Portugal - Lisbonne : la capitale portugaise aux défis d’une touristification accélérée et d’une patrimonialisation accrue

A l’extrémité occidentale du continent européen, Lisbonne est une capitale de 550.000 habitants située au centre d’une aire métropolitaine qui s’étend autour de l’embouchure du Tage et qui concentre un tiers de l’économie et un quart de la population (2,8 millions hab.) du pays. Comme le rappelle le monument des Découvertes situé au bord du fleuve dans le quartier de Belém, Lisbonne est à jamais liée à la première mondialisation en tant que point de départ des Grandes Découvertes. Aujourd’hui, c’est la capitale d’un petit Etat membre de l’Union européenne qui a su profiter de l’accueil de grands évènements comme l’exposition universelle de 1998 et de différents labels (capitale européenne de la culture en 1994, capitale verte de l’UE en 2020) pour se transformer et travailler sur son marketing territorial. Le tourisme est désormais une source de revenu majeur pour la municipalité et les Lisboètes, du fait notamment de la valorisation d’un patrimoine exceptionnel. Toutefois, cette touristification accélérée - liée à une patrimonialisation accrue - génère également de plus en plus de tensions dans certains quartiers du centre de Lisbonne.

 

Légende de l’image satellite

 

Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 22/09/2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.

Accéder à l'image sans annotation

Copyright : PLEIADES©CNES2018, Distribution AIRBUS DS


 


Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l'image globale

Lisbonne : la capitale portugaise au défi du couple tourisme/patrimoine

« Lisbonne posée sur le Tage comme une ville qui navigue » (J. Cardoso Pires)

Lisbonne, le Tage et la mer de Paille

Comme le précisait le géographe portugais Orlando Ribeiro, « peu de grandes villes jouissent, autant que Lisbonne, d’un emplacement “prédestiné” aussi bien par le site que par la position ». Il est vrai que sur l’ensemble du littoral portugais long de 850 km, le port de Lisbonne profite de l’échancrure la plus profonde avec un accès aisé vers l’océan Atlantique. Le site est celui d’un port d’estuaire et les Phéniciens ne se sont pas trompés en le nommant Alis Ubbo (« rade délicieuse »). A ce titre, Lisbonne appartient au club des grandes métropoles d’estuaire ou de fond d’estuaire de l’Europe atlantique comme Bordeaux, Nantes, Rouen/Le Havre, Londres, Rotterdam, Brême et Hambourg

L’image satellite couvre l’endroit même où le Tage, Tejo en portugais - étalé ici dans la mer de Paille, une « petite Méditerranée » de près de 200 km² - s’engouffre dans un large goulet d’une douzaine de kilomètres de long et de 2,5 kilomètres de large qui ouvre le fleuve sur l’océan Atlantique. Le Tage est le plus long des quatre grands fleuves du versant atlantique de la péninsule Ibérique. Comme le rappelle un poème de Fernando Pessoa, « le Tage descend d’Espagne et le Tage se jette dans la mer au Portugal ». Pour être plus précis, il prend sa source dans la Sierra de Albarracín, à l’est de Madrid, puis traverse la péninsule d’est en ouest sur 1.120 kilomètres, dont 275 km au Portugal.

Un centre historique au bord du fleuve

La forte densité du bâti sur la rive droite est le résultat d’une littoralisation engagée depuis plusieurs siècles. La ville de Lisbonne s’est développée à partir d’un promontoire d’une centaine de mètres transformé en un site défensif et occupé actuellement par le château São Jorge. La croissance de la ville s'est donc faite le long des pentes, depuis la colline du château jusqu'aux berges du Tage.

A partir du XVe siècle, les voyages de découvertes vont restructurer l’espace urbain (voir zoom 1) et les élites quittent les collines pour la partie basse de la ville. Le roi Manuel I décide d'édifier son nouveau palais (1500-1504) au bord du Tage, sur la place nommée aujourd'hui du Commerce ; la vaste place carrée au sol gris ouverte sur le fleuve sur l’image satellite. Ce quartier se transforme ainsi en centre politique et administratif de la ville et du Portugal, en plus de sa fonction commerciale. Dans le même temps, les populations liées à l’activité maritime les remplacent sur les versants qui regardent le Tage, comme dans quartiers de l’Alfama et du Bairro-Alto ; tandis que les populations en marge de ces dynamiques, s’installent dans la Mouraria, dernier quartier du centre ancien. Le nom donné à ce quartier rappelle ainsi qu’il fut occupé par les Maures suite à la conquête de Lisbonne par D. Alfonso Henriques en 1147.

Aujourd’hui, les quartiers du Bairro Alto, Baixa-Chiado, Alfama et Mouraria correspondent au centre ancien de Lisbonne ; ce sont ces quartiers qui ont été depuis une vingtaine d’années largement transformés en vitrine touristique de la ville. Parmi eux, le quartier de la Baixa, la ville basse, qui se démarque sur l’image avec son plan en damier, porte en lui l’héritage, comme le précise G. Quenet, d’un « événement monstre », que ce soit d’un point de vue géologique, politique ou philosophique. Le tremblement de terre de 1755 a en effet profondément marqué le devenir de la ville de Lisbonne car c’est sa zone centrale qui a le plus souffert de la catastrophe (voir zoom 2) et sa reconstruction va accélérer la création d’un axe d’urbanisation vers le nord et l’intérieur des terres.

Une extension préférentielle vers le Nord à partir du XIXème siècle

La conquête de « l’arrière-pays » lisboète a pu notamment s’effectuer à partir d’un large boulevard arboré de 90 mètres de large et de plus d’un kilomètre de long situé entre le nord de la ville basse et le parc Edouard VII. Il s’agit ici de l’Avenida da Liberdade, construite entre 1879 et 1886, à l’image des grands boulevards parisiens. L’extension de la ville en direction du nord s’est poursuivie au XXème siècle, à l’époque de l’Estado novo, avec la construction de plusieurs quartiers de logements sociaux dans les années 1930, dont le plus important est celui d’Alvalade. C’est également durant cette période qu’est crée le parc Monsanto, plus grand parc forestier de la ville, d'une surface arborée de 1.000 ha que l’on repère aisément sur l’image au nord ouest du centre-ville.

Toutefois, la ville de Lisbonne continue de s’étendre sur l’axe préférentiel Est-Ouest le long du Tage et le quartier de l’Alcântara, situé aujourd’hui sous le pont du 25 avril. Zone rurale jusqu’au XVIIIem siècle, cet espace s’industrialise en accueillant des ateliers de teinturerie et des tanneries. Avec l’aménagement des docks d’Alcântara en 1887, ce quartier devient peu à peu un des pôles d'activité de l'ouest de la ville. Dès lors, développement économique et révolution des transports déclenchent un puissant courant migratoire, largement alimenté par l’exode rural, vers la capitale. Dans un contexte de rajeunissement de la population, cette Lisbonne en mouvement voit sa population tripler entre 1860 et 1935, alors qu’en 1864, selon le premier recensement général, 165.000 habitants vivaient à Lisbonne.

Une dilution de Lisbonne dans son aire métropolitaine

A partir des années 1950, ce sont les banlieues qui connaissent une véritable explosion. La rive sud accueille 110 000 habitants dans les années 1960 et 185.000 dans la décennie 1970. À partir de 1981, la banlieue regroupe près de 67 % de la population de l'agglomération et la ville de Lisbonne perd environ 1/3 de sa population entre 1981 et 2011 en passant de 800 000 habitants à 550 000 habitants. La densité de population dans la ville de Lisbonne est ainsi passée de 9482 à 6446 habitants habitants/km² entre 1960 et 2011 (- 32 %). Désormais, la commune la plus densément peuplée n’est plus la ville-centre mais la municipalité d’Amadora située au nord ouest de Lisbonne (7 363 hab./km² en 2011).

Au final, l’aire métropolitaine de Lisbonne – AML - s'étend sur les deux rives du Tage que relient deux gigantesques ponts et de nombreuses navettes fluviales. Seul le pont suspendu du 25 avril est visible sur l’image satellite puisque le pont Vasco de Gama inauguré à l’occasion de l’exposition universelle en 1998 se trouve plus à l’est. Composée de 18 municipalités, 9 au nord du Tage et 9 au sud, elle couvre 3015 km² – soit seulement 3,3 % du territoire portugais - et s’étend de Mafra au nord à Setùbal au sud, de Cascais à l’ouest à Montijo à l’est. L’image satellite couvre donc la partie centrale de l’aire métropolitaine de Lisbonne et la rive gauche ou sud occupée par une partie de la municipalité d’Almada (175.030 hab. en 2011) située dans la proche banlieue de Lisbonne au nord de la péninsule de Setubal.

Du « Tage coupure » au « Tage couture » : une métropole sur les deux rives

Une croissance urbaine récente sur la rive Sud

Si le Tage a pu représenter une barrière entre les deux rives expliquant en partie une occupation plus limitée du littoral de la rive Sud, l’outra banda, celle-ci s’est largement transformée au cours du XXème siècle.

L’occupation moins dense et moins organisée visible sur cette partie de l’image est le résultat d’une urbanisation en partie illégale qui s’est accélérée dès les années 1950 quand les périphéries de Lisbonne ont accueilli de nombreux ruraux venant des campagnes pauvres et les émigrés en provenance des anciennes colonies portugaises alors que l’Empire colonial portugais (Angola, Mozambique, Guinée Bissau) s’effondre en 1975 après des décennies de combats sanglants et la Révolution des Œillets du 25 avril 1974 qui balaye la dictature salazariste  au pouvoir depuis 1933.

Cela s’est traduit notamment par la construction illégale de petites maisons autoconstruites appelées barracas de moins en moins visibles dans les paysages de la rive sud aujourd’hui. La municipalité d’Almada a ainsi connu une forte croissance démographique après 1950 puisque sa population est passée de 71.000 habitants à 150.000 habitants entre 1960 et 1981. En 1966, l’inauguration du Pont du 25 avril, premier pont à 2x2 voies reliant les deux rives du Tage à Lisbonne, a joué un rôle évident dans cette dynamique. L’importance de l’habitat collectif surtout visible à l’est en retrait du chantier naval mais également individuel à l’ouest de l’autoroute A2 pourrait laisser penser qu’Almada est une banlieue dortoir de la première couronne autour de Lisbonne.

Un passé industriel fortement visible dans les paysages actuels

Toutefois, des entrepôts et des usines de transformation (conserverie de poissons), coincés entre la falaise et le Tage, étaient déjà présents au début du XXè siècle le long des quais de Ginjal et, surtout, des transferts d’activités entre la rive nord et sud ont eu lieu bien avant l’ouverture du pont suspendu.

Des industries ont ainsi été implantées, faute de place sur la rive nord, et ont servi de noyaux de fixation aux populations ouvrières. Ainsi, sur le littoral d’Almada, se succèdent du nord au sud un ancien chantier naval, une des grandes bases navales de la Marine portugaise et un arsenal. L’arsenal d’Alfeite est implanté à Almada en 1938 suite à la fermeture de l’arsenal de la marine - anciennement ribeira das naus - situé à proximité de la place du commerce sur la rive nord. Il sert notamment à construire et réparer les navires de guerre de la marine portugaise. Cet arsenal est englobé dans la base navale de Lisbonne qui regroupe, à côté de l’Ecole navale, la quasi-totalité des navires de la marine d’un pays membre de l’OTAN stationnés le long des quais sur l’image.

Enfin, la pointe de Cacilhas est longée par un chantier naval qui fut un des plus grands chantiers navals du monde, propriété de l’entreprise Lisnave - Estaleiros Navais de Lisboa - de 1967 à 2000. Spécialisé notamment dans la construction et la réparation de super-pétroliers, ce chantier a pu employer jusqu’à 10.000 ouvriers dans les années 1970 avant de décliner face à la concurrence asiatique. Depuis 2000, ces terrains ont été abandonnés et la Lisnave a recentré sa production plus au Sud à Setùbal. Les heures de gloire du chantier naval sont rappelées dans le musée naval réalisé dans un ancien bâtiment de la Compagnie portugaise des pêches à Olho-de-Boi et les terrains libérés devraient faire l’objet d’une vaste requalification dans les prochaines années (voir zoom 4).

Un port sur les deux rives d’une grande métropole de l’Atlantique

A une autre échelle, la rive Sud du Tage accueille quelques terminaux du port de Lisbonne atomisé en une vingtaine d’installations sur les pourtours de la mer de Paille. Ainsi, à l’ouest du pont du 25 avril, l’image laisse découvrir le terminal de Palença spécialisé dans les vracs alimentaires et, un peu plus loin, le terminal de Banàtica spécialisé dans les hydrocarbures alors que des traces du démantèlement du terminal d’hydrocarbures de port Brandao sont visibles plus à l’ouest.

L’essentiel des terminaux du port de Lisbonne se concentre donc sur la rive nord. Sur cette rive, les bassins, les bassins de radoub et les quais se succèdent sur une quinzaine de kilomètres de long et sont de plus en plus entrecoupés par des espaces de loisirs (voir zoom 3). La rive nord rassemble notamment la majeure partie du trafic de conteneurs du port dans les terminaux d’Alcântara et de Santa Apolónia, reliés au reste du pays par des lignes ferroviaires spécialement dédiées. Sur l’image, les différentes installations portuaires qui s’organisent en bandes parallèles aux berges du Tage prouvent l’intensité de l’occupation de l’espace notamment dans le quartier de l’Alcântara, où le bassin pour les navires de plaisance est situé derrière les quais réceptionnant les conteneurs.

Une diversification des fonctions sur la rive Sud…

La rive sud ne se résume plus à sa seule fonction industrielle fortement littoralisée. En effet, on peut repérer aisément une diversification relativement récente des fonctions liée notamment à la très bonne accessibilité d’Almada au sein de l’AML. Ces nouvelles fonctions se concentrent surtout à l’ouest de l’autoroute A2 reliant Lisbonne au sud du Portugal.

Ainsi, à l’extrémité occidentale de l’image, la faculté des Sciences et technologie de l’Université nouvelle de Lisbonne inaugurée en 1977 rappelle qu’Almada est désormais le deuxième pôle universitaire de l’aire métropolitaine accueillant environ 12 000 étudiants. De plus, à l’ouest du péage situé sur l’A2 est implanté l’hôpital Garcia de Orta, infrastructure majeure de santé pour la population de la péninsule de Setúbal. La fonction commerciale est également visible au sud ouest de l’échangeur entre l’A2 et l’A38 - qui relie Almada aux plages de la côte de Caparica - avec le troisième centre commercial du Portugal, Almada forum, inauguré en 2002.

… et une augmentation des mobilités qui témoignent d’une intégration accrue dans le fonctionnement métropolitain lisboète

Aujourd’hui, 52 % des habitants d’Almada travaillent dans cette ville et 46 % à Lisbonne. Plus largement, on estime que plus de 500 000 personnes entrent et sortent de la capitale portugaise chaque jour. Les mobilités pendulaires ont ainsi largement augmenté entre les deux rives, ce qui a contraint les autorités à multiplier les solutions de franchissement du Tage.

En 1998, le pont du 25 avril est élargi à 2x3 voies routières et, depuis 1999, une voie de chemin de fer passe sous le tablier du pont permettant à des trains de banlieue gérés par l’opérateur Fertagus de relier Setùbal à Lisbonne en 57 minutes. Associée à un grand parking de stationnement, la gare de Pragal, dernière gare de la rive sud avant le franchissement du Tage, se repère aisément sur l’image au nord ouest de l’échangeur autoroutier. Elle permet aux habitants de la rive sud de bénéficier d’une bonne connexion avec les gares de Lisbonne situées non plus dans le vieux centre mais à la hauteur des Avenidas Novas. De plus, les ferrys de la compagnie Transtejo relient également les deux rives entre Cais do Sodré et Cacilhas (6,5 millions de passagers en 2018) et Belém et Trafaria (362.000 passagers en 2018).

Toutefois, en moyenne, 160.000 véhicules continuent de traverser quotidiennement le pont du 25 avril alors que sa capacité était plutôt évaluée pour un trafic de 80.000 véhicules. De fait, en raison des difficultés de circulation entre les deux rives, un projet de tunnel sous le Tage reliant plus à l’ouest du goulet Trafaria en rive sud à Algés en rive nord a été récemment présenté. On le voit, Lisbonne se pense désormais à l'échelle régionale et la remise en cause de l'hégémonie du centre s'accompagne du développement de nouveaux pôles de commerce et de service comme Almada sur la rive Sud. Cette dilution des fonctions dans l’AML tranche radicalement avec les pressions liées au tourisme qui s’exercent surtout dans le centre historique de Lisbonne.

« Bye Bye Lisboa ? » (L. Mendes) : un centre-ville face aux conséquences de la mise en tourisme

Lisbonne, une grande métropole touristique

En 1874, le journaliste français Charles Monselet écrit dans son ouvrage Les Souliers de Sterne, récits et tableaux de voyage : « Je préfère vous dire en somme quelle noble et brillante allure de grande capitale a cette Lisbonne, peu connue des touristes, même des touristes anglais ». Les deux bateaux de croisières stationnés au terminal de croisières situé à la hauteur du quartier de l’Alfama et inauguré en 2017 montrent que la situation a bien changé. En 2018, 540.000 croisiéristes avaient fait escale à Lisbonne et l'édifice pourrait recevoir, à l’avenir, jusqu'à 1,8 million de visiteurs par an.

Toutefois, cet indice de la présence de touristes dans les rues de Lisbonne ne doit pas faire oublier que les aéroports sont la porte d’entrée quasi-exclusive des touristes étrangers au Portugal et notamment à Lisbonne où l'aéroport Humberto Delgado, situé juste au nord de l’image, a dépassé la barre des 31 millions de passagers en 2019. L’année précédente, 5,2 millions de touristes étrangers ont visité la capitale portugaise sur un total de 7,4 millions de visiteurs (70 %). Or, cette augmentation du nombre de touristes, mais également d’étudiants étrangers qui visitent ou vivent à Lisbonne, a entraîné des changements significatifs dans son économie, son image et son environnement social.

La promotion d’un riche patrimoine matériel et immatériel

Dans un contexte de concurrence internationale, la capitale portugaise reconnaît dans la culture et dans le patrimoine urbain un moyen de se différencier par rapport aux autres villes pour capter un nombre de touristes toujours plus important et développer des stratégies d’attraction de nouveaux résidents et investisseurs. En diffusant les normes internationales et en valorisant le jeu du marketing urbain, l’adhésion du Portugal à la CEE en 1986 a accéléré cette attraction. Trois ans auparavant, le classement de l’ensemble de Belém parmi les premiers monuments portugais retenus sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO rappelait l’importance des grandes découvertes dans l’histoire de la ville et du pays (voir zoom 1).

De manière générale, l’étude du processus de patrimonialisation à Lisbonne est intéressante à plusieurs niveaux. Il montre notamment que le classement d’un bien sur la liste tant convoitée de l’UNESCO peut être très long. En effet, cela fait désormais plus de quinze ans que la municipalité cherche à classer une partie de son centre-ville historique reconstruit après le tremblement de terre de 1755 (voir zoom 2). En attendant, la capitale portugaise a bénéficié d’une évolution récente de la conception du patrimoine mondial.

Même s’il est difficile de l’entendre s’échapper des rues de Lisbonne sur l’image, le fado, chant populaire urbain du Portugal, a ainsi été proclamé Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité en 2011. Dix ans auparavant, le corps de la « Diva du fado », Amália Rodrigues, était transféré au Panthéon national situé entre les murs de l’ancienne l'église de Santa Engrácia, reconvertie à cet effet en 1916. Ce bâtiment est classé sur la liste des monuments nationaux portugais comme 801 autres monuments dans le pays. Depuis 2015, Amália Rodrigues fait également partie du « patrimoine matériel de la ville » puisque l’artiste local Vhils a réalisé son visage sur le sol de la petite place de la rue de Sao Tomé dans le quartier de l'Alfama. Cette œuvre a été créée avec des petits cubes de pierre pour rendre hommage aux techniques utilisées par les artisans paveurs, maîtres de la "calçada portuguesa", la chaussée à la portugaise. La mairie de Lisbonne a soutenu et financé le projet dans le cadre d’un service municipal créé en 2008 entièrement dédié à l'expression artistique dans l'espace public : la galerie d'art urbain (GAU). Celle-ci est une composante importante de la politique culturelle métropolitaine puisque sa gestion est intégrée au département du Patrimoine Culturel de Lisbonne, inscrit lui-même au sein du budget culturel de la ville.

On le voit, la ville de Lisbonne est un cas éclairant pour illustrer l’intensification du processus de patrimonialisation (voir zoom 5) et, dans cette dynamique, le rôle des pouvoirs publics a été déterminant. Dans les années 2000, cette valorisation patrimoniale est liée à une stratégie municipale de promotion urbaine ciblant les domaines du tourisme, de l’entrepreneuriat et de l’immobilier. Ceci a débouché en 2009 à la création de la « marque Lisbonne », qui, pour J. Galhardo, vise à « identifier une singularité urbaine qualifiante à partir d’un patrimoine (matériel, immatériel ou paysager), d’une manière de vivre et d’une ambiance ancrée sur une inclusion sociale dans les quartiers populaires historiques (Alfama, Bairro Alto, Mouraria etc.) ». Pour lui, l’argument patrimonial a même contribué à réinventer l’histoire du quartier de la Mouraria où l’invention du mythe d’un ghetto maure a permis aux associations locales de présenter une image du quartier où les cultures se sont toujours mêlées dans le centre ancien.

Une concentration de problèmes liés à la touristification du centre de Lisbonne

A l’échelle locale, les mutations liées à cette touristification et à cette patrimonialisation, difficilement mesurables sur une image satellite, concernent avant tout les quartiers du centre ancien de Lisbonne : l'Alfama, le Bairro Alto, la Baixa-Chiado et la Mouraria. Lisbonne compterait ainsi 15.000 logements placés sur les plateformes de location de courte durée comme AirBnB et environ un tiers des logements des quartiers historiques du centre-ville sont consacrés à l’activité touristique.

Ces évolutions provoquent une augmentation des prix et l’accès aux logements est rendu plus difficile pour les populations les plus vulnérables économiquement. Des associations comme « Stop despejos » (« Stop expulsions ») ou « Morar em Lisboa » (« Vivre à Lisbonne ») dénoncent les effets d’une gentrification touristique qui transforment les usages résidentiels, commerciaux et de l’espace public des quartiers précédemment cités.

Face à ces évolutions, il est intéressant de mentionner que le premier forum des maires sur le tourisme urbain responsable, organisé par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), a eu lieu dans la capitale portugaise en 2019. A l'issue du forum, les participants ont adopté une Déclaration dite de "Lisbonne" sur le tourisme urbain durable qui vise notamment à améliorer l'intégration des communautés locales dans la chaîne de valeur du tourisme, favoriser les pratiques durables et veiller à ce que la politique du tourisme favorise l'engagement des communautés locales de manière holistique.

La même année, l'agence gouvernementale portugaise donnait son feu vert au projet d'un aéroport supplémentaire desservant Lisbonne. Une estimation de 2018 précisait ainsi que la saturation de l'aéroport de la capitale coûtait au Portugal environ un million de touristes par an. Le nouvel aéroport doit voir le jour en 2022 sur la rive sud du Tage dans la commune de Montijo, sur un site occupé par une base militaire aérienne. La croissance du tourisme contribuerait ici à rapprocher les deux rives du fleuve même si les flux touristiques se concentrent quasi exclusivement sur la rive droite. D’après le Plan stratégique pour le tourisme de la région de Lisbonne 2020-2024 présenté en 2019, le développement touristique de la rive sud doit être encouragé. Les projets de requalification mentionnés plus haut participeront peut-être à cette évolution (voir zoom 4).

 

Zooms d’étude

 

Belém : un héritage de la global city endormie classé au patrimoine mondial de l’UNESCO

La valorisation des Grandes Découvertes

Sur l’image, à l’extrémité ouest de la rive droite, au bord du Tage, l’ombre du monument aux Découvertes couvre en partie une rose des vents disposée au sol d’une envergure de 50 mètres avec un planisphère de 14 mètres de diamètre situé en son centre. Sur celui-ci ont été placées des caravelles qui rappellent les principales routes maritimes empruntées entre le XVème et le XVIème siècles par les navigateurs portugais. Comme le précise Cécile Mermier, « c’est là (…) qu’au début du XVème siècle le Moyen Age bascula. En moins d’un siècle, les deux extrémités de la Terre furent reliées à Lisbonne, devenant la première ville-monde à l’échelle de la planète ».

Ce lien avec le monde est recréé en 1983 quand l’UNESCO décide de classer sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité deux monuments représentatifs de cette période : la tour Belém - située un peu plus en aval, donc hors image - et le monastère des Hiéronymites qui se trouve à une centaine de mètres au nord de la rose des vents. Notons que ces deux monuments étaient déjà classés comme monuments nationaux au Portugal par un décret de 1907. Fondation royale de la fin du XVe siècle, le monastère est une commande du roi Manuel Ier qui en fit don aux moines hiéronymites conviés à apporter un réconfort spirituel aux navigateurs qui quittaient Lisbonne à la conquête du Nouveau Monde.

Vers 1514, la construction de la tour de Belém commémora l’expédition de Vasco de Gama et servit également à défendre le port de Lisbonne. Comme le Portugal a ratifié la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l’UNESCO en 1980, l’ensemble de Belém fait partie des premiers monuments classés par l’organisme onusien sur le sol portugais (trois autres monuments portugais ont été classés en 1983) au titre notamment du critère 3 (« apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue »). Ainsi, pour l’UNESCO, « le monastère des Hiéronymites et la tour de Belém constituent le témoignage unique et exceptionnel d’une civilisation et une culture des XVe et XVIe siècles. Ils reflètent la puissance, le savoir et le courage du peuple portugais à l’époque où il consolide sa présence et son activité sur les routes de commerce intercontinentales. »

L’ombre de Salazar à Belém

En 1940, ce « génie national » avait été célébré par le pouvoir dictatorial salazariste lors de la grande « Exposition du Monde portugais » qui a lieu précisément à Belém le long du quai du Restelo où, en juillet 1497, Vasco de Gama avait appareillé pour les Indes. Pour C. Gonçalves, cette exposition sert à « célébrer en grandes pompes les huit cents ans de la fondation du Portugal par Dom Afonso Henriques (1140), les trois cents ans de la Restauration de l’Indépendance (1640) et l’oeuvre « régénératrice » entreprise par Salazar. » Si la plupart des bâtiments ont été détruits après les festivités, cette exposition a laissé des traces visibles sur l’image et notamment la place de l’Empire, et sa fontaine qui arbore les écussons et les armes des provinces et régions portugaises d'outre-mer, et le monument aux Découvertes.

Construit à l’origine en bois, ce monument a été reconstruit en pierre calcaire et béton armé en 1960 lors des commémorations des 500 ans de la disparition de l’infant Henri le Navigateur, véritable initiateur de l'empire colonial portugais. Celui-ci est représenté à l’extrémité du monument en forme de pointe de caravelle et montre le chemin à de nombreux personnages liés aux grandes découvertes au Portugal. C’est à l’occasion de ces commémorations que l’Afrique du Sud, pays invité, a offert la rose des vents présentée plus haut.

Une centralité culturelle et politique à l’ouest du centre historique de Lisbonne

Plus largement, le classement à l’UNESCO de l’ensemble de Belém a nettement profité à Lisbonne puisque le monastère et le tour de Belém accueillent de nombreux visiteurs (plus d’un million pour le monastère depuis 2016) et l’iconographie touristique de la ville s’appuie amplement sur ceux-ci.

De plus, de nombreux musées ont été installés dans le quartier de Belém depuis les années 1990 faisant de cet espace une centralité culturelle évidente à l’ouest du centre-ville de Lisbonne : musée de l’électricité en 1990, centre culturel de Belém en 1992 construit pour les festivités liées au titre de capitale européenne de la culture en 1994, nouvel édifice pour le musée des Carrosses – le vaste rectangle blanc parallèle à la rive du Tage - en 2015, Musée de l’Art, de l’Architecture et de la Technologie (MAAT) en 2016). Belém est également une centralité politique pour le Portugal puisque la résidence officielle du président de la République portugaise se trouve dans le Palais national de Belém situé juste à côté du jardin botanique tropical classé au titre de Monument national depuis 2007.

 


Repères géographiques

 

 

 

Du tremblement de terre de 1755 au
terramotourism : le quartier de la Baixa Pombalina bientôt classé à l’UNESCO ?

La Baixa, quartier des Lumières reconstruit après le tremblement de terre de 1755

Sur l’image satellite, les rues perpendiculaires de la Baixa qui ont remplacé les rues tortueuses de la Lisbonne médiévale après le tremblement de terre du 1er novembre 1755 se repèrent aisément dans le centre historique. Dans la notice de son plan de Lisbonne  réalisé en 1821, le cartographe Marie-Antoine Calmet-Beauvoisin mentionna que « la catastrophe de 1755 fut le signal de son embellissement ».

Curieuse remarque quand on sait que le tremblement de terre, suivi d’un incendie, a fait disparaître le Palais Royal, la Maison de l’Inde, les palais de l’aristocratie ou encore l’Opéra Nouveau qui étaient alors en construction. En fait, l’embellissement a surtout été pensé par le ministre du roi Joseph Ier, le Marquis de Pombal - dont une statue orne une grande place à son nom dans la ville - qui ordonna un projet de reconstruction rapide dessiné par trois ingénieurs militaires : Manuel da Maia, Carlos Mardel et Eugénio dos Santos.

La Baixa, ancien centre lisboète

La Baixa ou “Baixa Pombalina” pour rendre hommage à Pombal, fut reconstruite selon un plan en damier rectiligne qui s’ordonne à partir de la vaste place du Commerce, entrée de prestige de cette capitale d’Empire. La rapide reconstruction s’est traduite par l’éviction des grands propriétaires (la noblesse et le clergé) et la Baixa est devenue un quartier d’immeubles de logements de rapport. Elle s’affirme alors comme le véritable centre de Lisbonne, lieu de pouvoir, de commerce et de la finance. Cette réflexion sur la reconstruction de la ville liée à une implication directe de l’État et des commerçants contribue au début d’une conscience de l’urbain. Pour la première fois, la production en série est utilisée avec la normalisation de certains éléments (fenêtres, balcons aux premiers étages, marches et parties intérieures revêtues d’azulejos) et les bâtiments sont même dotés d’un système antisismique, la “gaiola” (cage), structure en poutres de bois croisées sur laquelle sont dressés des murs.

Toutefois, avec les extensions urbaines de la ville vers le nord au XIXè et XXè siècles, les quartiers centraux comme la Baixa et les collines d’habitat ancien qui l’entourent ont été plus ou moins ignorés. Même si l’ensemble de la Baixa a été classé au titre du patrimoine culturel de la ville en 1978, une partie des bâtiments du quartier se sont dégradés. De plus, les activités tertiaires ont largement remplacé la fonction résidentielle ce qui a provoqué des mutations considérables dans les espaces intérieurs notamment. Après des années d’immobilisme, un plan de sauvegarde de la Baixa a été approuvé en 2011 qui vise à concilier conservation patrimoniale et régénération économique, sociale et culturelle.

La Baixa, un site bientôt classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ?

Cet interventionnisme tardif semble être une réaction à l’échec du classement de la Baixa sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO qui avait été proposé en 2005. A l’instar de Porto, qui a réussi à classer son centre historique sur cette liste en 1996, Lisbonne cherchait alors à renforcer sa plus value à l’échelle mondiale et a valorisé son centre-ville touristique. Depuis, la municipalité de Lisbonne a maintenu sa candidature à l’UNESCO sous le nom de « Lisbonne pombaline » et a même proposé une nouvelle candidature en 2016 intitulée « Lisbonne historique, ville globale » pour classer le quartier de la Baixa et ses environs en tant que paysage urbain historique.

C’est cette dernière candidature qui a été classée sur la liste indicative de l’UNESCO en 2017 mais, en 2019, c’est un autre monument de l’AML, le palais de Mafra, situé à 25 kms au nord de Lisbonne, qui a été classé sur la liste du patrimoine mondial. On le voit, dans le cadre des projets de régénération urbaine, le patrimoine officie en tant que vecteur identitaire des territoires mais aussi en tant que témoin de leur profondeur historique.

Dans le même temps, les transformations se poursuivent dans la Baixa et se traduisent notamment par une augmentation de la capacité d’accueil touristique. Les hôtels, auberges et appartements destinés à accueillir des touristes peuvent désormais recevoir environ 4000 touristes dans la Baixa et des opérations de prestige favorisent le tourisme haut de gamme. En 2020, le groupe israélien Leonardo Hotels a ainsi annoncé qu’il allait transformer le couvent Corpus Christi en un nouvel hôtel 4 étoiles composé de 130 chambres.

 


Repères géographiques

 

 

 

A la reconquête du Tage : une opération de «riverfront» en cours sur la rive droite

La grande opération de waterfront menée ces dernières années à Lisbonne n’apparaît malheureusement pas sur l’image. En effet, au nord-est de la ville, le parc des nations, réalisé pour l’accueil de l’exposition de Lisbonne (1998), a entraîné l’aménagement d’anciennes friches portuaires et industrielles au bord du Tage. Cette opération a clairement contribué à repenser les liens entre la ville de Lisbonne et le fleuve.

Comme il a été précisé plus haut, l’activité portuaire n’a pourtant pas disparu de la rive droite mais, par « touches successives », on note sur l’image un rapport évolutif entre les Lisboètes et la mer de Paille. La rive droite du Tage est ainsi devenue un espace de loisirs et de consommation surtout entre le nouveau terminal de croisières situé à l’Est et le nouveau Musée de l’Art, de l’Architecture et de la Technologie (MAAT) inauguré en 2016 dans le quartier de Belém. A l’est de cette section et à l’ouest de la place du commerce, les anciens chantiers navals de la Ribeira das Naus sont occupés depuis 2013 par une promenade et des pelouses qui se distinguent aisément sur l’image. Un peu plus à l’ouest, une piste cyclable relie sur 7 kilomètres le long du Tage le Cais do Sodré au quartier de Belém et, à la hauteur du pont du 25 Avril, les anciens quais et entrepôts des docas d’Alcântara accueillent désormais de nombreux restaurants, cafés et discothèques.

Comme le précisait M. Giroud « avec sa vue dégagée sur le fleuve, l’endroit est idéal pour flâner, paresser, lire, faire du vélo ou prendre un café au kiosque. Comme une sorte de plage en plein Lisbonne. » Enfin, la rive droite accueille également de nouveaux établissements culturels de prestige. Ainsi, dans le quartier de Belém, en prolongement du musée de l’électricité, il est possible d’identifier le toit ondulé blanc du MAAT dans lequel les eaux du Tage se reflètent. Ainsi, à Lisbonne, le marketing territorial ne se limite pas seulement à la valorisation du patrimoine mais s’applique également aux opérations d’urbanisme destinées à changer l’image de la ville.

Notons que cette politique de « riverfront » se poursuit actuellement et la doca da marinha, bassin qui était réservé à la marine portugaise situé juste à l’est de la place du commerce, devrait-elle aussi être transformée en promenade dans un futur proche. Sur l’image, il est clair que les transformations de la rive droite tranchent radicalement avec l’immobilisme visible sur l’outra banda qui offre pourtant de magnifiques vues sur le centre de Lisbonne.

 


Repères géographiques

 

 

 

Une « ville d’eau » - cidade da agua - bientôt
sur la rive sud du Tage ?

Un portique au milieu d’un chantier naval abandonné

Facilement repérable sur l’image au cœur des anciens chantiers navals de la Lisnave, le portique rouge de 90 mètres de haut et de 300 tonnes est un symbole marquant dans le paysage d’Almada visible depuis les miradors du centre de Lisbonne. Ce portique est également devenu un élément structurant et incontournable sur les images de synthèse du projet « cidade da agua », présenté comme la plus grande opération de waterfront à Lisbonne depuis la création de l’Expo 98 sur la rive droite.

Ce méga projet est la dernière proposition de réhabilitation des anciens chantiers navals laissés à l’abandon depuis 2000. Paradoxalement, même si ces terrains sont bien situés à 8 minutes en bateau du centre-ville de Lisbonne et offrent une magnifique vue sur celui-ci, aucune trace de transformation en cours n’est visible sur l’image satellite qui date de 2018. Et pourtant, dès 1999, avant même la fermeture des chantiers de la Lisnave, le projet immobilier « Manhattan de Cacilhas » devait permettre le développement d’une vaste cité des affaires avec des tours de plus 300 mètres de haut. Face aux dimensions pharaoniques de cet aménagement et à la résistance d’une partie de la population locale, un consortium luso-britannique proposa, au milieu des années 2000, la création d’un ensemble urbain légèrement plus modeste pouvant accueillir plus de 10.000 habitants dans des bâtiments ne dépassant pas 35 étages.

Une nouvelle ville bientôt face au centre de Lisbonne ?

L’année 2009 marque une nouvelle étape dans ce vaste projet de réhabilitation. Celui-ci est désormais piloté par l’entreprise publique Baía do Tejo (« Baie du Tage ») spécialement créée pour réhabiliter d’anciens terrains industriels sur la rive sud non seulement à Almada mais également à Barreiro et Seixal, deux communes situées plus à l’est. De plus, la même année, un plan d’urbanisation, appelé Almada Nascente, est adopté par la municipalité d’Almada pour fixer les modalités d’intervention sur cette partie précise de la commune.

A terme, le projet « cidade da agua » doit aboutir à la construction de 630 246 m2 destinés à plusieurs usages : habitation, commerces et services, espaces culturels mais également transport puisqu’un nouveau terminal fluvial intermodal doit renforcer les liaisons par bateau entre les deux rives. Depuis plusieurs années maintenant, l’entreprise Baía do Tejo fait la promotion de la « Lisbon south bay » avec le slogan « The atlantic way of business » auprès d’éventuels investisseurs portugais et surtout étrangers (chinois, indiens, qataris…) qui enchainent les visites le long des quais désaffectés. Pour les convaincre d’investir à Lisbonne, cette entreprise n’hésite pas à s’inspirer des politiques de réhabilitation menées ailleurs en Europe.

 Ainsi, en 2017, une délégation portugaise a rencontré des responsables politiques à Liverpool pour échanger sur la politique de waterfront menée depuis les années 90 le long du fleuve Mersey. Comme le précisait alors Sérgio Saraiva, responsable chez Baía do Tejo, « l’objectif est de transformer l’aire métropolitaine de Lisbonne en une grande métropole sur les deux rives ouvertes sur l’océan Atlantique ».

 


Repères géographiques

 

 

 

Le pont du 25 avril : un géosymbole lisboète en cours de patrimonialisation

Le pont du 25 avril : un lien majeur entre les deux rives du Tage

A l’instar d’autres ponts dans le monde comme le Golden Gate de San Francisco, le pont du 25 avril est un repère évident à Lisbonne. Depuis 1974, son nom est associé à un événement majeur du XXème siècle pour le Portugal : la Révolution des œillets qui mit fin à la dictature salazariste. Le 6 août 1966, c’est pourtant bien Salazar, installé dans sa Mercedes blindée, qui inaugure ce pont livré après 45 mois de travaux. L’ancien « pont Salazar » est l’aboutissement d’une réflexion qui avait commencé 90 ans plus tôt puisque le premier projet pour franchir le fleuve à Lisbonne fut présenté en 1876. Depuis cette date, une douzaine d’autres propositions avaient été dévoilées par des ingénieurs portugais ou étrangers.

Mais, au début des années 1960, la nécessité d'un pont de franchissement du Tage à Lisbonne devient urgente pour améliorer les mobilités au sein d'une agglomération qui se développe sur les deux rives et pour faciliter les relations entre la capitale et le Sud du Portugal. Ce pont symbolise également la modernisation tardive du Portugal. En raison de l’intensité du trafic maritime dans le goulet, l’American Bridge Company réalise un pont suspendu avec deux piles qui reposent dans le Tage comme on peut le voir sur l’image. D’une longueur totale de 2278 m, ce pont possède ainsi un tablier suspendu à 70 mètres au-dessus des eaux moyennes du Tage et surplombe, sur la rive droite, le quartier de l’Alcântara pour connecter l’autoroute A2 au réseau autoroutier du nord de l’AML et du pays.

Le pont du 25 avril : un témoin de la touristification et de la patrimonialisation à Lisbonne

A l’échelle locale, le pont du 25 avril participe à la densification de l’écoumène touristique lisboète. En effet, depuis 2017, la nouvelle attraction touristique « Pilar 7 » permet aux touristes de bénéficier d’une vue spectaculaire sur la ville de Lisbonne (et sur les véhicules qui traversent le pont…) depuis un belvédère panoramique situé à 80 mètres de haut construit sur le 7ème pylône du pont dans le quartier de l’Alcântara. Le pont est également traversé tous les ans par les participants au semi-marathon de la ville qui partent du péage d’Almada situé sur la rive sud.

Au final, le pont du 25 avril est considéré comme un des ouvrages de génie civil les plus marquants de Lisbonne et du Portugal. Dès lors, la Direction Générale du Patrimoine Culturel (DGPC), responsable de la gestion du patrimoine culturel dans le pays, a ouvert en 2015 une procédure pour classer le pont du 25 avril. Reste à savoir si ce pont sera placé sur la liste des monuments nationaux portugais.

 


Repères géographiques

 

 

Images complémentaires

 

 

 

L’image complémentaire permet de visualiser les extensions urbaines réalisées à partir du XIXème siècle au nord du centre de Lisbonne. La place du Marquis de Pombal située au sud du parc Edouard VII marque en effet le début de la Lisbonne moderne. Au nord de l’image, de longues et larges avenues forment les Avenidas novas (« avenues nouvelles »), centre des affaires de Lisbonne. A proximité, les jardins du musée Calouste Gulbenkian se repèrent aisément au nord-est du parc Edouard VII tout comme les arènes de Lisbonne, le Campo Pequeno, qui accueillaient à l’origine des spectacles de tauromachie et qui ont été transformées depuis en une vaste galerie commerciale.

 

 

 

 

L’occupation du sol dans l’aire métropolitaine de Lisbonne

Source : https://www.researchgate.net/figure/fig1_260451535

 

Documents complémentaires

D’autres dossiers sur le site Géoimage sur la patrimonialisation

Olivier Ricard :
Etats-Unis - Washington DC : une ville façonnée par et pour le pouvoir, un concentré de puissance
/geoimage/washington-dc-une-ville-faconnee-par-et-pour-le-pouvoir-un-concentre-de-puissance

Hervé Théry : Brésil - Brasília : de zéro à trois millions d’habitants en soixante ans
/geoimage/brasilia-de-zero-trois-millions-dhabitants-en-soixante-ans

Guillaume Jacono : Grèce - Athènes, capitale macrocéphale d’une Grèce au passé glorieux, symbole économique et touristique d’un pays
/geoimage/grece-athenes-capitale-macrocephale-dune-grece-au-passe-glorieux-symbole-economique-et

Dominique Rivière : 
Italie - Rome : la ville éternelle
/geoimage/italie-rome-la-ville-eternelle

Jean-François Arnal : Pays-Bas - Amsterdam, le centre d’une métropole touristique saturée en mutation
/amsterdam-le-centre-dune-metropole-touristique-saturee-en-mutation

Christophe Barthelemy et Marina Pankratova : Russie - Saint Pétersbourg, « fenêtre » maritime » de la Russie, « ouverte sur l’Europe » et l’Océan
/geoimage/saint-petersbourg-fenetre-maritime-de-la-russie-ouverte-sur-leurope-et-locean

Laurent Carroué : Paris : ville-capitale, ville mondiale
/geoimage/paris-ville-capitale-ville-mondiale

Marilyne Dewavrin-Farry : Italie - Venise : une «ville-musée» face à son avenir
/geoimage/venise-une-ville-musee-face-son-avenir


Compléments bibliographiques

Barata Salgueiro, T., Mendes, L. et Guimarães, P. (2017) – “Tourism and urban changes: lessons from Lisbon”, in Gravary-Barbas, M.; Guinand, S. (eds.) – Tourism and Gentrification in Contemporary Metropolises: International Perspectives. Londres: Routledge. pp.255-275.

Galhardo J., (2020) : « Répondre au monde et au lieu : la construction d’une figure janusienne des politiques publiques à Lisbonne », Geotema, n°62.
https://www.ageiweb.it/geotema/wp-content/uploads/2020/05/GEOTEMA_62_15…

Giroud M., (2011) : « Usages des espaces rénovés et continuités populaires en centre ancien », Espaces et sociétés, vol. 144-145.
https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2011-1-page-37.htm

Gonçalves C., (2014) : « Raviver le «roman national» lusitanien. L’exemple de l’Exposition du Monde portugais de 1940 », Diacronie, n° 18.
https://journals.openedition.org/diacronie/1460

Marrou L. (dir.), 2003, Mirer Lisbonne, Les cahiers du Lusotope.

Mendes L. (2020) – “Bye Bye Lisboa: Airbnb, gentrificación turística y crisis de vivienda”, Crítica Urbana, n.º10.
http://criticaurbana.com/bye-bye-lisboa-airbnb-gentrificacion-turistica…

L’atlas du Patrimoine portugais mis à jour régulièrement par la Direction générale du patrimoine culturel (DGPC) :
http://patrimoniodgpc.maps.arcgis.com/apps/webappviewer/index.html?id=7…

La présentation du projet Lisbon south bay : http://www.lisbonsouthbay.com/pt/

Contributeur

Julien Picollier, professeur en classes préparatoires, Lycée Berthollet, Annecy.

L’auteur remercie vivement Louis Marrou pour sa relecture et ses commentaires.