’ouest, Uprang La Pass à 5243 m en Chine). Pour sa part, la passe transfrontalière de Khunjerab est située à 4733 m. d’altitude, ce qui en fait sans doute un des cols frontaliers les plus élevés au monde. Celle-ci est localement assez évasée et la frontière y est symbolisée côté chinois par une immense porte en pierre inaugurée en 1982. La passe de Khunjerab se situe à 120 km de Sost et 270 km de Gilgit côté pakistanais, et à 130 km de Taxgorkan et 420 km de Kashgar côté chinois.

Dans ce contexte, la construction, l’entretien et la circulation – civile et militaire - de Karakoram Highway se heurtent à de considérables difficultés tant les défis à relever son titanesques. En particulier, l’altitude, le mauvais temps et l’importance de l’enneigement bloquent tout mouvement une partie de l’année. C’est d’ailleurs pourquoi, comme nous l’avons vu, à la suite d’un protocole interétatique entre la Chine et le Pakistan, le poste frontalier de la Khunjerab Pass est fermé les quatre mois d’hiver, soit du 30 novembre au 1er avril.

La ville de Sost : une ville frontalière de première importance

Prenant sa source sous la passe de Khunjerab, la vallée de l’Hunza sert de corridor pour la KHH. Longue de 190 km, cet affluent de la Gilgit puis de l’Indus draine un bassin de 13.700 km. Son débit moyen de 320 m3/s est alimenté par un régime nivo-glaciaire, c’est à dire surdéterminé par la fonte des neiges et des glaciers à partir du printemps.   

Sur la Karakoram Highway, Sost – qui se trouve à 2.800 m. d’altitude au confluent entre l’Hunza et la Chapursan - est la dernière ville côté pakistanais avant la frontière. Elle joue un rôle frontalier important pour le contrôle du trafic passager, des flux touristiques et du fret routier puisque c’est ici que se trouvent les services pakistanais de l’immigration et des douanes.

Ces dernières décennies, la forte hausse du trafic entre les deux pays a dopé les fonctions de ce poste. Symbole de ces nouvelles relations transfrontalières, un service de transport de passagers a été ouvert en 2006 entre Islamabad, Gilgit et Sost côté pakistanais et Tashkurgan et Kashgar coté chinois.  Le tout est complété par un avant-poste frontalier dans le village de Dih, entre Shachkan et Bara Khun.

Au nord-ouest, Sost est aussi la clé d’accès à la vallée de la Chapursan qui débouche sur la frontière avec l’Afghanistan et le couloir de Wakhan par un haut col. La vallée fut fermée aux étrangers par les autorités pakistanaises lors de l’intervention russe en Afghanistan de 1979 et ne fut réouverte qu’en septembre 1999. De Sost, il faut environ trois heures de voyage pour atteindre le dernier village de la vallée, Zood Khum, perché à 3.300 m d’altitude.

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 3 : La haute vallée de l’Hunza sous très fortes contraintes

Une vallée encaissée dans de très hauts massifs

Ces très fortes contraintes sont particulièrement marquées dans la région qui correspond à la haute vallée de l’Hunza qui monte vers la passe de Khunjerab. La vallée se faufile en particulier entre les hauts massifs de la Barura Wall au nord-ouest (Hachibdar Chhish à 6870 m, Shani à 5887 m) et la chaine du Rakaposhi à l’est (Rakaposhi à 7788 m, Spantik à 7/029 m.). Au nord-est, le Momhil Sar culmine pour sa part  à 7343 m.

Dans ce cadre de très hautes montagnes, la qualité des vallées joue donc un rôle majeur dans l’organisation régionale. La vallée de l’Hunza polarise ainsi l’essentiel de l’habitat et les principaux villages, bourgs ou petites villes qui se consacrent à l’agriculture, au commerce et aux services de base. Dans le sud de l’image, Gilgit joue un rôle important à la confluence de la vallée de l’Hunza et de la Gilgit, un affluent de rive droite.

La petite ville de Karimabad/ex-Baltit - où se situe un ancien fort qui était l’ancienne résidence des Mirs de l’Etat princier d’Hunza - est aujourd’hui une destination touristique importante de mai à octobre du fait de l’importance des sommets de plus de 6000 m. qui entourent la région alors que ses anciennes fonctions politiques et administratives se trouvent maintenant dans la ville voisine d’Aliabad.

Le Lac d’Attabad  et la coupure de la Kakoram Highway : symboles des risques en très haute montagne

Sur l’image apparaît bien le lac d’Attabad. Long de 21 km et profond de 109 m, il est traversé par l’Hunza. Sa formation est historiquement très récente. Il est du à un immense glissement de terrains survenu en plein hiver, le 4 janvier 2010, qui barra la vallée, tua des dizaines de personnes et occasionna le déplacement de 6000 personnes.

Surtout, cette catastrophe détruisit un tronçon de 27 km de long de la Karakorum Highway, qui fut ainsi coupée plusieurs années. La jonction entre les deux extrémités de la KHH se faisait en effet par barques. La Chine est donc intervenue très vite financièrement et techniquement au côté des autorités pakistanaises afin de restaurer la portion emportée par le glissement de terrain. De gigantesques travaux furent entrepris, en particulier par la China Road & Bridge Corporation (CRBC), en rive gauche de l’Hunza entre juillet 2012 et septembre 2015 pour un coût de 275 millions de dollars. Ces nouvelles infrastructures comportent la construction de cinq nouveaux tunnels d’une longueur cumulée de 7 km et la construction de plusieurs ponts. La dénomination des ouvrages témoigne de manière emblématique des liens tissés entre les deux Etats (« cf. « Pakistan China Friendship Tunnel N°3 »…)

Gilgit, la capitale régionale du Gilgit-Balistan  

Située à 1500 m. d’altitude, la ville de Gilgit - vieille capitale de l’Etat princier de Nagar - est la capitale régionale du district de Gilgit et de la région du Gilgit-Balistan. Peuplée d’environ 9000 habitants pour 38 000 km², ce district présente une très faible densité de 0,2 hab./km² qui en fait du fait des très fortes contraintes un espace de hautes montagnes désertiques.

On trouve à Gilgit un aérodrome et un important dispositif militaire, la vallée de la Gilgit étant dotée par le Pakistan d’une route stratégique qui dessert une partie des massifs frontaliers de l’Afghanistan au nord-ouest. D’orientation globalement ouest/est, la Gilgit est en effet longue de 450 km et draine un bassin de 26 000 km². Prenant sa source à 3719 m, elle rejoint l’Indus vers Shimrot. Elle constitue donc pour l’armée pakistanaise un axe régional important vers les zones frontalières de l’Afghanistan. Gilgit est aussi un pôle touristique important pour les expéditions d’alpinisme dans toute la région.    


 


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Au nord de la vallé de l'Hunza, l'image ci-dessous laisse apparaitre de hauts sommets ainsi que le glacier Batura long de plus de 50 km.

 


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Zoom 4. La vallée de l’Indus et le Nanga Parbat


Le massif du Nanga Parbat, 9em plus haut sommet du monde

Sur cette image, l’espace est dominé par le puissant massif du Nanga Parbat, qui en culminant à 8.125 m. d’altitude est le neuvième plus hauts sommets du monde. Plus de trente alpinistes sont morts lors de son ascension avant qu’il ne soit enfin vaincu. Le Nanga Parbat marque la limite occidentale du massif proprement dit de l’Himalaya.

En 1841, un immense glissement de terrain sur le versant ouest s’abattit dans la vallée de l’Indus provoquant une retenue d’eau de 65 km de long. Cet événement est historiquement connu car la rupture de ce barrage naturel instable libéra une énorme masse d’eau. Déferlant dans la vallée à l’aval, elle provoqua une inondation désastreuse qui noya en particulier toute une unité militaire de Sikhs de l’armée des Indes à Attock, située à 160 km plus au sud.   

Le confluent avec la haute vallée de l’Indus et sa route stratégique face à l’Inde

L’autre intérêt de l’image tient dans la confluence entre l’Hunza/Gilgit, venant du nord,  et l’Indus, venant de l’est. A partir de Jaglot, la vallée empruntée par la Karakoram Highway devient donc la vallée de l’Indus. Long de 3.000 km., l’Indus pend sa source bien à l’est dans le Tibet sur les pentes du Pic Kailas avant de couler dans un fossé tectonique séparant le Kakakoram de l’Himalaya. Du fait du climat d’abri, sa haute vallée est assez sèche, mais ces eaux sont massivement alimentées par la fonte des neiges et des glaciers.  

La haute vallée de l’Indus, qui coule sur l’image au nord du Dofana (5.940 m .) dans une gorge étroite et profonde, a été équipée par le Pakistan d’une route stratégique. Elle dessert toute la région orientale du Gilgit-Balistan en se faufilant entre la chaine du Karakoram au nord et la chaine des Deosai au sud pour atteindre Khapalu. Sa création permet de soutenir les unités de l’armée pakistanaise qui font face aux troupes indiennes sur la ligne de contrôle séparant le Gilgit-Balistan du Jammu-et-Kashmir, en particulier dans la région nord de Srinagar et de Kargil.  Elle permet aussi au Pakistan de se rapprocher de la région du Siachen Glacier disputée entre la Chine et l’Inde.    

Dans l’extrême ouest de l’image, Chilas se trouve à 1.000 m. d’altitude. Il donne l’accès au col de Babusar (hors image) situé à 4.170 m. C’est dans cette région que neuf touristes étrangers ont été massacrés en 2013 par des groupes islamistes radicaux. Si la situation semble aujourd’hui sous contrôle des autorités pakistanaises, les quelques touristes ne peuvent y voyager que sous escorte policière.

 


Repères géographiques

 

 

D’autres ressources

 

 

 

Carte : la passe de Khunjerab et la Karakoram Highway dans leur contexte géopolitique et frontalier.

Source : Gilles Boquérat : Les relations indo-pakistanaises : retour sur une relation conflictuelle, revue Hérodote, n°139, 4/2010

Zoom 5 : Au sud-est de l'image générale le massif du Karakoram qui contient une quantité importante de hauts sommets et entre autres le K2, deuxième plus haut sommet du monde (8 611 m).

 

 

 

Ressources et bibliographie


Sur le site Géoimage :

Sur les hautes terres frontalières de l’Asie du Sud et de l’Asie centrale

Laurent Carroué :
Afghanistan / Pakistan - La passe de Khyber, un haut col transfrontalier au rôle géostratégique entre guerres et drogue
/geoimage/afghanistanpakistan-la-passe-de-khyber-un-haut-col-transfrontalier-au-role-geostrategique

Laurent Carroué :
Afghanistan - Le corridor de Wakhan, une zone tampon transfrontalière en plein Himalaya

/afghanistan-pakistan-tadjikistan-le-corridor-de-wakhan-une-zone-tampon-transfrontaliere-en-plein

Bibliographie

Jacques Piatigorsky et Jacques Sapir : Le Grand Jeu XIXem sciècle. Les enjeux géopolitiques de l’Asie centrale, coll. Mémoires/ Histoire,  Autrement, 2009.  

Michel Foucher : Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique, Fayard, Paris.

Michel Foucher : L’obsession des frontières, Perrin, Paris, 2007.

Jean-Luc Racine : Le paradigme pakistanais, revue Hérodote, n°139, 4/2010.
https://www.cairn.info/revue-herodote-2010-4-page-3.htm#

Gilles Boquérat : Les relations indo-pakistanaises : retour sur une relation conflictuelle, revue Hérodote, n°139, 4/2010.
https://www.cairn.info/revue-herodote-2010-4-page-143.htm

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur générale de l’Education nationale