La région amazonienne de Madre de Dios, au Sud-Est du Pérou, abrite l’une des industries minières artisanales les plus importantes au monde. Dans cette région difficile d’accès, l’image satellite, ponctuée de milliers de bassins creusés par les mineurs, révèle l’ampleur des chantiers d’orpaillage illégal. Cette soif de l’or anime un front pionnier très actif qui débouche sur de profonds bouleversements - paysagers, logistiques, économiques, urbains...- dans la région. En particulier, les dommages environnementaux et sociaux y sont colossaux. Ce système témoigne de l’impact du modèle extractiviste dans les économies latino-américaines, de rapports particulièrement prédateurs à la ressource et des énormes pressions multiformes qui pèsent aujourd’hui sur le bassin de l’Amazonie.
Légende de l’image
Cette image a été prise le 15 novembre 2020 par un satellite Sentinel 2. (image en couleurs naturelles de résolution à 10m.)
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Le piémont amazonien péruvien : le déploiement d’un front d’orpaillage clandestin dévastateur
Des “rivières d’or” visibles depuis l’espace ?
Une région périphérique, au cœur de l’Amazonie péruvienne
L’image satellite est centrée sur la région de Madre de Dios, située au Sud-Est du Pérou, à proximité de la frontière avec le Brésil et la Bolivie. Il s’agit d’une région périphérique dans un pays marqué par de fortes disparités spatiales avec notamment une subdivision en trois entités : la costa à l’Ouest qui correspond à l’étroite bande littorale, la sierra au centre qui est la partie andine, et la selva à l’Est qui est la partie amazonienne du pays. Au pied de la cordillère des Andes péruviennes, Madre de Dios est le département le moins peuplé du pays : avec officiellement 141.000 habitants en 2017, contre 106.000 en 2005 (+ 35.000, + 33 %), il se caractérise par ses très faibles densités - 1,6 hab./km² - mais aussi sa forte croissance démographique contemporaine.
Cette marge est restée isolée et majoritairement peuplée d’autochtones jusqu’à son intégration tardive via la construction d’une route d’orientation est-ouest ouverte dans les années 1940. Plus récemment, la Route Interocéanique Sud - fraîchement asphaltée dans les années 2010 - joue un rôle déterminant dans le développement de l’orpaillage en y favorisant grandement la pénétration du piémont amazonien. La région est organisée autour du Rio Madre de Dios, branche-mère du rio Madeira qui conflue avec l’Amazone en aval de Manaus au Brésil, et autour du port fluvial de Puerto Maldonado (92.000 hab.), capitale du département, située un peu plus à l’est et hors champ de l’image satellite.
Les “rios de oro”
L’image donne à voir de vastes étendues forestières, parcourues de cours d’eau, courts mais puissants, alimentés depuis les Andes voisines à l’ouest. Caractérisés par de nombreux méandres et adoptant un tracé anastomosé ressemblant à des tresses, ils déposent, lorsqu’ils atteignent la plaine, de grandes quantités d’alluvions qui les amènent à se diviser en de multiples bras.
Au voisinage des cours d’eau et de la route interocéanique, on distingue des taches plus claires, d’aspect doré, qui ont été surnommées improprement les rios de oro (ou « rivières d’or »). Il s’agit en réalité de milliers d’excavations creusées par les chercheurs d’or, de très nombreuses mines à ciel ouvert. Remplis d’eau, ces innombrables bassins sont en principe dissimulés par l’importante couverture nuageuse résultant de l’humidité de la forêt tropicale que l’on distingue dans le coin inférieur gauche de l’image. Prise à la mi-novembre 2020, cette image est donc en tout point exceptionnelle. Ces bassins sont ici mis en évidence par les rayons du soleil qui s’y reflètent, révélant d’une façon spectaculaire les ravages de l’orpaillage amazonien.
Un espace emblématique de l’essor de l’orpaillage
Le secteur minier, moteur économique péruvien et de la région
La croissance péruvienne des dernières années a été largement portée par le secteur extractif. Le sous-sol péruvien recèle en effet d’importantes ressources convoitées : des métaux précieux comme l’or ou l’argent, semi-précieux comme le cuivre, et toute une série de minerais comme le zinc, le plomb ou le fer, sans compter quelques ressources en hydrocarbures. Très attractif pour les investisseurs en raison d’une économie ouverte, d’un code minier favorable et d’une relative stabilité, jusqu’à une période récente, le Pérou a fondé sa prospérité sur des cours de matières premières historiquement hauts depuis les années 2000 - qui donne le “boom des matières premières” - notamment sous l’effet de la croissance de la demande des émergents. La Chine est ainsi devenue en quelques années le premier client, avec plus de 29% des exportations, et le premier fournisseur, avec plus de 24% des importations, du pays, induisant une forte dépendance.
Le secteur minier est donc incontournable dans l’économie péruvienne : il pèse environ 10 % du PIB, 8 % des recettes fiscales, et 57 % des exportations en 2019. Plus précisément, le Pérou est aujourd’hui le 6e producteur mondial d’or, derrière la Chine, l’Australie, la Russie, les États-Unis, et le Canada ; le 1er d’Amérique latine, avec environ 140 tonnes extraites par an. Une partie significative de cet or est produit dans un cadre informel et souvent via des techniques artisanales, dans des mines illégales, en particulier dans la région de Madre de Dios. La région couverte par l’image produit donc 10 % à 20 % de l'or du pays, mais l’orpaillage illégal y est généralisé (90%).
Un essor récent, stimulé par la hausse du cours de l’or et le désenclavement de la région par la Route Interocéanique Sud
L’orpaillage illégal touche de nombreuses régions amazoniennes, que ce soit au Brésil, au Surinam ou encore en Guyane. C’est une activité qui a connu un fort développement depuis les années 2000. Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ce phénomène. Tout d’abord la hausse spectaculaire du cours de l’or, qui a été multiplié par 7 depuis 2005, accroissant d’autant les convoitises sur le précieux minerai, et à l’origine d’une multiplication quasi-exponentielle des sites d’extraction : le rythme de la déforestation en lien avec l’orpaillage dans la province est très étroitement corrélé à la progression du cours de l’or.
Dans la région de Madre de Dios, si l’or est en effet extrait depuis plus d’un demi-siècle, cette activité a littéralement explosé avec le désenclavement permis par l’asphaltage de la Route Interocéanique Sud reliant le Brésil au Pérou, bien visible sur l’image avec son orientation Est-Ouest. Inauguré en 2011, cet axe a pour objectif le développement des échanges commerciaux et touristiques avec le puissant voisin brésilien mais pour l’instant, à l’échelle nationale, le bilan paraît décevant. Les échanges entre l’État brésilien d’Acre et le Pérou restent modestes et boudent la voie terrestre : la valeur des échanges frontaliers est ainsi estimée à 246 millions de dollars pour la période 2009-2019, dont seulement 18 % auraient pris la route, soit moins de 1% des échanges entre le Brésil et le Pérou.
Cette somme semble dérisoire au regard des investissements consentis, car le coût de construction et d’entretien de cette infrastructure représenterait 4,5 milliards de dollars pour le budget péruvien. Le compte y est d’autant moins qu’en pratique, à l’échelle régionale, la route interocéanique sert aujourd’hui de vecteur à la diffusion de l’orpaillage et de la déforestation, en renforçant l’accessibilité de cette région périphérique et en facilitant le déplacement des orpailleurs entre les chantiers et les petits centres urbains.
L’orpaillage clandestin : un système technique, social, économique et territorial spécifique
S’il est largement « clandestin », l’orpaillage constitue néanmoins un véritable système territorial régional de grande ampleur spatiale et, comme nous l’avons vu, d’une réelle importance économique à l’échelle du Pérou. Il repose sur un système technique d’extraction spécifique, un type de construction sociale et une production territoriale singulière, le tout inséré dans la mondialisation du marché des matières premières.
Les techniques très spécifiques d’extraction de l’or alluvionnaire
Au Pérou, l’or se trouve à l’état primaire sous forme de filons dans la cordillère des Andes où il est exploité de manière industrielle dans des mines. Mais, dans la région amazonienne de Madre de Dios, il est pour l’essentiel d’origine alluvionnaire. L’or, arraché aux contreforts andins, est en effet charrié par les rivières parfois sur de très longues distances. Sous l’effet de l’érosion, il se délite en débris de plus en plus fins : pépites, grains, paillettes, poudres qui se mêlent à des sables, des graviers ou à des minerais comme la magnétite.
Dans ce contexte, l’or ne circule pas de manière aléatoire sur toute la largeur du lit de la rivière : lla « gold line » dépend du débit, des changements du courant, de la morphologie du cours d’eau. Un méandre, un rocher ou encore une fissure (“marmite”) peuvent favoriser la concentration des sédiments en dépôts pour former un placer aurifère. Autant d’indices que les orpailleurs - les oreros - apprennent à repérer dans le paysage lors de la prospection. Certains placers se trouvent donc aussi dans d’anciens lits de cours d’eau recouverts par la végétation. La décrue des rivières met au jour des boues sédimentaires exploitées par les orpailleurs ; mais plus généralement, ces derniers draguent les rivières ou creusent le sol des berges et des forêts de la région.
Le travail des orpailleurs consiste à séparer l’or des sédiments auxquels il est mêlé. Il existe plusieurs techniques mais elles ont en commun d’utiliser la gravité : l’or étant un métal lourd et dense, il est possible de le piéger tout en expulsant les sédiments plus légers.
Aujourd’hui au Pérou, les oreros cherchent l’or dans la rivière à l’aide de barges plus ou moins artisanales. Certaines sont de véritables structures en acier, d’autres de simples radeaux montés sur des flotteurs en plastique, équipés d’une bâche en guise de toit. Pour les plus rudimentaires, un moteur de motopompe assure le fonctionnement d’une drague aspiratrice, laquelle est guidée sous l’eau par un plongeur. Pour les barges semi-industrielles, des moteurs actionnent des têtes foreuses et suceuses qui remplacent le plongeur. Dans les deux cas, les sédiments aspirés sont déversés sur une rampe de lavage, un « canal » de bois ou de métal, garni de traverses et parfois de tapis dans lequel les alluvions s’écoulent à l’aide d’un courant d'eau. Sous l’effet de la gravité, les particules d’or, plus lourdes, restent piégées, alors que le sable est évacué et rejeté dans la rivière. Ces barges sont cependant devenues moins fréquentes car elles sont facilement repérables par les autorités qui patrouillent sur les rivières.
Les oreros peuvent également s’installer sur les berges pour chercher des dépôts d’or alluvial dans le sol. Le travail consiste alors à araser les couches superficielles à la pelle mécanique puis, à actionner une lance à eau - lance-monitor - envoyant un jet à haute pression pour liquéfier les sédiments tandis qu’une pompe aspire la boue qui en résulte. Cette boue est ensuite déversée vers une rampe de lavage ou une table de levée permettant de séparer l’or des sédiments plus légers.
Enfin, les oreros creusent parfois des puits dans l’espoir d’accéder à un véritable filon. Pour ce faire, les macheteros progressent dans la forêt armés de coupe-coupe, de tronçonneuses et, pour les chantiers mieux dotés, de bulldozers. Après un déboisement partiel, le puits est creusé sur 15 mètres de profondeur et complété de galeries latérales consolidées avec des boisages issus des coupes. Il est souvent nécessaire d’organiser le pompage de l’eau qui peut envahir le puits et amollir la terre au point de rendre le site dangereux. Si de l’or est trouvé, d’autres puits sont creusés à quelques mètres pour suivre la veine. Selon le Centre d’Innovation Scientifique Amazonienne (Cincia), entre 2016 et 2019, plus de 5.300 puits d’extraction ont été creusés dans la zone de La Pampa (zoom 3).
Quel que soit le type de placer aurifère ou la méthode employée, utiliser du mercure augmente considérablement l’efficacité du dispositif et les orpailleurs y ont largement recours. En effet, à l’état liquide, ce métal a la propriété unique d’adhérer à l’or et de former avec lui un amalgame. Utilisé sur les rampes de lavage, les tables de levée ou dans des fûts, il permet de récupérer jusqu’aux plus petites paillettes et poussières d’or qui, ainsi amalgamées, sont plus lourdes et faciles à trier. La phase finale consiste pour les oreros à chauffer ces amalgames à très haute température (400 °C) à l’aide d’un chalumeau si bien que le mercure s'évapore pour ne laisser que l’or, dont la température de fusion est plus haute.
Organisation sociale du chantier : une stricte division du travail
Comme l’explique François-Michel Le Tourneau, géographe et chercheur au CNRS spécialiste de l’Amazonie, le système économique des orpailleurs “peut être considéré comme un capitalisme pur, dans lequel aucun mécanisme d’amortissement social n’est à l’œuvre. Il repose principalement sur le troc du travail contre un partage de la valeur de la production et sur une chaîne de vente des marchandises qui maximise le profit.”
Ainsi, dans les petits campements miniers illégaux, il existe une stricte division du travail. Les chantiers rassemblent à minima quatre orpailleurs associés en coopérative ou travaillant pour un patron qui possède le capital nécessaire pour démarrer l’exploitation. Ce dernier fournit le matériel : machines, tuyaux, moteurs, huile de moteur, carburant, pièces de rechange car la casse est fréquente, mais aussi la nourriture sur le campement. Les ouvriers qu’il a recrutés, souvent jeunes et mobiles, passant d’un chantier à l’autre, ont des rôles bien définis : quelques machinistes qui alternent travail de jour et de nuit, un plongeur ou un défricheur équipé d’une machette ou d’une tronçonneuse, et enfin, une cuisinière. Si cette dernière peut être salariée, le reste de l’équipe ne touche de gain que si de l’or est découvert. Selon les informations de François-Michel Le Tourneau pour la Guyane, le patron impose alors un partage de la production de type 70 % pour lui et 30 % pour les ouvriers ; les rapports sont meilleurs - 60 % contre 40 % - pour les équipes de barge car les risques sont élevés pour les plongeurs.
Pour répondre aux besoins des orpailleurs (outillage, essence, restauration, médicaments…), une multitude de petits commerçants et de transporteurs gravitent autour des chantiers. Ils se sont installés dans la région au gré de l’avancée du front pionnier aurifère. Et au fil du temps, certains campements sont devenus de véritables bourgs comptant parfois plusieurs milliers d’habitants (zoom 1).
Un système d’urbanisation : des campements miniers aux villes-champignons
La structuration du territoire révélée par l’image est caractéristique des fronts pionniers. L’appropriation et l’organisation de l’espace s’opère de manière non linéaire, via des booms successifs, selon une configuration en grappe ou cluster. En effet, les mines légales attirent une main-d'œuvre nombreuse et ceux qui ne parviennent pas à s’y faire embaucher peuvent créer ou rejoindre des sites d’extraction clandestins à proximité. En outre, chaque site dont ont été extraits plusieurs kilos d’or, qu’il soit légal ou illégal, voit un nouvel afflux de chercheurs d’or explorer ses environs.
Après les deux premières ruées des années 1930-1950 et 1970-1980, c’est actuellement le troisième boom extractif qui touche la région de Madre de Dios. Il se caractérise par une pression migratoire plus marquée qui alimente la croissance urbaine locale, laquelle contribue en retour à consolider l’activité d’orpaillage en la facilitant. Ces dynamiques contribuent à ébaucher un petit réseau urbain bien hiérarchisé.
La capitale régionale, Puerto Maldonado (hors image), a été officiellement créée en 1902 par le gouvernement péruvien désireux d’affirmer sa souveraineté sur cette marge amazonienne, alors commandée, dans la plus grande violence, par les barons du caoutchouc. Le film Fitzcarraldo (1982) de Werner Herzog a fait entrer dans la légende Carlos Firmin Fitzcarrald (1862-1897), ce seringueiro - cauchero - fou d’opéra, déterminé à ouvrir un passage terrestre - varadero - reliant les bassins hydrographiques de l’Ucayali et du Madre de Dios. Il y parvint en sacrifiant une main d’œuvre indienne largement asservie et “l’isthme de Fitzcarrald” se situe hors image, en amont du Madre de Dios. Ses expéditions valorisèrent aussi le site de Puerto Maldonado, particulièrement stratégique car au confluent de la rivière Tambopata et de la rivière Madre de Dios, mais la ville doit son nom au colonel José Faustino Maldonado, dont l'expédition disparut alors qu'elle tentait de remonter le cours de la rivière.
Ainsi, les routes fluviales ont longtemps constitué la voie principale de pénétration de cette région reculée et ont favorisé l’émergence de petits bourgs. Aujourd’hui, Puerto Maldonado est également accessible par des vols directs et en gros porteur depuis Cusco et Lima, ainsi que par la route interocéanique sud. Elle reste avec 92.000 habitants, le centre de commandement de la région.
Mais depuis l’ouverture de la route interocéanique en 2011, Puerto Maldonado n’a plus le monopole des bars, des « prostibars » et autres maisons de passe, des hôtels, des restaurants, ni même des boutiques d’achat d’or - compra de oro. De petits bourgs, souvent nés d’anciens campements miniers, et desservis par la route, comme Mazuko (6.000 habitants en 2017) bien visible sur le zoom 1, sont en pleine expansion. Au cœur de l’image principale, et plus précisément sur le zoom 3, on peut aussi observer un vaste campement illégal, « La Pampa » qui rassemblait jusqu’en 2019, environ 25.000 personnes de part et d’autre de la route interocéanique.
Une noria de colporteurs, de pilotes de pirogues (peque-peque), de chauffeurs de taxi et de camions relient ces bourgs entre eux, assurant l’approvisionnement des chantiers en produits légaux comme illégaux.
Ainsi dans la région de Madre de Dios, plusieurs cycles extractifs - caoutchouc, bois, or - se sont succédé, favorisant la progression du front pionnier sans que la dynamique d’occupation de l’espace ne soit concertée. Toutefois, l’ouverture de la route interocéanique semble aujourd’hui consolider l’émergence d’un petit réseau urbain dont la configuration reste cependant partiellement mouvante car les oreros s’adaptent à la répression des autorités pour ouvrir ou abandonner tel ou tel sentier - trocha - dans la forêt.
Blanchir l’or illégal et l’insérer dans les circuits légaux et mondialisés
Après avoir touché leur part, les orpailleurs rejoignent les petits bourgs de la région, ou plus souvent Puerto Maldonado, pour vendre leur or et effectuer des virements dans des boutiques spécialisées - compra de oro. Certes, ces dernières sont censées vérifier les titres des concessions et enregistrer la provenance de l’or, mais toutes ne sont pas très scrupuleuses.
Les orpailleurs illégaux peuvent également vendre leur production à certaines mines légales dont le rendement a diminué, mais qui continuent de déclarer une production importante, comme celles de la zone de Huepetuhe qui sont les plus anciennes de la région figurant sur l’image (zoom 1). Ceci révèle par ailleurs la complexité des liens entre orpailleurs illégaux et légaux qui oscillent entre conflits et coopération.
Enfin, une partie de l’or illégal transite en contrebande à travers le Brésil et la Bolivie voisins, pour rejoindre les États-Unis où Miami semble être devenue la plaque tournante de ce marché.
Une catastrophe environnementale et sociale
Des paysages et des écosystèmes ravagés par un rapport prédateur
François-Michel Le Tourneau explique que l’activité des orpailleurs doit en grande partie sa rentabilité à un dumping social et écologique extrême : bien sûr, les patrons ne versent pas de cotisations sociales et le coût des dommages environnementaux n’est en aucun cas internalisé. L’impact environnemental de ces chantiers illégaux est d’autant plus massif que les équipes d’orpailleurs se déplacent avec régularité, toujours en quête d’un nouveau placer aurifère. En outre, ce sont pour la plupart des migrants, bien souvent venus des Andes, qui n’entretiennent pas de relation affective particulière avec la région de Madre de Dios. Comme le souligne François-Michel Le Tourneau pour les orpailleurs brésiliens en Guyane : “leur système est en grande partie déterritorialisé : il n’utilise les régions que comme un support quasiment anonyme de l’extraction de l’or.”
Un tel rapport prédateur à la ressource ne peut qu’avoir un impact dévastateur sur l’environnement. Dans les rivières, les pieux d’amarrage qui ont servi aux barges demeurent tandis que la turbidité augmente sous l’effet conjoint de l’aspiration brutale des sédiments et des rejets de matières polluées, bouleversant les écosystèmes aquatiques. A proximité, les berges déboisées et arasées risquent de s’affaisser au point parfois, de modifier le tracé des cours d’eau. Sur terre, la forêt laisse place à un paysage désolé, composé de milliers de bassins d’excavation remplis d’une eau contaminée, séparés par des bancs de sable issus des rejets sédimentaires. L’ensemble est fortement pollué au mercure et à l’essence.
Une massive pollution au mercure
Sachant qu’il faut compter 1 à 10 grammes de mercure pour amalgamer 1 gramme d’or, lors de l’extraction aurifère dans la région de Madre de Dios, le mercure est massivement relâché dans l’environnement ; à hauteur de 180 tonnes chaque année, selon les estimations du Cincia, soit plus de la moitié du mercure émis dans tout le Pérou.
Une partie est emportée par les eaux qui passent dans les tables de levée tandis que les fumées issues du mercure chauffé se déposent sur la végétation avant d’être lessivées par les pluies. Ainsi, le mercure, toxique sous toutes ses formes, contamine l’air, les sols, les eaux et affecte l’ensemble de la chaîne trophique terrestre et aquatique bien au-delà des zones d’exploitation aurifère. En raison de la bioaccumulation, la concentration est très importante dans la chair des gros poissons carnivores (comme le Mota Punteada, une sorte de poisson-chat) et les peuples autochtones, qui vivent en partie de la pêche, s’en trouvent particulièrement vulnérables.
Dans les villages de mineurs, les experts du Cincia ont mesuré des taux de concentration en mercure dans l’air, plus de vingt fois supérieurs à la limite maximale recommandée par l’OMS (21 µg/m³ contre 1 µg/m³). C’est le cas également à Puerto Maldonado où se trouvent de nombreuses boutiques d’achat d’or. En effet, les opérateurs procèdent tous à une purification de l’or à l’aide d’un chalumeau pour éliminer tout résidu de mercure et ne payer que le poids final à l’orpailleur. Cette pratique nocive pour la santé n’est autorisée que si le commerce dispose d’une hotte aspirante mais, faute d’équipement idoine, les opérateurs se replient bien souvent dans les arrière-cours et la pollution persiste.
La situation est aujourd’hui alarmante car l’intoxication au mercure produit des dommages lents mais irréversibles avec des effets dramatiques sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire pouvant, entre autres, se traduire par des retards de développement cognitif pour les enfants.
Certes, le Pérou est Partie à la Convention de Minamata sur le mercure - signée en 2013, entrée en vigueur en 2017 - laquelle doit son nom à une ville japonaise dont plusieurs milliers d’habitants ont été empoisonnés par cette substance entre 1930 et 1960. Et en conséquence, le gouvernement travaille à promouvoir des techniques d’extraction sans mercure, comme l’utilisation de tables de levée vibrantes facilitant la séparation de l’or et des sédiments, ainsi que des pratiques de travail plus sûres : les orpailleurs peuvent avec un simple alambic - retorta - récupérer le mercure évaporé pour éviter de l’inhaler et pouvoir le réutiliser. Mais ces pratiques restent peu courantes car elles supposent des moyens financiers ou des formations qui font bien souvent défaut.
Cette pollution mercurielle massive pose un véritable problème de santé publique et obère les perspectives de reforestation ou de valorisation agricole de ces zones dévastées par l’orpaillage.
Une diversité écologique hors du commun menacée par l’orpaillage et la déforestation
Outre la pollution, l’orpaillage joue également un rôle croissant dans la déforestation alors que l’Amazonie péruvienne est déjà menacée par l’agriculture, notamment par l’extension des plantations de coca et des pâturages, ainsi que par l’exploitation illégale du bois. Ces fronts de colonisation peuvent d’ailleurs se superposer.
Dans la région de Madre de Dios, l’extraction aurifère est ainsi responsable de la disparition de 100 000 hectares / 1000 km² de forêt entre 1985 et 2020. Et, sous l’effet conjoint de l’appréciation du cours de l’or et de l’ouverture de l’autoroute interocéanique, le phénomène s’est accéléré pendant la dernière décennie : selon les experts du Cincia, ces deux dernières années, l’orpaillage a entraîné la disparition de l’équivalent de 34 000 terrains de football de forêt amazonienne au Pérou. Deuxième plus grande forêt du monde, principal réservoir de biodiversité au monde, l’Amazonie est partagée entre neuf États - dont la France par l’intermédiaire de la Guyane française ; le Pérou compte la 2e plus importante portion après le Brésil. Outre l’essor rapide de l’orpaillage, de nombreuses menaces pèsent sur l’Amazonie péruvienne, soumise à la pression de plusieurs activités légales ou illégales, telles que l’exploitation du bois ou la culture de la coca sous contrôle des narcos, fragilisant toujours un peu plus les communautés autochtones.
Cette situation est particulièrement dommageable car le Pérou fait partie des 17 pays « mégadivers » de la planète grâce à la région de Madre de Dios qui offre la plus grande biodiversité du pays. Les aires naturelles protégées représentent ofiiciellement 45 % du territoire régional qui abrite, entre autres, le Parc National de Manu situé à l’ouest de l’image, classé « réserve de la biosphère » et enregistré sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Mais aussi celui de Bahuaja Sonene, ainsi que la Réserve Nationale Tambopata au Sud-Est de l’image, dans laquelle ont été recensées plus de 1.700 espèces végétales, 600 espèces d’oiseaux, 1000 espèces de papillons, 100 espèces d’amphibiens, 180 espèces de poissons, 169 espèces de mammifères, plus de 100 espèces de reptiles.
Pour préserver la richesse écologique de ces aires naturelles théoriquement protégées, il existe un zonage qui interdit toute activité productive en leur cœur et délimite une zone tampon où certaines restent autorisées dans le respect de normes précises, notamment par les populations autochtones. La culture de la noix du Brésil ou l’écotourisme sont ainsi considérés comme des pratiques durables.
Mais l’image satellite révèle bien que l’orpaillage illégal déborde nettement sur la zone-tampon de la Réserve Nationale de Tambopata, alors même que l’activité minière y est interdite. En pratique, la zone-tampon fait aujourd’hui l’objet de multiples conflits d’usage entre orpailleurs illégaux, communautés autochtones et militants écologistes qui tentent de développer l’écotourisme et dénoncent la disparition de ce patrimoine écologique exceptionnel. La région se présente finalement comme une marqueterie qui juxtapose des territoires préservés au voisinage de territoires profondément déstabilisés.
Des territoires de l’antimonde socialement déstabilisés
Si l’orpaillage illégal est un fléau pour l’environnement, ses conséquences sociales sont également préoccupantes. Les mineurs sont en effet bien souvent des migrants pauvres en provenance des Andes. Dans les années 1980-1990, ils fuyaient l’extrême pauvreté et la violence politique liée au Sentier Lumineux comme à sa répression par le gouvernement, si bien qu’une filière migratoire s’est peu à peu structurée.
Le système économique de l’orpaillage est bien sûr perçu comme une opportunité d’échapper à la pauvreté, mais ces migrants et migrantes, souvent très jeunes, forment une main-d’œuvre vulnérable. Ils sont parfois abusés par des intermédiaires - enganchadores - qui proposent de payer leur voyage et de leur trouver un contrat. Mais ceux-ci accumulent les « prestations », si bien qu'à l’arrivée les aspirants mineurs se découvrent endettés et contraints au travail forcé, souvent à la prostitution pour les femmes (zoom 3).
Quand bien même elles sont librement acceptées, les conditions de travail sont pénibles et les conditions sanitaires précaires en raison de la chaleur, des risques d’accidents mais aussi des piqûres d’insectes ou des morsures de serpent.
Si François-Michel Le Tourneau insiste sur le fait que la solidarité est indispensable à la survie dans ces territoires en marge et qu’il existe des règles informelles qui organisent les relations sociales dans le monde des orpailleurs, Madre de Dios connaît une insécurité et une violence caractéristiques des fronts pionniers : trafics, braquages de campements, agressions… Ces actes sont parfois le fait de bandes criminelles venues de la côte et impliquées dans la contrebande de mercure, de carburant et le trafic de drogue. En réponse, les patrons de chantiers recourent aux services de groupes de sécurité armés, ce qui conduit à une escalade de la violence. Le taux d’homicide est ainsi trois fois supérieur à celui du reste du pays.
Entre volontarisme et impuissance de l’État : des réponses qui se heurtent aux spécificités du territoire et à la misère de la population
Après avoir longtemps fermé les yeux sur les ravages de l’orpaillage illégal, le gouvernement péruvien fait preuve, ces dernières années, de davantage de volontarisme pour affirmer sa souveraineté et son contrôle effectif sur cette marge amazonienne.
En 2010 et en 2012, le pays s’est doté d’un arsenal législatif pour encadrer l’exploitation minière aurifère artisanale et de petite taille et promouvoir un « or responsable », avec l’ambition de garantir la santé et la sécurité de la population ainsi que de préserver le patrimoine naturel tout en favorisant le développement d’activités économiques durables. En conséquence un zonage a été établi, interdisant l’activité minière dans les aires naturelles protégées ainsi que dans les zones tampons les entourant, mais l’autorisant en la réglementant dans des corridors dédiés. Cette stratégie visait à formaliser l’orpaillage artisanal pour maintenir une activité économique créatrice d’emplois et en tirer des recettes fiscales, tout en améliorant les pratiques. Mais le durcissement des normes environnementales et sociales a réduit la rentabilité de l’activité et la plupart des mineurs ont préféré rester dans la clandestinité, se repliant dans la forêt dans une logique d’évitement. C’est ainsi, par exemple, que l’immense campement de La Pampa s’est développé depuis dix ans pénétrant jusque dans la réserve de Tambopata (zoom 3).
Face à l’échec de cette stratégie de formalisation, l'État a opté pour une politique répressive d'éradication des campements illégaux et de destruction systématique des installations. Prenant appui sur l’imagerie satellite développée par les scientifiques du Cincia pour localiser les campements et repérer l’avancée des fronts aurifères, l’État a lancé l'opération Mercurio en février 2019. Les autorités locales ont alors pu compter sur des renforts massifs : en coordination avec un procureur, des policiers, des militaires, des douaniers ont été déployés en nombre dans la région de Madre de Dios pour démanteler les mines illégales et forcer le déguerpissement du vaste campement de La Pampa. Quelques mois plus tard, en décembre 2019, le Président du Pérou, Martín Vizcarra (2018-2020), faisait le déplacement pour se féliciter du bilan de l’opération, annoncer la “libération de La Pampa” et lancer un programme de reforestation. Il a symboliquement planté un arbre issu de la pépinière que le Cincia a développé à Mazuko afin de tester les essences forestières les plus à même de se développer dans cet environnement dévasté.
S’il est vrai que La Pampa a été évacuée et que le rythme de la déforestation a ralenti, il n’est pas certain que les effets de cette stratégie coercitive soient pérennes. En effet, la destruction systématique des installations vise à renchérir les coûts de production afin de casser la dynamique économique de l’orpaillage illégal. Mais cette méthode peut s’avérer contre-productive car les risques liés à la forte présence policière accroissent d’autant la valeur des découvertes. En outre, les orpailleurs illégaux font preuve d’une remarquable résilience et se dispersent dans la forêt, ce qui pourrait présager de l’apparition de nouveaux fronts miniers. Enfin, le Pérou a été profondément déstabilisé par la pandémie de COVID-19 et traverse aujourd’hui une crise sanitaire, économique et politique majeure. Le gouvernement pourrait bien ne plus être en mesure de financer des opérations de grande ampleur à Madre de Dios et ce, alors même que la pauvreté accrue nourrit l’informalisation de l’économie et les flux migratoires qui accroissent la pression dans la région.
Néanmoins, les experts du Centre pour l’Innovation Scientifique Amazonienne (Cincia), créé à Puerto Maldonado en 2016 par l’université étatsunienne de Wake Forest de Caroline du Nord et en partie financée par l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ainsi que par le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), poursuivent un gros travail d’étude d’impact de l’exploitation. Ils suivent la progression de la déforestation à l’aide de drones, évaluent le degré de pollution au mercure et sensibilisent les populations locales à ses conséquences sanitaires, en intervenant notamment dans les écoles. Ils mènent aussi des expériences pour faciliter la restauration des terrains dégradés et pollués et organiser la reforestation. Ils utilisent par exemple le biocharbon qui permet de rétablir l’équilibre des sols et plantent des essences forestières sélectionnées et associées après de nombreux tests. Ainsi, les espèces à croissance rapide, comme le pashaco (Schizolobium amazonicum) mais aussi le pin et l’eucalyptus doivent protéger des espèces à la valeur écologique plus importante mais dont la croissance est plus lente, comme le kapokier (Ceiba pentandra).
Pour l’instant, ces actions semblent toutefois insuffisantes pour endiguer les ravages de l’orpaillage illégal dans la région de Madre de Dios, et les opérations de déguerpissement menées par les autorités paraissent sévères à une population pauvre qui manque d’alternatives. Pourtant, les mentalités évoluent car les dernières élections régionales en 2018 ont porté au pouvoir Luis Hidalgo qui avait fait campagne sur la lutte contre l’orpaillage illégal.
Zooms d’étude
Zooms d'études
L’ordre de présentation des zooms suit grossièrement la chronologie de l’essor de l’orpaillage, en partant des zones les plus anciennement exploitées, et en terminant par l’ouverture du tout récent front septentrional.
Zoom 1 : Huepetuhe, une exploitation mécanisée
L’image donne à voir la zone connue sous le nom de mine d'or du Rio Huaypetue ou Huapetuhe. Cette vaste mine d'or couvre plus d'une centaine de kilomètres carrés sur les dernières pentes de la Cordillère des Andes, entre le río Colorado et le río Inambari qui confluent plus au nord avec le Madre de Dios. Les mines occupent en totalité les bassins des petites rivières Piquiri et Caychihue, au point qu’il est impossible sur l’image de les distinguer.
Active depuis les années 1990, l’exploitation y est aujourd’hui largement mécanisée, et recourt à de gros engins de chantier comme les tractopelles et autres tombereaux qui ont de forts impacts paysagers et participent localement d’une dévastation spectaculaire des terrains. L’exploitation, qui a procédé par remontée du cours d’eau principal, puis de ses affluents, y est aujourd’hui légale, mais toutefois en baisse, signalant l’épuisement progressif des ressources.
Au centre-ouest de l’image, on distingue le bourg de Huepetuhe, un ancien campement minier et les mines alentour, et, plus à l’est, sur le rio Inambari, le bourg de Mazuko, dont l’origine remonte à la première ruée vers l’or dans les années 1930. Il tient son nom de Jorge Mazuko, un migrant japonais qui s’était spécialisé à l’époque dans le maraîchage pour ravitailler le campement minier de Huepetuhe.
Lors du second boom minier dans les années 1970-1980, le site prit de l’importance car il apparut comme un carrefour sur la route terrestre reliant Puerto Maldonado à Quince Mil plus au Sud et l'offre de services proposés s’étoffa. A l’Est, on voit que la déforestation progresse en arêtes de poisson ce qui indique la présence d’engins de chantier comme des bulldozers et des excavatrices et non le travail d’orpailleurs artisanaux.
Les mines d'or du Rio Huaypetue
Le bourg de Mazuko sur le rio Inambari
Zoom 2. Delta, entre exploitation mécanisée et artisanale
Dans le coin nord-ouest, au sein d’une forêt encore relativement préservée, on repère bien le Rio Colorado, affluent du rio Madre de Dios, à son cours anastomosé. La partie ouest est une zone tampon qui sépare le site de la réserve communale Amarakaeri. Le paysage est bien différent aux abords de son affluent le rio Piquiri, plus à l’est sur l’image satellite, le long duquel se développe le bassin d’extraction “Delta”.
Celui-se décompose en fait en deux ensembles assez différents. Au sud se déploie une exploitation mécanisée, dans la continuité du bassin précédent. Au nord, on repère les innombrables petits bassins, de forme plus arrondie mais très irrégulière, caractéristiques d’une exploitation artisanale, laquelle est principalement opérée via des pompes aspirantes.
Plus à l’est, de petites places de déforestation sont visibles le long de pistes d’orientation est-ouest et nord-sud taillées tout droit dans la forêt. L’ensemble est polarisé par le bourg de Boca Colorado, qui regroupe officiellement environ 2.000 habitants, dont l’aérodrome est visible à l’extrême nord-est de l’image : c’est un petit centre local de services et de distribution, et sa situation en fait aussi un point de transit de la production de coca d’Amazonie occidentale vers le marché brésilien.
On se situe ici toujours dans le corridor minier légal, qui occupe grossièrement la partie nord de l’image satellite générale, tandis que la route interocéanique délimite au sud les aires protégées ou l’orpaillage est interdit et donc illégal lorsqu’il y est pratiqué.
Le delta
Zoom 3. La Pampa : une zone bouleversée par les ravages de l’exploitation minière artisanale
La région de La Pampa bouleversée par l’orpaillage clandestin
La région de La Pampa bouleversée par l’orpaillage clandestin
Cette image satellite donne à voir la zone minière illégale de La Pampa, d’exploitation beaucoup plus récente puisqu’elle s’est développée de manière accélérée lors de la dernière décennie dans la zone d’interfluve délimitée par la rivière Madre de Dios, visible au nord de l’image et l’un de ses affluents, la rivière Malinovski, au sud.
Les fameuses « rivières d’or» qui apparaissent clairement sur l’image sont le résultat typique d’une pratique d’extraction artisanale ou peu mécanisée. Le caractère linéaire de ce réseau de bassins remplis d’une eau contaminée étincelante au sein d’étendues sableuses s’explique peut-être par la présence d’un filon d’or primaire ou, plus probablement, par celle de dépôts aurifères alluvionnaires correspondant à d’anciens lits de rivières. Le cours très anastomosé des rivières Madre de Dios et Malinovski pourraient en effet être l’indice d’une importante mobilité passée. Mais ce réseau linéaire est enfin typique de la progression des orpailleurs qui, s’ils ont trouvé de l’or, en cherchent à proximité immédiate, et utilisent parfois les bassins creusés précédemment pour y déverser les nouveaux déchets ou pour capter l’eau nécessaire au fonctionnement des lances-monitors et des pompes aspirantes.
Exactement au centre de l’image, parallèle aux deux rivières, on devine la Route Interocéanique Sud, d’orientation Est-Ouest, dont l’ouverture en 2011 a provoqué une accélération de la ruée vers l’or dans la région de Madre de Dios. En témoigne, une morphologie caractéristique de ville-champignon émergente : les campements, épars à l’origine, forment désormais une ville-rue étirée de part et d’autre de la route, et la zone rassemblait encore en 2018, 25.000 personnes. Entre plusieurs noyaux d’habitations relativement précaires, toujours le long de la route, on peut repérer des parcelles dévolues à l’agriculture qui indiquent une occupation pérenne et dont la production vient certainement compléter à moindre coût une offre essentiellement importée depuis Puerto Maldonado, la capitale régionale située plus à l’est (hors image). Car si La Pampa voit défiler les orpailleurs, elle a aussi attiré une foule de petits commerçants installés plus durablement, ainsi que de nombreux trafiquants qui ont conféré une réputation sulfureuse au site.
La Pampa est en effet devenue une zone de non-droit où se déploient de multiples trafics y compris d’êtres humains. Selon l’ONG péruvienne Promsex, à l’initiative d’une campagne de sensibilisation « No mas ninas invisibles », 38 % des femmes de la Pampa sont exploitées sexuellement. Le taux d’homicide est aussi supérieur à celui du reste du pays et la violence peut s’exercer contre les militants environnementaux. L’Atlas des Conflits pour la Justice Environnementale relève qu’en 2015, le fondateur de l’association de reboisement Feforemad, Alfredo Ernesto Vracko Neuenschwander, qui dénonçait l’expansion de l’extraction aurifère aux dépens de la réserve naturelle de Tambopata, située immédiatement à l’est, a été assassiné.
En effet, dans la région dévoilée par l’image, il existe théoriquement un zonage : au nord de la Route Interocéanique se déploie un corridor minier légal où l’orpaillage est autorisé à condition d’avoir un permis, tandis que l’espace situé au sud, entre la Route et la rivière Malinovski, est une zone tampon où cette activité est interdite : aucune concession officielle n’y est accordée afin de préserver les écosystèmes du Parc National Bahuaja Sonene, situé immédiatement au sud de la rivière Malinovski (hors image) et de la réserve Nationale de Tambopata au sud-est.
Mais les violations massives du zonage, suivies par les autorités grâce à l’imagerie satellite, l’apparition de nouvelles aires de déforestation dans le cours supérieur de la rivière Malinovski à l’ouest, et l’escalade de la violence, ont finalement décidé le gouvernement à lancer en février 2019, une opération répressive de grande ampleur pour reprendre le contrôle de cette zone grise : l’opération Mercure. Quelque 1500 policiers et militaires, principalement issus de la marine, ont été déployés en renfort des forces de l’ordre locales pour évacuer l’intégralité du site de La Pampa et patrouiller le long des rivières afin d’arrêter les orpailleurs et détruire les éventuelles installations à coup d’explosifs. En parallèle de ces interventions militaires, des scientifiques, notamment ceux du Cincia, ont été invités à étudier le site pour envisager un projet pilote de reforestation.
Avant l’opération Mercure, la déforestation résultant de l’orpaillage progressait, à La Pampa, de 165 hectares par mois contre 17 hectares depuis le lancement de l’opération, soit une décrue de 90 %. Mais depuis 2020, la pandémie de COVID-19 et le confinement ont compliqué le travail des autorités et la déforestation a repris ponctuellement dans cette région ultra-périphérique.
L’orpaillage illégal au sud du site aurifère de La Pampa, en conflit avec la protection de l’environnement
On reconnaît sur l’image satellite les paysages de l’extraction artisanale avec leurs nombreux bassins. L’exploitation se déploie ici d’ouest en est, parallèlement au rio Malinovski. La partie la plus orientale résulte de défrichements très récents intervenus après 2017, même si le rythme de la déforestation semble avoir un peu ralenti après l’opération Mercurio dans cette partie de la Pampa.
L’activité aurifère déborde ainsi très largement du corridor minier légal, plus au nord, et empiète sur la zone-tampon de la réserve nationale de Tambopata. Issue d’une zone réservée en 1977, celle-ci a été créée en 2000 et couvre un peu plus de 270.000 hectares. Grâce à son exceptionnelle biodiversité et en vertu d’une situation relativement accessible, la réserve voit se développer une activité d’écotourisme non négligeable.
Outre les conséquences environnementales, les impacts sociaux sont notables dans une réserve qui abrite une dizaine de communautés autochtones des ethnies Yine, Matsiguenka et Harakmbut, soit environ 1.500 personnes, qui dénoncent la faiblesse de la présence de l’État pour défendre la réserve face aux appétits des oreros. Les Amérindiens sont donc amenés à lutter tant bien que mal par leurs propres moyens. D’autres populations autochtones sont également en butte avec les orpailleurs dans la région, comme dans la zone-tampon de la réserve communale Amarakaeri, à l’ouest du rio Piquiri (voir zoom 1).
L’orpaillage illégal au sud du site aurifère de La Pampa, en conflit avec la protection de l’environnement
Zoom 4. Un nouveau front septentrional
Au Nord, le long du rio Madre de Dios s’est tout récemment ouvert un nouveau front minier. L’image satellite permet en effet de déceler les débuts de la déforestation et de la transformation des paysages, qui apparaissent sous forme d’îlots discontinus et occupant encore des surfaces modestes. C’est en quelque sorte le premier stade de l’exploitation, dans un territoire en mutation rapide, qui risque d’évoluer comme les autres sites en l’absence d’une régulation plus stricte.
Le long du rio Madre de Dios
Bibliographie et ressources complémentaires
Sur le site Géoimage du CNES
Sur l’Amazonie :
Hervé Théry : Brésil - Manaus, villes d’eaux au cœur de l’Amazonie
Brésil - Manaus, villes d’eaux au cœur de l’Amazonie
Patrick Blancodini : France - Guyane - Le Maroni, fleuve-frontière entre la Guyane française et le Suriname
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Patrick Blancodini : Guyane française / Brésil - La frontière : un territoire longtemps contesté à une difficile coopération régionale transfrontalière
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Patrick Blancodini : France - Guyane : Maripasoula et Haut-Maroni, une région transfrontalière enclavée entre la Guyane française et le Suriname
Guyane : Maripasoula et Haut-Maroni, une région transfrontalière enclavée entre la Guyane française et le Suriname
Sur le modèle extractiviste latino-américain :
Bernadette Mérenne-Schoumaker : Chili - L’exploitation du lithium dans le désert d'Atacama : nouvelle ressource stratégique et bouleversement technologique mondial
Chili - L’exploitation du lithium dans le désert d'Atacama : nouvelle ressource stratégique et bouleversement technologique mondial
Clémence Cattaneo : Chili - La mine de cuivre de Chuquicamata et la ville de Calama, une région façonnée par l’extraction minière dans une marge désertique
Chili - La mine de cuivre de Chuquicamata et la ville de Calama, une région façonnée par l’extraction minière dans une marge désertique
Ouvrages et articles
François-Michel Le Tourneau, Chercheurs d'or - L'orpaillage clandestin en Guyane française, CNRS Éditions, 2020
Amanda Chapar, “En Amazonie péruvienne, les leaders amérindiens menacés par les narcos et les trafiquants de bois”, Le Monde, 14 juin 2021,
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/14/en-amazonie-peruvienne-les-leaders-amerindiens-menaces-par-les-trafiquants_6084014_3210.html
Vincent Bos et Cécile Lavrard-Meyer, « « Néo-extractivisme » minier et question sociale au Pérou », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 78 | 2015, mis en ligne le 13 janvier 2016, consulté le 30 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/cal/3501
Marie-Laure Théodule, « Le Pérou viendra-t-il à bout de l’or sale ? », La recherche, n°556, février 2020
Tarik Naghib Tavera Medina, Del istmo de Fitzcarrald a La Pampa : análisis del sistema de redes de ciudades mineras de la región de Madre de Dios en el área de influencia de la carretera Interoceánica (1980-2018), Thèse de géographie, Université Catholique du Pérou, décembre 2020
Céline Delmotte, « Accès aux ressources naturelles et foncières en Amazonie péruvienne. Entre agriculture et exploitation aurifère artisanale », Revue internationale des études du développement, 2019/2 (N° 238), p. 219-244.
G. Gallice, G. Larrea-Gallegos, I. Vázquez-Rowe, “The threat of road expansion in the Peruvian Amazon”, Oryx, 53(2), 284-292, 2019, https://www.cambridge.org/core/journals/oryx/article/threat-of-road-expansion-in-the-peruvian-amazon/EC18A95E8D8596A62ECC9E0695A89B0C
Lenin Valencia, Las rutas del oro ilegal : estudios de caso en cinco países amazónicos, SPDA, 2015
Nicole Bernex, « L'Amazonie péruvienne entre intégration et dégradation », Problèmes d'Amérique latine, 2013/1 (N° 88), p. 95-121.
Sites web
Site du Cincia: https://cincia.wfu.edu/en/
Atlas des conflits pour la justice environnementale : https://ejatlas.org/?translate=fr
“Pérou : l’or à tout prix”, documentaire, Arte, 2019.
“Exploitation minière artisanale : la Suisse lutte contre l’or sale au Pérou”, reportage Swiss Info, https://stories.swissinfo.ch/la-suisse-lutte-contre-l-or-sale-du-perou#231918
Contributeur
Clémence Cattaneo, Professeure de chaire supérieure au lycée Thiers de Marseille, et Clara Loïzzo, Professeure de chaire supérieure au lycée Masséna de Nice.