Image satellite de la frontière Corée du Nord - Corée du Sud

Corée du Nord - Corée du Sud : une des frontières les plus fermées et militarisées du monde

Longue de 248 km et suivant approximativement le 38ème parallèle, la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est l’une des plus fermées et militarisées au monde. Fruit de la Guerre froide et de la Guerre de Corée, elle demeure encore aujourd’hui un abcès de fixation des tensions régionales, continentales et mondiales. Ce système frontalier est organisé autour de quatre composantes spatiales emboitées les unes dans les autres : au cœur, la ligne de démarcation militaire (Military Demarcation Line, MDL) qui sert de facto de limite frontalière entre les deux Corées ; la Zone Démilitarisée (DMZ, Demilitarized Zone) d’une dizaine de km de large ; les deux zones de front où sont installés les systèmes défensifs et, enfin, la Civilian Control Line (CCL) qui se déploie entre 5 et 20 km dans la profondeur des arrières. Au total, un système et des dispositifs en tout point exceptionnels, renvoyant à une situation géopolitique et géostratégique elle aussi exceptionnelle.

Image satellite de la frontière Corée du Nord - Corée du Sud

Légende de l'image

Cette image, prise par un satellite Sentinel-2 le 22 juillet 2018,  montre la zone frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud .

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

Présentation de l'image globale

La frontière entre Corée du Nord et Corée du Sud : une Zone Démilitarisée sous haute pression

 

Un espace de bassins et de moyennes montagnes

L’image couvre ici le centre géographique de la péninsule coréenne, qui est située en Asie orientale au contact entre la Chine au nord-ouest, la Russie au nord-est et le Japon au sud-est. Nous sommes ici dans un espace naturel relativement homogène composé de plateaux et de moyennes montagnes aux altitudes maximales de 1 109 à 1 250 m. Ils sont entrecoupés de vallées et de bassins intramontagnards relativement étroits, donnant à la topographie une structure assez confuse.

Deux principales rivières coulent sur l’image, bien repérables du fait des lacs de barrage sur leurs cours. A l’ouest, l’Imjin - qui passe par la ville d’Ichon - est bien visible du fait d’un lac de barrage en forme de serpent à la limite occidentale de l’image. En 2009, la Corée du Sud accusa la Corée du Nord d’avoir lâché brutalement 40 millions de tonnes d’eau dans la vallée de l’Imjin, causant à l’aval des inondations et de nombreuses victimes. A l’est, la Pukhan est elle aussi bien repérable du fait au nord-est d’un premier lac de barrage aux ramifications nombreuses (Corée du Nord) puis d’un second lac de barrage dans l’angle sud-est de l’image (Corée du Sud).

Du fait de la dissymétrie de la topographie de la péninsule dans sa zone centrale, ces puissantes rivières prennent leurs sources dans les hautes terres à faible distance du littoral oriental de la Mer du Japon et vont se jeter à l’ouest dans la Mer Jaune. Un peu à l’est de l’image mais hors de celle-ci se trouve ainsi le Mont Seoraksan (1 708 m), un des deux points culminants de la Corée du Sud continentale. Leurs bassins hydrographiques sont donc partagés entre les deux Etats. Ces rivières traversent l’image en coulant du nord vers le sud avant de s’orienter ensuite vers l’ouest. Ces deux rivières sont d’importants affluents de rive droite du Han, qui traverse en particulier la métropole de Séoul, la capitale de la Corée du Sud.

Au total, rien ne prédispose cette région centrale à être traversée par une frontière alors qu’au nord de la péninsule, par exemple, les frontières de la Corée du Nord avec la Chine (1 416 km) et la Russie (19 km) sont fixées respectivement sur les fleuves Amnok (Yalu en chinois) et Tumen.

 

La frontière : une nette césure coupant l’image en deux

Dans cet espace naturel relativement homogène, une nette opposition est cependant très visible entre le nord et le sud de l’image, en particulier dans la zone centrale entre les deux rivières. Les types de paysages, les modes de mise en valeur, l’organisation de l’espace, le type de peuplement et les densités sont bien différenciées. Ceci s’explique par la juxtaposition de deux Etats, deux modèles économiques et sociaux, deux régimes politiques et deux systèmes d’aménagement et de valorisation de l’espace bien différenciés.

Au nord se trouve la Corée du Nord, ou République populaire démocratique de Corée. Cet Etat couvre 120 540 km², a pour capitale Pyongyang et est peuplé de 25,3 millions d’habitants (211 hab/km²). Les régions sur l’image ont des densités de 260 à 270 hab./km². Cet Etat est présidé par Kim Jong-un, qui succède au pouvoir à son père Kim Jong-il en 2011, lui-même succédant en 1994 à son père Kim Il-sung, fondateur du régime. Ce régime dictatorial se réclamant du communisme est un pays très fermé et très dépendant de la Chine.

Au sud se trouve la Corée du Sud, ou République de Corée. Cet Etat couvre 100 000 km², a pour capitale Séoul et est peuplé de 51,4 millions d’habitants (513 hab./km²). Après une longue période dictatoriale (1953/1987), la pression populaire arrache progressivement une démocratisation du régime qui débouche sur les premières élections présidentielles démocratiques en 1997. L’essor économique du pays en fait aujourd’hui un Etat hautement développé aux puissantes bases industrielles et technologiques.

Mais pour les deux pays, cet espace frontalier est soumis à de telles contraintes géostratégiques et militaires qu’il constitue un cul-de-sac. Malgré les stratégies d’aménagement mises en œuvre et les tentatives d’y implanter des populations et activités nouvelles, cet espace est humainement et économiquement répulsif.

Ce système et ces dispositifs frontaliers sont en tout point exceptionnels, et renvoient à une situation géopolitique et géostratégique toute aussi exceptionnelle. Voyons en les différentes composantes spatiales.

 

Ligne de démarcation et Zone Démilitarisée : un espace-tampon fermé, très surveillé et sous forte tension

Comme le montre l’image, le contact entre les deux pays est organisé par une bande de terre de couleur vert clair qui courre tout le long de la frontière. Ce système frontalier est organisé autour de quatre composantes spatiales emboitées les unes dans les autres.

Au centre de celle-ci se trouve la ligne de démarcation militaire (Military Demarcation Line, MDL) qui sert de facto de limite frontalière entre les deux Corées. Elle suit approximativement le 38em parallèle, une limite fixée par les Etats-Unis et l’URSS en 1945 à la Conférence de Yalta qui organisait une occupation militaire conjointe de la péninsule à l’issue de la défaite du Japon dont la Corée était devenue une colonie en 1910.

Cette MDL est entourée par la Zone Démilitarisée (DMZ en anglais, pour Demilitarized Zone). D’une longueur de 248 km d’ouest en est, la DMZ s’étend de chaque côté de la frontière interétatique entre les deux Corées sur 4 km dans chaque pays, et constitue donc une bande large de 8 à 10 km selon les reliefs. C’est celle-ci que l’on repère le mieux à l’œil nu sur l’image satellite. Car à l’intérieur, une épaisse végétation plus ou moins naturelle y a repris ses droits, tout comme la faune sauvage régulièrement éliminée par les tirs ou les mines.

 

Une zone frontalière et deux pays surmilitarisés

Entourant la DMZ se déploient les systèmes frontaliers défensifs, au nord comme au sud, en vue de prévenir toute offensive, attaque ou incursion. La DMZ est donc ceinturée par des réseaux de barbelés, clôtures électroniques, champs de mines, miradors, batteries d’artillerie et postes militaires régulièrement espacés et qui en bordent les limites externes. Les routes qui desservent ces dispositifs militaires sont bien visibles, en particulier dans la zone centrale. Elles ont un rôle stratégique puisqu’elles permettent le déplacement des troupes de chaque côté de la frontière.

En arrière, de part et d’autre de la DMZ et des systèmes défensifs se déploie une bande plus ou moins large dans laquelle la circulation et les activités civiles sont restreintes et étroitement contrôlées. En Corée du Sud, c’est la Civilian Control Line (CCL) qui se déploie entre 5 et 20 km derrière la DMZ. Elle comporte 81 villages et 40 000 habitants.

Enfin, la bande frontalière - de plusieurs dizaines de kilomètres à une centaine de kilomètres de profondeur - est surmilitarisée. On y trouve environ 700 000 militaires nord-coréens, environ 400 000 militaires sud-coréens, eux-mêmes appuyés par une division d’infanterie des Etats-Unis.

Bien que les données soient gardées secrètes, la Corée du Nord est un des pays du monde les plus militarisés. Ces dernières décennies, la Corée du Nord a lancé un grand programme militaire et spatial lui permettant de se doter de l’arme nucléaire dans les années 2000. S’étant retirée du Traité de non-prolifération des armes nucléaires en 2003 et ayant réalisé son premier essai nucléaire en 2006, la Corée du Nord a multiplié depuis les essais nucléaires et les lancements de missiles balistiques.

L’armée sud-coréenne compte 672 000 hommes, complétée par 28 000 soldats des Etats-Unis dans le cadre d’accords de défense signés en octobre 1953. Ces militaires étasuniens sont couverts par un statut spécial d’extraterritorialité (Status of Forces Agreement, ou SOFA) qui permet aux seuls tribunaux étasuniens de juger des délits ou crimes commis par leurs forces. Face à la Corée du Nord, la Corée du Sud est sous la protection du parapluie nucléaire – tactique et stratégique - étatsunien.

 

Un espace hermétiquement fermé

Les points de passages routiers et ferroviaires y sont très rares et très surveillés. Il faut ainsi attendre 2007, soit 56 ans, pour que deux premiers convois ferroviaires la traverse enfin. Ces dernières années, si certaines opérations d’ouverture et d’interconnexion ont été tentées, leur fonctionnalité dépend pour l’essentiel de la situation politique et diplomatique alternant régulièrement phases de détente et phases de crises aigues entre Pyongyang, Séoul et Washington.

En définitive, le seul véritable site de contact et de passage terrestre pérenne est constitué par la fameuse Joint Security Area (JSA) sur le site de Panmunjeom, à un kilomètre d’un ancien village aujourd’hui disparu et au nord-ouest de Séoul (hors document). Sous le contrôle de l’UNC, le Commandement des Nations unies en Corée, s’y rencontrent régulièrement les délégations des deux Corées.

Si quelques soldats nord-coréens font régulièrement défection pour passer au Sud à travers la DMZ, sa traversée est particulièrement dangereuse. Sa fermeture quasi-hermétique explique que les quelques dizaines de milliers de nord-coréens qui ont gagné la Corée du Sud depuis 1953 passent pour l’essentiel par la frontière chinoise, au risque parfois d’être remis aux autorités de Pyongyang selon le contexte politique et diplomatique.

Hors image, bien plus à l’ouest se trouve la NLL, ou Northern Limit Line. Cette région littorale de la Mer jaune composée de nombreuses îles et ilots est l’objet récurent de conflits de délimitation car elle n’a pas été intégrée dans les accords d’armistice. Ces dernières décennies, de nombreuses provocations frontalières de la part de la Corée du Nord y ont été menées (raids commandos, attaques navales, bombardements d’artillerie…). C’est donc une zone stratégique elle aussi hautement sensible et militarisée.

Enfin rappelons que Séoul - capitale de la Corée du Sud, ville de 10,2 millions d’habitants et une aire métropolitaine de 25,6 millions d’habitants – est à seulement une cinquantaine de kilomètres de la frontière. Il faut attendre 2017 pour que le commandement du VIIIem Corps de l’US Force Korea (USFK), qui contrôle toutes les forces étasuniennes en Corée du Sud, soit transféré sur la gigantesque base de Peyongtaek (14,6 millions m², Osan et Camp Hymphreys), situé 70 km plus au sud de l’aire métropolitaine.

Pour autant, de chaque côté, la frontière est aussi instrumentalisée à travers en particulier une activité touristique spécifique. Des points d’observation et des terrasses sont parfois installées dans les sites les plus adaptés pour « voir » de l’autre côté de cet impressionnant dispositif.

 

Une frontière fruit direct de la guerre de Corée (1950/1953) et de la Guerre froide

Lors des règlements de la Seconde Guerre mondiale, La Corée comme ex-colonie japonaise est réorganisée en deux zones d’occupation séparées par le 38ème parallèle – l’une soviétique au nord, l’autre américaine au sud. Comme en Allemagne avec la création de la RFA et de la RDA en 1949, la Guerre froide débouche en 1948 sur la création de deux États, interdisant ainsi la réunification de la péninsule : la République de Corée au sud, présidée par le pro-américain Syngam Rhee, et la République populaire de Corée au nord, dirigée par le communiste Kim Il Sung.

Mais contrairement à l’Allemagne, la situation géopolitique dégénère en un affrontement militaire direct entre les deux blocs. Evénement fondateur de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest en Asie, la guerre de Corée dure de juin 1950 à l’armistice de Panmunjom de juillet 1953. Elle fait plus de 2 millions de militaires tués et environ 3 millions de victimes civiles. Elle se traduit par l’ampleur des destructions qui touchent toute la péninsule du fait de l’évolution très sensibles des fronts militaires (cf. Séoul par ex).

Cette guerre demeure encore aujourd’hui non achevée puisqu’aucun traité de paix n’a été signé à ce jour entre les deux Corée. La frontière actuelle est donc une ligne de cessez-le-feu, fixée après l’armistice, et par définition juridiquement toujours provisoire.

Dans ce contexte mondial, le redressement du Japon et le décollage économique de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hong Kong ou de Singapour dans les années 1950-1960 est inséparable de son arrière-plan géostratégique puisque le soutien politique, économique et financier des Etats-Unis joua alors un rôle essentiel. Encore aujourd’hui, la Thaïlande, le Japon, la Corée du Sud ou dans le Pacifique l’Australie demeurent des alliés essentiels des Etats-Unis, en particulier face à la Chine.

La dernière grande spécificité géopolitique de l’Asie de l’Est réside dans l’abcès de crise que représente la péninsule coréenne, le dernier héritage de la guerre froide. La frontière entre les deux Corées est un lieu de grande fragilité géopolitique et, depuis la fin de la guerre, les incidents sur la ligne du 38e parallèle ont été nombreux. Pour en comprendre les enjeux, il faut changer d’échelle d’analyse. Car la Chine demeure intéressée au maintien du clivage du pays en deux Etats rivaux. Soutenant étroitement, bien qu’indirectement (importations alimentaires, exportations de matières premières…), la Corée du Nord, Pékin utilise le pion nord-coréen dans sa stratégie de puissance asiatique et mondiale, en particulier face au Japon et aux Etats-Unis.

Ces dernières décennies, cette zone frontalière connaît donc des alternances brutales d’apaisement ou de montée des tensions selon les agendas politiques et diplomatiques internes des deux Corées d’un côté, les évolutions des rapports de force entre la Chine, les Etats-Unis et dans une moindre mesure du Japon de l’autre.

Documents complémentaires

Laurent Carroué et Didier Collet : L’Asie, Bréal, Paris, 2016.

Laurent Carroué : Séoul, une métropole en mutation sous fortes contraintes géopolitiques

Library of Congress. Korea demilitarized zone. Cartes téléchargeables en haute définition de la DMZ.

Valorisation touristique de la DMZ

Laurent Quisefit : "Le 38em parallèle nord et la dyade coréenne :  origines et mutations d'une barrière frontalière", L'espace politique, Revue en ligne, n°20/ 2013-2.

Jean Christophe Gay : la touristification de la frontière coréenne vue de Corée du Sud

Cette image réalisée par le satellite Sentinel-2 est un zoom de l'image globale. Dans la partie centrale de l'image se trouve la ligne de démarcation militaire entourée par la Zone Démilitarisée.

Image satellite de la frontière Corée du Nord - Corée du Sud
Image satellite de la frontière Corée du Nord - Corée du Sud
Repères géographiques

Contributeur

Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)