A l’ouest du Grand Londres, Oxford et sa région rassemblent toutes les caractéristiques de la campagne idéale anglaise, verdoyante, au milieu de laquelle coule la Tamise, véritable lieu de mémoire de l’identité anglaise. Mais cette région est aussi soumise au processus de métropolisation de l’agglomération de Londres. Elle fait partie de la « Commuter Belt » en pleine croissance démographique qui crée une demande forte de logements et d’infrastructures de transports. Enfin la région d‘Oxford se positionne dans la compétition mondiale des pôles d’innovation et de l’économie de la connaissance, contribuant ainsi à faire de Londres une métropole de rang mondial. Elle bénéficie pour cela de plusieurs atouts qui en font une région extrêmement attractive. Les dynamiques qui transforment cette région se jouent à des échelles différentes - locale, régionale, mondiale - et leur emboîtement crée inévitablement des conflits d’usage que les acteurs devront arbitrer. Les choix réalisés seront révélateurs de la direction que le Royaume-Uni-post Brexit choisira de prendre.
Légende de l’image
Cette image d'Oxford dans le centre-sud de l'Angleterre, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 27 mars 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de la région.
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Présentation de l’image globale
Oxford et l’Oxfordshire : le renforcement d’un pôle de connaissance et d’innovation de rayonnement mondial au cœur de la campagne anglaise
L’Oxfordshire, au milieu coule une rivière : la Tamise
La Tamise constitue l’élément central de l’image. Venue du nord, elle coule vers le sud en dessinant une large plaine alluviale nourrie par les crues d’hiver et de printemps où s’identifient de nombreux méandres. Le fleuve a été domestiqué. Le cours de la rivière a été rectifié par endroits et les nombreuses écluses permettent la navigation des péniches, très populaire en été. Comme en France dans le bassin parisien, le débit du fleuve est régulé par une série de barrages qui permettent une gestion des crues à l'échelle du bassin. Une condition essentielle pour protéger Londres et son agglomération de toute inondation catastrophique.
Mais la vie naturelle du fleuve a encore sa place. Si le débit moyen est modeste avec 24.8 m3/s à Oxford, le profil peu pentu de la Tamise peut engendrer un étalement important des eaux lors des crues d’hiver et de printemps comme en 2007 ou 2014. La plaine inondable d’une partie du lit majeur est donc interdite de constructions. On y a aménagé des parcs publics comme Christchurch meadow à Oxford ou des prés qui peuvent être inondés plusieurs mois afin de protéger l’agglomération de Londres en aval.
Ces prés sont un lieu privilégié de promenade, à la flore riche, qui permettent aussi de côtoyer les avirons qui glissent sans bruit sur la rivière. Les « boat houses » sont installées sur les berges entre Oxford et Henley on Thames, qui se trouve au sud hors image, qui accueille chaque printemps la régate royale.
La Tamise conserve donc dans cette région un caractère très naturel. Elle a été préservée de l'industrie et ne traverse que des « market towns », anciens bourgs ruraux avec leurs centre villes historiques : Oxford, Abingdon on Thames, Dorchester, Henley on Thames décrits par Jérôme K Jérôme dans 3 hommes dans un bateau.
Une campagne anglaise idéale : la construction patrimoniale d’un paysage rural préservé
La Tamise est donc le cœur d'un paysage rural très riche, investi d’une forte valeur patrimoniale : l’agriculture céréalière est présente avec des propriétés de grande taille, représentatives d'une agriculture anglaise depuis longtemps intensive et mécanisée. Mais elle doit partager l’espace avec des bois et des prés, qui couvrent presque 50 % des emprises, souvent possédés par de grands propriétaires terriens soucieux de maintenir un paysage varié et de préserver le caractère rural de la région. Le château de Blenheim et son immense domaine, appartenant à la famille de Malbourough et lieu de naissance de W. Churchill, illustre la persistance de grands domaines nobiliaires (cf. zoom 3).
De plus, dès le début du XX° siècle, des associations de marcheurs assurent la libre circulation sur les nombreux chemins, bien visibles en bordure des champs, en faisant valoir le « right of way » qui garantit un usage récréatif et démocratique de l’espace rural. On peut aussi voir plusieurs golfs, isolés dans la campagne autour d’Oxford qui contribuent à façonner le paysage. Tout cela témoigne d'une multifonctionnalité ancienne et riche de cet espace rural ainsi que de la valeur accordée à la préservation d'un paysage rural idéalisé.
Cela est particulièrement visible dans l’habitat rural. Malgré une très forte pression démographique, l’habitat diffus reste jusqu’à présent sous contrôle. Les anciennes unités de production des grands domaines nobiliaires sont aujourd’hui de petits villages dont les anciens bâtiments agricoles sont reconvertis en logements. Les nouveaux lotissements sont rares et jusqu’à présent de taille limitée en raison des nombreuses restrictions réglementaires.
Le mitage de l'espace rural est donc remarquablement faible pour un comté aux densités aussi fortes, qui atteint les 264 hab./km². Les principales exceptions sont les cottages construits au début du XX° siècle par la bourgeoisie londonienne attirée par cette campagne idéale, immortalisée par les peintres paysagers, qui a investi les lieux avec une prédilection pour les bords de la Tamise. Le village de Sutton Courteney avec ses quelques maisons aux toits de chaume, ses cottages le long de la Tamise, son green, sa petite église d’architecture normande où l‘on peut voir la modeste tombe d’Eric Blair – ou George Orwell - en est un exemple.
Au sud-ouest, le comté d’Oxfordshire est bordé par la côte – ou cuesta - des Chilterns qui a longtemps constitué une séparation paysagère mais aussi fonctionnelle entre le comté et le bassin de Londres. Cependant l’Oxfordshire est aujourd'hui de plus en plus entraîné dans l'orbite de la mégapole londonienne.
Un réseau de transport qui préserve la région d’Oxford
La trame du réseau de transport est un bon indicateur de l’évolution de la région. On distingue un réseau routier ancien et dense, construit dès le Moyen-Age qui converge en étoile vers les market towns comme Oxford, Abingdon ou Dorchester. Ces villes-pont sont situées stratégiquement aux points de traversée de la Tamise, qui est assurée par de rares ponts historiques mais désormais sous-dimensionnés. Ces routes étroites sont souvent bordées de haies et peu adaptées à la circulation des automobiles ; mais elles supportent un trafic important au point d’être souvent engorgées.
Les chemins de fer puis les autoroutes – telles la A34 et la M40 - ont consacré la polarisation de la région d’Oxford par la métropole londonienne : nous sommes ici à 45 mn-1h de la gare de Paddington et du grand aéroport international d'Heathrow, 1ère plate forme aéroportuaire européenne. On peut toutefois observer que cette ouverture laisse l’Oxfordshire à l’écart des grands axes qui partent en étoile de Londres vers les Midlands ou le Pays de Galles. La ligne de chemin de fer qui dessert Oxford est d’importance secondaire. L’autoroute M40 passe au large d’Oxford.
Tout est donc fait pour offrir à la région les bénéfices d’une bonne connexion à Londres sans avoir à subir les inconvénients du trafic de transit. La Tamise n’est traversée par aucune voie rapide à l’exception de la rocade autour d’Oxford. Cela a permis jusqu’ici de préserver les paysages mais provoque un casse tête pour le trafic local.
Une région progressivement intégrée dans l’orbite londonienne : ségrégation sociale, ségrégation spatiale
La région d’Oxford est donc en partie satellisée par l'agglomération de Londres. Sa croissance et son marché immobilier, parmi les plus chers du monde, entrainent une périurbanisation très rapide de l'Oxfordshire. Les « commuters », profitant des salaires londoniens, peuvent réaliser le rêve suburbain dans un paysage préservé.
De ce point de vue, l’Oxfordshire doit être replacé dans la grande opposition Est/Ouest qui structure l’agglomération de Londres. L’Est de Londres, tourné vers l’estuaire de la Tamise concentre les grandes infrastructures portuaires construites pour accompagner l’expansion impériale, l’habitat populaire (East-end). L’ouest de Londres, au contraire, concentre un habitat plus bourgeois, implanté sur des propriétés nobles (Windsor). On y trouve les grands équipements récréatifs (hippodrome d’Ascot), les résidences secondaires des londoniens à la recherche d’une campagne préservée. Cette coupure se retrouve dans la géographie politique.
Le gouvernement accompagne ce mouvement par sa politique des « pôles de croissance », comme Didcot (zoom N°1), situés au-delà de la ceinture verte de Londres et qui ont pour mission d’absorber la croissance de la métropole londonienne. Les besoins sont évalués à 14 000 nouveaux logements pour le sud du Comté (hors Oxford) pour la période 2015-2030. Cette croissance transforme le paysage : des gares en pleine expansion, comme Didcot Parkway agrandie en 2015 ou Oxford Parkway mise en service en 2016. Les échangeurs autoroutiers sont régulièrement agrandis (à l’est de Didcot, au nord d’Oxford).
Autour de ces nouvelles infrastructures de transport, les paysages caractéristiques de la périurbanisation deviennent prédominants : grands lotissements de maisons individuelles qui favorisent l'étalement urbain et grignotent les terres agricoles, primauté de la voiture qui entraine une sectorisation des activités avec notamment les centres commerciaux de périphérie. Le contraste est fort entre ces paysages standardisés et ceux des petits villages jusqu’ici préservés.
La ségrégation spatiale reflète une ségrégation sociale croissante. Les villages concentrent des populations de CSP++ au fort pouvoir d’achat qui seules peuvent acquérir des maisons plus vastes ou anciennes et supporter le coût des réglementations paysagères imposées. Les classes moyennes et populaires, quant à elles, sont poussées vers les nouveaux lotissements aux paysages plus standardisés (Didcot, Abingdon). Dans cet espace dense et fortement patrimonialisé, comme dans une large partie du Grand Bassin de Londres, cela mène à des tensions fortes entre les acteurs sur les choix à faire sur les futurs aménagements. Le phénomène Nimby (Not In My BackYard) joue pleinement : conflits autour de projets d’expansion à Harwell, projet de construction de 3 500 logements à Culham.
Le renforcement d’un pôle d’innovation et de la connaissance de rayonnement mondial
Les années 1980-1990 ont constitué un tournant pour l’économie britannique. Face au déclin industriel et à la perte de l’Empire, le pays a décidé de se tourner vers une économie des services, et à partir de la fin des années 1990 vers une économie de la connaissance. Ce tournant a une dimension géographique importante puisqu’il privilégie le Grand Bassin de Londres et les pôles de connaissance qui auront pour mission d’agréger les industries de haute technologie. Cela s’est matérialisé notamment par l’émergence du « corridor de la M4 » qui court vers l’Ouest de Londres jusqu’à Bristol. Cet axe autoroutier a été privilégié par les grandes frimes multinationales attirées par la politique libérale menée depuis les années 1980 qui visait à faire l’Angleterre une tête de pont pour les investissements américains puis asiatiques vers le marché européen.
Dans ce nouveau contexte et du fait de ses héritages, Oxford et sa région bénéficient de nombreux atouts qui en font aujourd’hui un pôle émergent d’innovation et de la connaissance. Elle dispose pour cela de plusieurs atouts.
Au premier rang se trouve bien sûr l’université d’Oxford. Née au Moyen-Age, elle est aujourd’hui forte de ses 24 000 étudiants et de ses nombreux laboratoires de recherche. Elle est classée parmi les meilleures universités mondiales. Elle offre à ses chercheurs et à ses étudiants un cadre de vie unique. Disposant d’un patrimoine architectural et urbain exceptionnel à la fois d’une grande unité et très diversifié, le cœur de la ville est resté totalement préservé. Il semble peuplé des légendes créées autour de l’université (Alice au pays des merveilles, Tolkien, Harry Potter, …) qui contribuent à entretenir une très lucrative industrie des voyages scolaires linguistiques et de tourisme.
L’université a une autonomie financière totale qui s’appuie sur des avoirs d’une valeur de 9 milliards £, dont 55 000 ha. de foncier, une simple estimation dans la mesure où les collèges restent très discrets sur l’étendue réelle de leurs possessions. Grâce à son budget de 2,45 milliards £, elle peut faire les investissements nécessaires pour rester dans la compétition que mènent les grandes universités mondiales.
Cette fortune foncière et financière permet à l’université de disposer d’équipements de premiers plans et de construire des technopôles qui accueillent des entreprises liées aux laboratoires de recherche sur le modèle de l’université de Stanford. Ainsi, le Begbroke Science Park est bien visible au nord. Le Science Park d’Oxford, qui se trouve au sud de la ville, appartient et est géré par Magdalen College.
Par ailleurs, la région bénéficie de plusieurs équipements scientifiques majeurs installés ces cinquante dernières années. Leur localisation s’est faite sans planification d’ensemble. L’accès au foncier est difficile et les contraintes d’aménagement sont fortes (ceinture verte d’Oxford, Zone naturelle protégée des Chiltern). Aussi la puissance publique, a construit ces grands équipements sur des bases aériennes désaffectées. Cela offre de grandes emprises mais présente l’inconvénient de l’isolement et rend difficile l’articulation avec l’environnement local.
Trois parcs scientifiques de première importance
Harwell Campus est Le 1er d’entre eux. Il rappelle en particulier le rôle considérable des universités d’Oxford et de Cambridge dans la recherche scientifique fondamentale et appliquée durant la seconde guerre mondiale face à l’Allemagne nazie, puis durant la Guerre froide. Il est en effet créé dès 1945 et devient le cœur de la recherche physique et nucléaire britannique. Il accueille deux instruments de recherche fondamentale et appliquée d’importance mondiale : la source de neutrons ISIS insérée au Rutherford laboratory installé en 1957 et le synchrotron « Diamond Light Source » mis en service en 2007.
Ces équipements sont le cœur d’un pôle d’innovation qui comprend plus de 140 entités publiques (Science and Technology Facilities Council, the Rutherford Appleton Laboratory, the Medical Research Council, l’Agence Spatiale Européenne) et privés. Il s’organise en trois clusters : spatial, technologies de la santé (Health-tech) et énergie qui développent des applications industrielles rendues possibles par les grands équipements
Harwell est en partenariat-concurrence avec les autres synchrotrons en Europe et dans le monde. Cela entraine une circulation des chercheurs et ingénieurs, par exemple avec Grenoble, qui s’installent dans la région, attirés par les perspectives d’emploi et de salaires et le caractère international de la région. 6000 personnes travaillent sur le campus qui prévoit de grossir substantiellement. On distingue les réserves foncières autour du synchrotron.
Culham Science Center, a lui aussi été installé sur une ancienne base de la RAF. C’est au départ une extension du site de Harwell destiné à la recherche sur la fusion nucléaire. Sa croissance connait une accélération avec l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. En 1977 il obtient l’implantation du projet européen pour la fusion nucléaire JET (Joint European Torus) financé par le traité Euratom.
Il entraine aussi la création par la commission européenne de l’école européenne de Culham afin de scolariser les enfants des chercheurs. Cette école va servir de pôle d’attraction aux nombreuses familles « internationales » accompagnant ainsi la région dans l’entrée dans l’économie de la connaissance. JET est arrivé à son terme en 2016 (remplacé par le programme ITER basé en Provence) entrainant le désengagement de l’UE... Mais le centre scientifique conserve ses équipements et se diversifie. 2000 personnes travaillent sur le site qui dispose de grandes réserves de terrain et prévoit de doubler en taille dans les prochaines années.
Enfin Milton Park est une zone d’activité composite, installée sur un ancien dépôt militaire, centrée sur autour des industries bio-médicales et des nouvelles technologies et emploie 6500 personnes. Cela en fait le plus grand parc scientifique privé d’Europe.
Ces trois technopôles se sont regroupés pour constituer une structure commune « Science Vale » dont l’objectif est d’attirer les investissements et de faciliter la construction des infrastructures pour accompagner sa croissance : pour la période 2015-2030, elle prévoit la création nette de 16 000 emplois.
Le choc des échelles, conflits d’acteurs dans la campagne oxonienne :
La région d’Oxford a grandement bénéficié du grand tournant de la politique économique britannique à partir des années 1980 ainsi que de l’intégration européenne : la liberté de circulation a permis d’attirer de nombreux chercheurs européens dans les grands centres de recherche. L’Oxfordshire accueille 40 000 citoyens de l’UE, dont une grande partie majorité travaille dans les secteurs universitaires, scientifiques et des nouvelles technologies. L’université d’Oxford arrive d’ailleurs en tête pour les financements européens (programme Horizon 2020). Les choix post-Brexit que fera l’Angleterre pourraient fragiliser ce modèle.
Cependant dans la compétition mondiale des lieux d’innovation, Oxford et sa région souffrent du manque de coopération entre les différents pôles qui la composent. L’université d’Oxford a longtemps cherché à conserver son caractère rural à la région en usant de sa richesse foncière, par la sanctuarisation de sa ceinture verte. Elle s’est peu préoccupée de favoriser un développement industriel ou de coopérer avec les grands pôles scientifiques de la région qui ont fonctionné jusqu’à présent indépendamment.
Combiner logiques d’aménagements locale, nationale, mondiale ?
Cette image illustre donc la façon dont un territoire de l’innovation combine des logiques d’échelle locale, nationale et mondiale et montre que son succès réside dans sa capacité à les faire vivre ensemble en dépassant les conflits d’acteurs.
Le 1er défi est de répondre au déficit important de logements. La dynamique démographique exogène (périphérie de Londres) et endogène (expansion de l’économie de la connaissance) : l’Oxfordshire devrait connaitre une croissance démographique de 21.4 % et un besoin de 57 000 logements nouveaux pour la période 2010-2030.
Cette course à la croissance fait courir le risque de transformer les paysages ruraux qui font l’identité de la région. La doctrine jusqu’ici adoptée est dite de « croissance douce ». Elle consiste à concentrer la croissance dans la ville de Didcot et de multiplier la construction de petits lotissements en périphérie des villages. Cela crée malgré tout une tension sur les infrastructures de transport et mécontente les habitants qui multiplient les recours.
Le 2ème défi consiste à faire émerger un territoire de l’innovation afin de mettre les différents acteurs de la science et de l’industrie en synergie.
Le gouvernement britannique tente de développer une alternative à la croissance sans fin du bassin de Londres. Le projet « knowledge spine » vise à créer un « arc de la connaissance » dont Oxford serait la pointe Sud-Ouest et Cambridge la pointe Est en passant par la ville nouvelle de Milton Keynes. Le projet consiste à valoriser les deux grands pôles universitaires et de recherche que sont Oxford et Cambridge et de faciliter les interactions entre acteurs universitaires, scientifiques et industriels qui jusqu’ici coopèrent peu et restent dépendants de décisions prises à Londres. Des projets existent pour améliorer les infrastructures de transport Est-Ouest, quasi inexistantes jusqu’ici. Il faut aujourd’hui 3h30 pour relier Oxford à Cambridge par train… en passant par Londres !
L’objectif est de permettre à cet axe Est-Ouest de s’autonomiser vis à vis de Londres. Est-ce un projet structurant ou bien un simple objet de marketing territorial ? Il est un peu tôt pour le dire tant les stratégies d’aménagement britanniques varient au gré des priorités gouvernementales. La collaboration entre Oxford et « the other place », car on ne prononce pas le nom de la grande rivale Cambridge, verra-t-elle vraiment le jour ?
Zoom d'étude
Didcot, une ville de la « commuter belt » au cœur d’un territoire de l’innovation et de la connaissance
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Un ancien nœud logistique et énergétique
La ville de Didcot raconte les transformations que connait le Sud-Est de l’Angleterre depuis 1945. De simple bourg rural, elle prend de l’importance avec la construction du chemin de fer reliant Londres à Oxford et les Midlands vers le nord et Cardiff vers l’ouest. La ville acquiert alors un rôle central au détriment du bourg commercial - « market town » - plus ancien d’Abingdon qui s’est trouvé ainsi marginalisé. En 1964, Didcot est dotée d’une centrale électrique au charbon acheminé depuis le Pays de Galles et qui dessert Londres. A cela s’ajoute la construction de l’A34 reliant Oxford et les Midlands à la côte sud.
C’est autour de ces infrastructures de transport et d’énergie que s’organise la ville de Didcot. Les lotissements construits pour loger les cheminots et les employés de la centrale électrique sont représentatifs de la société anglaise après 1945 : une urbanisation horizontale, faite de maisons individuelles, qui consacre le rôle central de la voiture.
Une ville moyenne devenue un pôle de croissance dans l’aménagement du Bassin du Grand Londres
Aujourd’hui Didcot se retrouve dans l’orbite londonienne : les travailleurs, attirés par le prix plus raisonnable de l’immobilier, la liaison ferroviaire avec Londres-Paddington (45 mn) et la proximité de l’aéroport d’Heathrow y installent leur famille. La gare rénovée en 2015 voit passer plus de 3 millions de passagers par an avec son parking typique des villes de périphérie des grandes métropoles. Un échangeur autoroutier a aussi été construit.
Les autorités ont fait de Didcot un pôle de croissance stratégique pour absorber la croissance démographique de l’agglomération londonienne (growth point). On prévoit une croissance démographique de 76 % pour la période 2010-2026. Pour les accueillir la ville fait sa mue, et ferme ses infrastructures industrielles : la centrale électrique a fermé en 2014 et est en cours de démantèlement. La gare de triage accueille un musée ferroviaire.
Les étapes de la croissance se lisent dans le paysage urbain de Didcot basé sur le couple maison individuelle-voiture. On peut distinguer deux générations de lotissements : les lotissements anciens (2ème partie du XX° siècle), construits à proximité de la centrale électrique et de la gare de triage, révèlent une société encore marquée par les différences de classes où les rues disent le statut social et sont conçues pour créer un entre-soi subtil où l’on ne se croise pas : rues de maisons mitoyennes (attached ou semi detached) pour les ouvriers et employés, rue de maisons individuelles pour les classes moyennes.
Les lotissements récents, proches des accès autoroutiers et de la gare ne comprennent que des maisons individuelles pour satisfaire la « société de propriétaires » promue par Margaret Thatcher (1925-2013), 1er Ministre conservatrice ulra-libérale. Le contraste avec les villages alentour est frappant.
Au sud, le technopôle d’Harwell est bien visible avec le synchrotron. Il dispose d’importantes réserves foncières qui permettent d’envisager une croissance future. Le village de Harwell est un bon exemple de la pression démographique que connait la région : les lotissements et les infrastructures routières qui les accompagnent grignotent les terres agricoles en créant un paysage périurbain standardisé.
Oxford, la ville-université : un haut lieu quasi-mythique
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Une des plus vieilles villes universitaires d’Europe au patrimoine exceptionnel
La ville d’Oxford est installée sur la confluence de la Tamise et de la Cherwell sur un ancien passage stratégique, l’étymologie d’Oxford étant un passage à gué pour les bœufs, fortifié à l’époque saxonne dont il reste des murailles et un château.
Le rôle central de l’université - à partir de 1096 - se lit dans la forme de la ville historique. L’université d’Oxford s’appuie sur une véritable fortune foncière qui fait d’elle l’acteur majeur de l’aménagement de la ville. Le centre historique appartient pour l’essentiel à l’université. Il est constitué de la juxtaposition des 38 « collèges », construits au gré de la croissance de l’université sans planification d’ensemble.
L’image révèle l’importance des espaces occupés par les colleges : chacun dispose de ses propres locaux organisés autour du « quadrangle », de la chapelle - rappelant ainsi l’origine religieuse de l’université - et de sa bibliothèque. Les plus grands, tels Christchurch college ou Magdalen college, disposent d’un parc et d’installations sportives. A cela s’ajoutent les bâtiments emblématiques de l’université : la Bodleian Library, la cathédrale et le musée Ashmolean qui regroupe les trésors collectés au cours de sa longue histoire. Cela laisse très peu de place pour les espaces publics. Les colleges fonctionnent comme des espaces clos, fermés au public. La ville d’Oxford est un théâtre dont les sept millions de touristes annuels ne voient que la façade.
Dynamique et croissance urbaines, spécialisation et ségrégation
La partie nord de la ville est une extension de la vieille université qui y construit régulièrement de nouveaux bâtiments de recherche. A l’ouest se trouvent l’hôpital universitaire et l’université technique - Brookes, indépendante de l’université d’Oxford - forte de 18 000 étudiants. Sur les zones inondables se trouvent les installations sportives de l’université, dont la piste d’Iffley qui a vu R. Bannister - étudiant puis médecin de l’université - battre le record du monde du mile en 1954.
La ville non universitaire est pour l’essentiel repoussée au-delà de la voie de chemin de fer et de la rocade. La ville d’Oxford est donc comme coupée en deux par la plaine inondable de la Cherwell. Au sud-est de la ville, l’usine mini d’Oxford qui appartient au groupe BMW qui emploie 4 000 personnes fait figure d’exception. Elle est tenue à distance par l’université puisqu’elle structure une partie ouvrière de la ville sans lien direct avec le vieux centre.
La croissance de la ville de 166 000 habitants est limitée par la ceinture verte qui a interdit un étalement trop important et lui a permis jusqu’ici de conserver son cachet, au prix d’une forte tension immobilière. Oxford s’est en quelque sorte interdit de devenir une métropole complète. Elle n’en a pas les infrastructures, les fonctions de commandement. Mais cela lui permet d’être complètement un pôle universitaire mondial.
Le château de Blenheim, symbole de la puissance foncière et symbolique de l’aristocratie anglaise
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Le château de Blenheim est le centre d’un domaine de 850 ha. Il possède des jardins magnifiques et d’une grande diversité : jardin italien en référence à la villa d’Este, parc dessiné sur le modèle des jardins de Le nôtre puis modifié au goût du XVIII° siècle finissant par le jardinier royal « capability » Brown. Ils montrent à eux seuls l’ambition des propriétaires d’inscrire ce domaine dans les grands paysages européens.
Le duc de Malborough (le Malbrouk de la chanson) le fait construire à partir de 1705 sur un domaine qui lui est donné par le Roi en récompense pour sa victoire sur les armées de Louis XIV. Sans connaître la même destinée que Versailles, son modèle, le château verra naître le jeune Winston Churchill.
Blenheim palace et son domaine sont toujours dans les mains de la famille Malborough. Cela prouve la capacité des grandes familles nobles anglaises à s‘adapter aux temps nouveaux. C’est aujourd’hui une véritable entreprise qui se diversifie pour valoriser sa fortune familiale : une branche immobilière construit des maisons sur des terres de la famille (Woodstock) ; une branche agricole promeut une agriculture bio de qualité… et a reçu 823 000 £ de subventions de la PAC en 2016. Le château lui-même, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, accueille près de 900 000 visiteurs par an.
Le château de Blenheim illustre la persistance de la puissance de la noblesse britannique, politique, économique et financière. Le duc de Malborough est un des 31 lords temporels, membres héréditaires de la Chambre des Lords. A l’image de Blenheim, la noblesse conserve une rente foncière grâce à la survivance du « leasehold », un système unique en Europe qui dissocie propriété foncière et propriété immobilière. Ainsi, encore 18 % des logements du pays – soit quatre millions - sont sous ce régime. Le propriétaire immobilier – que ce soit un logement, un pavillon, un immeuble - dispose pour le sol d’un bail emphytéotique, c’est-à-dire de longue durée (10, 15, 30, 50, 60, 99 ans), qui le transforme de fait en locataire du sol à longue durée. A chaque échéance de celui-ci, celui-ci doit être renégocié. La noblesse - qui possède encore environ 30 % des terres comme le duc de Westminster et la famille royale qui contrôlent une bonne partie de l’ouest londonien - en tire des revenus substantiels.
Document complémentaire
Oxford dans son cadre régional à l’ouest du Grand Londres.
D’autres ressources
Sur le site Géoimage du CNES
Julien Meynet et Elodie Gruit : Royaume-Uni – Londres Centre : une capitale et une ville mondiale en profondes mutations urbaines.
Sources utiles :
Pôle d’innovation et de la connaissance :
Harwell science park
L’arc de la connaissance Oxford-Cambridge
Valler, Phelps, Miao, Benneworth, Eckardt, Franziska, (2019/01/29), Science Spaces as ‘Ethnoscapes’: Identity, Perception and the Production of Locality, Urban Science, vol 3,
Guardian : Oxford firm to screen 15,000 drugs in search for coronavirus cure :
Richesse foncière de la noblesse :
Dossier du magazine Country Life(2010)
How the aristocracy preserved their power ; article du Guardian
Oxford :
Emissions de France culture : Oxford Ville monde :
lien 1 / lien 2
Richesse foncière de l‘université d’Oxford : Blog Who owns England ?
Contributeurs
Nicolas Bounet, professeur agrégé de géographie, lycée Théophile Gautier, Tarbes.